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La confommation des Bleds, dans le Royaume, monte donc chaque année à 40 millions de fetiers: Ence, non compris les femailles, ni ce qu'en confomment les charençons, les rats, les fouris, les oifeaux, les chiens & autres animaux domestiques, ni ce qui fe perd & fe pourrit dans les greniers.

Or depuis le premier Janvier 1765, époque de l'exportation des Grains,jufqu'à pareil jour de l'année 1777, époque où le prix des Grains a commencé à baiffer, il s'eft écoulé douze années, lefquelles, à raifon de 40 millions de fetiers chacune, donnent un total de 480 millions de fetiers.

Il eft de fait, qu'en 1764 & précédemment, depuis plufieurs années, le prix commun du Bled n'étoit en France que de 12 liv. le fetier, au plus.

Il est également certain que, depuis 1765 jufqu'en 1777, il s'y eft vendu, prix commun, plus de 24 liv. le fetier. On l'a même payé, dans plufieurs de nos contrées, 40 41, , 40 41, & jufques à 42 liv. le fetier, dans le tems où nos Commerçans le livroient aux étrangers, à raison de 25 liv., ainfi qu'on vient de le voir par l'exposé de l'Auteur des représentations aux Magiftrats, qui certainement ne peut être fufpect aux partifans de la liberté; mais, en ne partant que de notre prix commun, il en a donc coûté aux peuples plus de 12 liv. par fetier pour leur fubfiftance, au-delà de ce qu'elle leur

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coûtoit avant que l'exportation eût été permife.

Or, en multipliant les 480 millions de fetiers confommés, par ces 12 liv. payés de plus, on trouvera au total une furcharge de cinq milliards, fept cent foixante millions de livres en argent, en pure perte pour la maffe des Citoyens, qui n'étoient pas marchands de Bled (1).

Cette furcharge vous effraie; mais attendez & vous allez voir qu'elle n'eft pas le feul malheur qu'ait occafionné ce funeste systême; car, sans parler des bénéfices confidérables dont il nous a privés, en arrêtant le débit des ouvrages de nos Manufactures; fans parler du nombre des pauvres qu'il a fait périr,ou de faim, ou par les maladies qu'entraînent, à leur fuite, le besoin & la mauvaise nourriture, il a dépeuplé nos Campagnes d'hommes, & de chevaux, avant lui très-utilement employés à la culture, & qui, tant qu'il a eu lieu, ont été mendier dans les Villes, ou occupés fur les chemins à fervir le monopole ; je veux dire, à faire faire aux Grains des mouve

(1) En fuivant la fupputation de l'Auteur des Obfervations fur le Commerce des Grains, la furcharge feroit de plus de HUIT MILLIARDS.

Elle feroit plus forte encore fi l'on fuivoit la fuppofition du Gazetier, fur la population, & beaucoup plus fi l'on fuivoit celle de M. Necker, mais je penfe qu'on ne fauroit caver trop au foible, quand on calcule fes malheurs.

mens qui n'avoient d'autre objet que d'en augmenter le prix,au profit du Commerçant à qui ils appar tenoient. De-là, le défaut de bras dans les Campagnes, de culture & d'engrais dans les terres, & d'abondance dans les récoltes; de-là, la néceffité de faire paffer de l'argent à l'étranger, pour en tirer des Bleds, dans le tems où nous aurions dù luien vendre; de-là, enfin, la mifère qui a défolé le Royaume, & dont il n'est pas encore retabli à beaucoup près. Voilà les effets qu'a produit, en France, le fyftême que je combats.

J'ofe dire que celui que je propose auroit écarté tous ces malheurs, s'il eût été fubftitué à la liberté de l'exportation.

1o. Il auroit procuré au Cultivateur, à un prix convenable, le débouché des Bleds dont fes greniers regorgeoient en 1764, & c'étoit l'objet du législateur, lorfqu'il s'eft porté à permettre l'exportation.

2o. Lors de la mauvaise récolte que nous avons éprouvée dans nos cantons, en 1769, il auroit mis, fous la main de nos Laboureurs,les Bleds néceffaires pour leurs femailles, à un prix prefque égal, à celui› auquel la Compagnie auroit acheté leur fuperflu. dans les années précédentes.

&

3o. Il auroit épargné aux confommateurs cinq milliards millions de livres en argent, plus, fur ce que leur a coûté leur fubfiftance; &

quarante

cela eft incontestable, puisqu'il leur auroit procuré à raifon de 13 liv. 10 fols, au plus, les 480 millions de fetiers de Bled qu'ils ont confommé dans cet interval, & qu'ils ont payé 24 liv., & plus.

4°. Il auroit foutenu & fait fleurir notre Commerce avec l'étranger; il nous auroit procuré, de fa part, un argent confidérable,qui auroit entretenu l'aifance & la circulation dans nos Villes, & les auroit rétablies dans nos Campagnes.

5°. Il auroit confervé à l'état, ceux que la mifère a forcés d'aller mendier dans les Villes : ces hommes & ces chevaux inutilement employés à faire voyager nos grains, & dont le travail & les fumiers auroient fertilifé nos terres, & nous auroient donné d'abondantes récoltes.

6o. Il auroit épargné au Tréfor-royal, les fommes que la bonté du Roi l'a porté à faire paffer chez l'étranger, ou à diftribuer en gratifications, pour en faire venir les Bleds, que la liberté de l'exportation & la mauvaise économie, qui s'en est ensuivie, avoient rendus néceffaires à notre fubfistance (1): on verra dans ma feconde partie, qu'il auroit pu procurer bien d'autres avantages au Tréfor-royal, & jufqu'à l'entretenir toujours opulent.

7°. Enfin, il auroit confervé à l'état, nombre de

(1) Arrêt dn Confeil du 1775.

fujets

fujets qui ont été obligés de s'expatrier pour trouver à gagner leur vie, & tous ces malheureux qui font morts de faim, ou des maladies qu'occafionne la la mifère. Ne pourrois-je pas dire qu'il auroit épargné beaucoup de crimes, que le befoin a fait commettre, & qu'il auroit donné l'existence à nombre d'enfans, que la crainte de faire des malheureux a retenus dans le néant.

Mon projet affure donc tous les avantages dont on peut concevoir l'idée fur la partie des Grains. Je crois ne rien hasarder, en disant qu'il les affure fans danger; j'ajoute qu'il les affure fans gêne, & en procurant toute la liberté que peuvent honnêtement fouhaiter les propriétaires & les cultivateurs Citoyens. Il ne profcrit, en effet, que l'abus, & quant à la liberté, je fuis moi-même l'un de fes plus zélés partifans; je la demande dans tout le Royaume, pleine, fans gêne & fans formalités d'aucune espèce, puifque je defire, comme on l'a vu, que la jouiffance en foit affurée à chacun, par l'exécution littérale de toutes les Loix qui l'autorifent.

J'obferverai cependant que, pour faciliter à la Compagnie, par l'entremife de laquelle le Roi nous affurera tous ces avantages, la connoiffance de la quantité des Bleds qu'elle feroit obligée de tirer de l'étranger, il fera bon de reftraindre la faculté

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