Page images
PDF
EPUB

la prudence n'auroit dû leur permettre. La meil leure partie, ou même la totalité du produit de cette vente, ils l'avoient employée à payer leurs anciens fermages & leurs impofitions. La récolte de 1769 trompa leurs efpérances, & dès 1770, ils Le trouvèrent, pour la plupart, arrièrés de leurs fermages envers les propriétaires, de leurs impofitions envers le Roi, fans Pain pour vivre, fans Grains pour faire leurs femailles, & hors d'état de payer les domeftiques ou les journaliers dont ils avoient befoin pour façonner leurs terres de-là, la néceffité de vendre leurs beftiaux, l'impoffibilité de donner aux terres la culture & les engrais convenables, & conféquemment la privation de toute fertilité dans les récoltes. Ceux même de nos Laboureurs qui se trouvèrent avoir affaire à des propriétaires affez aifés & affez fages, pour en obtenir crédit & des avances ( & ce fut affurément le très-petit nombre), n'ont pas été, pour cela beaucoup plus heureux, parce que les Grains qu'ils furent obligés d'acheter pour femer & pour vivre, leur ayant coûté fort cher, les récoltes fubféquentes n'ont pu rétablir leur aifance; & la contrée s'en eft reffentie d'autant plus long-tems, que les journaliers, qui ne trouvoient plus à y gagner leur vie, ont été la chercher & mendier, ou s'établir ailleurs.

Qui n'en concluera, avec moi, qu'une liberté

fans frein, quelqu'avantageuse qu'on puisse la suppofer pour les gros Cultivateurs voifins des grandes Villes, fera toujours préjudiciable aux petits Laboureurs, fur-tout à ceux qui fe trouvent éloignés des rivières navigables, & qui n'ont pas le moyen de conferver d'une année pour l'autre ? Et qui ne fait que c'est le grand nombre ?

En effet, foit que le Cultivateur porte au Commerce, foit que le Commerce aille prendre chez le Cultivateur, il faut que le coût du transport soit prélevé fur la denrée; & ce coût eft toujours à la charge du Cultivateur, en vendant, comme en achetant. Ainfi donc, lorfque dans la Ville de Commerce la plus voifine de chaque Laboureur, le Bled vaudra 18 liv. le fetier, s'il lui en coûte 6 liv. pour l'y faire tranfporter, le produit du fetier ne fera plus, pour lui, que de 12 livres effectifs: & quand, au lieu d'en avoir à vendre, il fera luimême obligé d'en acheter, ce même fetier lui reviendra à 24 liv., parce qu'outre le prix marchand, il aura encore à fupporter les frais du transport chez lui.

On conçoit fans peine que la reproduction ne peut que fouffrir confidérablement d'un systême qui expofe le Laboureur à donner, ainfi, deux pour un : & comme la France a encore plus de cultures 15, 20 & 30 lieues des rivières navigables, qu'à la

à

proximité de ces rivières; comme elle a des cof trées où le tranfport des Grains, à 20 lieues feulement de distance, feroit plus coûteux que ne l'eft, à Paris, celui des Bleds de Barbarie, il importe donc non-feulement pour ces contrées, mais même pour PÉtat en général, de trouver un expédient qui, fans le priver du bénéfice que doit lui procurer l'excédent de fa production, concentre dans chaque lieu, la quantité de Bled néceffaire, foit à la confommation des habitans, foit à l'enfemencement des terres, un expédient qui ne charge des frais de tranfport que la portion de ces Bled's qui doit être livrée au Commerce; c'est-à-dire, feulement le fuperflu.

Or cet expédient fi désirable, il me femble qu'on l'aura trouvé, quand on aura établi dans toutes les Villes principales de chaque contrée, des magafins où le Laboureur fera toujours sûr de vendre & de pouvoir acheter, à-peu-près au même prix; des magafins qui feront une reffource égale, & contre les inconvéniens de la furabondance, & contre les malheurs de la ftérilité.

Il est évident qu'alors, le Laboureur, au moyen de la certitude qu'il aura de trouver de fon Bled, le prix auquel la Loi l'aura fixé, ne fera plus occupé que du foin de fértilifer fa terre, pour en tirer la plus abondante production poffible. La peine que prend

prend, aujourd'hui, le gros Cultivateur, à emmagafiner fes Grains, à les conferver une ou même plu fieurs années, pour en obtenir une vente plus lucra tive; fa coupable attention à les cacher, pour faire préfumer la difette, lors même que l'abondance fubfifte encore; fa perfide précaution de n'enfemencer qu'une partie de fes terres, de les deffaifonner, ou même d'en négliger la culture, pour tromper les peuples par la médiocrité de la récolte, & augmenter en conféquence le prix des anciens Bleds qu'il tient en réserve, sont autant de foins & de crimes qu'on lui épargnera. Ces monopoles cefferont, parce que tout propriétaire de Bled aura néceffairement un intérêt contraire. Car, encore une fois, le prix du Bled étant incommutablement fixé & indépendant de l'abondance ou de la ftérilité des moiffons, l'unique intérêt du Cultivateur fera, d'en porter toujours la production à la plus grande quantité poffible, & de s'épargner, en les vendant promptement, les frais de garde & de déchet, dont les Grains font fufceptibles, & qui tomberoient en pure perte pour lui.

Tout ce que je viens de dire eft commun au Cultivateur propriétaire & au Cultivateur fermier. J'ajoute, par rapport à celui-ci, qu'en renouvellant fon bail, ou en fe chargeant d'un autre, il lui fuffira de confidérer le nombre d'arpens qu'il

C

aura à faire valoir, la nature du fol, & la récolte qu'il pourra efpérer de faire fur chaque arpent, une année portant l'autre. Il fera fon prix en conféquence, & il ne pourra faire un mauvais marché, qu'autant qu'il feroit mauvais fpéculateur fur la poffibilité de la production, ou mauvais Cultivateur car tant que la terre qu'il aura affermée produira la quantité qu'il aura prévu, fon bénéfice fera certain, & l'abondance de fes greniers ne fera plus, pour lui, un motif de découragement.

A l'égard du propriétaire qui ne récolte pas luimême, ces obfervations lui feront auffi faciles & non moins utiles qu'au fermier; il eft certain qu'il y trouvera également fon avantage, tant en ce qu'il pourra toujours affermer fes terres felon leur véritable valeur, qu'en ce qu'il fera plus sûr de la rentrée de fes fermages, & qu'il ne payera jamais le Pain, au-delà du prix fur le pied duquel il aura donné fon bail.

J'avoue que les terres ne feront plus fufceptibles d'une augmentation auffi confidérable, que celles qu'elles éprouvèrent, dans le tems où la liberté de l'exportation parut être le fyftême du Gouvernement; mais cette augmentation ne pouvoit durer qu'autant que l'illufion qui l'avoit produite, & la plupart des fermiers ont fini par en être les dupes. En effet, auffi-tôt après la publication de l'Édit de

« PreviousContinue »