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qu'elle avoit déjà fait mourir de faim nombre de nos Concitoyens, qu'en 1770, le Gouvernement se vit obligé de mettre un frein à ses excès (e).

Auffi quelque féduifant que put être pour moi le double avantage que l'on m'annonce d'acquérir des diftin&tions, & d'augmenter mes revenus, je n'en veux point à ce prix. J'entends au fond de mon cœur l'humanité qui réclame contre l'intérêt, & je prononce anathême contre le Cultivateur, qui feroit affez vil pour confentir de trouver fon bonheur particulier dans le malheur public.

J'ofe donc la réprouver cette liberté funefte. J'ai dit ailleurs qu'elle feroit fouverainement injufte & cruelle; j'ai dit qu'elle nous conduiroit dans la pratique, à une fin directement contraire à celle qu'on nous propofoit en fpéculation; j'ai dit qu'elle achevroit de ruiner les Peuples, en ce qu'elle les expoferoit à toutes les fureurs du monopole qui, par fon moyen, eft, tout-à-la-fois, très-facile à pratiquer, & impoffible à réprimer. Je l'ai dit & je l'ai prouvé (ƒ). Mais alors, à l'exemple de plufieurs autres Ecrivains qui m'avoient précédé, je n'ai fait qu'abattre, & maintenant il me faut reconftruire. Tel eft auffi mon objet.

(e) Arrêt du Confeil du 23 Décembre 1770.

(f) Lettre à l'Auteur des Obfervations fur le Commerce des Grains, page 13, 17 & fuiv,

A cette liberté fans frein, je propoferai d'en fubstituer une autre, qui, dirigée par une Loi fage, fous la protection du Roi, fous l'inspection des Tribunaux ordinaires en chaque lieu, fous le cautionnement de tous les Prépofés à l'exécution, fera néceffairement douce, humaine, bienfaifante, & affurera bien réellement, fi je ne me trompe pas, la fubfiftance des Villes en faifant le bien des Campagnes.

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PROJET

PROJE T.

E trouve & les caractères & les avantages de cette autre liberté, dans le confeil que donna Joseph au Roi Pharaon, & qui fit le falut de l'Égypte. « Votre Miniftre dit ce Sage au Prince, aura fous lui des Officiers fubalternès qui établiront » des greniers dans toutes les Villes du Royaume. » Ils acheteront & feront voiturer dans ces gre»niers..... la cinquième partie de tous les grains » qu'on recueillera en abondance.... & ce fera

une reffource affurée pour les fept années de » famine qui défoleront enfuite le pays. Faute de » cette précaution, les grains fe trouveront diffipés » ou vendus à vos voifins, & vos Sujets périront de "misère (g)".

L'Hiftoire Sainte m'apprend que ce confeil plut au Roi & à tous fes Miniftres (h). Puiffe le projet dont il m'a fuggéré l'idée, avoir même fuccès en France? Je ne puis que le fouhaiter; mais plus j'y ai réfléchi, plus je me fuis confirmé dans la perfuafion qu'une forte partie de ce confeil peut être adaptée à nos mœurs, & que ce que nous pouvons nous en appli

(g) Hift. du Peup. de Dieu, tome 1, liv. 4, p. 358. (h) Gen. 41. 37.

B

quer, affureroit, à perpétuité, le bonheur de la Nation, & la gloire de fes maîtres.

Je diviserai en deux parties les avantages qu'il m'a paru que le Roi pouvoit en faire réfulter pour

nous.

Dans la première, j'établirai qu'il eft, non-seulement poffible, mais même facile,

le

1o. D'affurer au Cultivateur le débit de fa récolte, moyen d'en toucher le prix, dès l'inftant où il le defirera, & par une fuite néceffaire, la facilité de payer fes fermages à chacune de leurs échéances.

2o. D'affurer de même aux Peuples, dans tout le Royaume, leur fubfiftance en pain, à un prix modéré, & qui, une fois déterminé pour chaque lieu, n'y augmentera jamais.

3o. D'affurer pareillement à l'État tout le béné fice dont l'exportation de nos Bleds peut être susceptible, fans expofer aucune contrée du Royaume à aucun des dangers dont cette exportation a été, jusqu'à présent, prefque toujours accompagnée, ou immédiatement suivie.

Dans la feconde Partie, je ferai voir qu'il est également poffible & de même facile de décharger lc Cultivateur & les Peuples de toutes Impofitions, en procurant néanmoins au Roi tous les revenus néceffaires pour rétablir inceffamment fes Finances, foutenir dignement la majefté du Trône, & fubve

hir à tous les befoins de l'État, même dans le cas des plus longues guerres.

Voilà de magnifiques promeffes, fans doute, & plus elles le font, plus je conçois que leur exécution paroîtra douteufe, ou même chimérique ; mais je supplie de nouveau mes Lecteurs, que je conftitue mes Juges, d'écarter toute prévention, & de ne me condamner, fi je dois l'être, qu'après un mûr examen.

Je ne répéterai point ici, pour accréditer mon plan, que je l'ai communiqué à des hommes éclairés, auffi bons Politiques que bons Patriotes, & qu'il a obtenu leur fuffrage. On auroit droit de ne pas m'en croire fur ma parole, ou de ne pas s'en tenir à l'opinion de mes approbateurs. Ce projet intéreffe tous les individus de la fociété : je dois donc l'expofer aux regards de la fociété entière; il eft fait pour la Nation; c'eft à la Nation qu'il appar tient de l'apprécier & de le juger.

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