Page images
PDF
EPUB

» les Campagnes, ou les Villes, les Villes, par » conféquent, feroient une œuvre profcrite par la » Providence (b)». Refte à favoir s'ils ont en effet trouvé ce moyen qui feul eft bon.

Ce moyen, dit l'Auteur que je viens de citer, & difent avec lui tous les Économistes réunis pour l'accréditer,« ce moyen ne peut être que la liberté abfo»lue & indéfinie du Commerce des denrées qui, en » enrichiffant la claffe agricole,c'est-à-dire en amé»liorant la culture, donne, d'une part, des fubfiftan » ces abondantes à vendre, & de l'autre, de gros re» venus pour payer; d'où il réfulte que la denrée fe » porte naturellement & néceffairement vers les » grandes Villes, où l'opulence des grands Proprié

taires, réunis dans ce féjour, & les befoins d'une "population nombreuse, raffemblée autour de la » richeffe, lui promettent une bonne vente & un » débit affuré. C'est ainfi, continue-t-il, que la » Nature a pourvu à jamais à l'approvisionnement » des Villes, & la Police troublera cet ordre éter» nel, harmonieux & bienfaisant ( c )».

Ainfi donc, liberté abfolue & indéfinie du Commerce des Bleds; plus de Police, plus de Réglemens fur cet objet fi effentiel: la nature y a pourvu. Ce

(b) Représentations aux Magiftrats. Page 88. (c) Ibid. Page 89.

fyftême est très-fimple, il faut l'avouer ; & s'il avoit réellement les avantages qu'on lui attribue, il seroit certainement bon. Mais les a-t-il en effet ? C'eft la queftion. En l'examinant cette question, ce ne fera, de ma part, que répondre à la fommation que fait l'Auteur à tous les Citoyens au nom de la vérité, de la justice, de l'honneur, de l'humanité, du bien public, de le combattre, fi on le croit dans l'erreur (d). Je vais le faire en peu de mots.

1o. Ce fyftême pourvoit-il réellement à la fubfiftance des Villes?

Il n'eft pas douteux que l'efpoir d'une bonne vente nous engageroit à porter nos bleds dans les grandes Villes. Mais il eft également certain que nous ne les y vendrions qu'autant qu'on nous en donneroit un bon prix; les marchands ne les y laifferoient pour être confommés, qu'autant qu'ils ne trouveroient pas de bénéfice à les en exporter. Or feroit-ce bien réellement pourvoir à la fubfiftance des Villes que d'y faire paroître beaucoup de Grains pour ne les y point vendre, ou pour ne les vendre qu'à un prix auquel le pauvre ne pourroit pas atteindre? Ne feroit-ce pas plutôt, comme dit un proverbe trivial, le faire mourir de faim fur un tas de bled, & ne lui montrer l'abondance que pour lui

(d) bid. Page 121.

1

faire fentir doublementt les horreurs de la difette?

2o. Eft-il bien vrai que la liberté abfolue du Commerce des Bleds, en enrichiffant la classe agricole d'une part, donne de l'autre de gros revenus pour payer? Eft-il bien vrai que l'aifance du Confommateur foit une fuite néceffaire de l'opulence du Cultivateur ?

Il me femble au contraire que le vendeur ne peut s'enrichir qu'aux dépens de l'acheteur; qu'ainfi le haut prix des Grains, en fuppofant qu'il enrichit la claffe agricole,appauvriroit la claffe confommatrice, & ruineroit conféquemment la population des Villes.

3o. Eft-il vrai même que la liberté abfolue & indéfinie du Commerce des Bleds enrichiroit la claffe agricole ?

N'eft-il pas évident plutôt qu'elle n'enrichiroit que les Propriétaires, qui ne manqueroient pas d'augmenter le prix de leurs baux, en proportion de l'augmentation que cette liberté donneroit au prix des grains; qu'ainfi il n'en refteroit au Cultivateur, qu'un maniement de deniers, plus confidérable fans doute, mais non pas plus utile pour lui? J'aurai bientôt occafion de développer davantage cette réflexion & celles qui fuivent.

4°. Peut-on dire que cette liberté procureroit l'amélioration de la culture, & des fubfiftances plus abondantes à vendre?

Ne porteroit-elle pas au contraire le Cultivateur à s'occuper des fpéculations du Commerce? Ne le détourneroit-elle pas des foins de fa culture? Ne le verroit-on pas fouvent employer fes valets & ses chevaux à conduire fes grains où fes spéculations lui préfenteroient l'espoir d'une vente plus lucrative? Et n'est-ce pas en effet ce qui arriva en 1765, & dans les années fubféquentes? Manquions-nous de Bleds à cette époque, & dans les vingt années qui l'ont précédée ? En avons-nous eu en abondance dans les douze années qui l'ont fuivie? Ici l'expérience parle, & tous les beaux raisonnemens ne peuvent que difparoître devant elle.

5. Je conviens que par-tout où la population fera nombreuse, le Laboureur pourra fe promettre une bonne vente & un débit affuré. La néceffité de la denrée ne permet de doute fur ce point, que dans les cas d'une grande abondance. Mais le befoin qu'on a d'une denrée, donne-t-il les moyens de la payer? Le voifinage de la richesse supplée-t-il ces moyens? Et n'eft-il pas plus vrai de dire cette population nombreufe, quoique raffemblée autour de la richeffe, périroit par ce même befoin, fi le prix de la denrée s'élevoit au-deffus du produit de fon travail, qui eft le feul revenu qu'elle ait pour payer.

que

Et fi l'augmentation du coût des denrées oblige les

[ocr errors]

riches à retrancher de leur dépense; fi l'ouvrier n'eft pas employé ; fi la concurrence le force de baiffer le prix de fa main-d'œuvre ou de fa journée pour trouver de l'occupation; s'il tombe malade; s'il devient âgé ou infirme, qui lui donnera de gros revenus pour payer? Et lorfque, faute de ces gros revenus, il ne pourra fe procurer la quantité de pain néceffaire à fa fubfiftance & à celle de fa famille, que deviendra-t-il ? Que deviendra la pauvre veuve qu'il aura laiffée chargée d'enfans en bas - âge ? La Nature y a-t-elle pourvu! L'ordre éternel harmonieux & bienfaisant qui aura fait taire la Police, fupprimé les Reglemens & porté le prix du pain au - deffus des facultés de ces malheureux Citoyens, leur en fournira-t-il ?

Aujourd'hui qu'une longue & trop trifte xpérience nous a enfin deffillé les yeux fur ce qui caufoit nos maux, ne craignons plus de le dire, la liberté du Commerce des Grains a befoin, en France, d'être contenue par des Loix févères & irrefragables. Cette liberté eft bonne en foi; mais depuis qu'elle eft devenue, en quelque forte, comme je l'ai dit en commençant, l'enfant gâté de nos beaux efprits, ils ont voulu l'affranchir de toute règle, de toute difcipline, & ils en ont fait un monftre.

C'est parce qu'elle plongeoit dans la défolation la plupart des Villes du Royaume, c'est parce

« PreviousContinue »