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Séance du 2 mars 1896.

Présidence de M. PRUVOT, président.

ÉLECTION

Sont nommés membres titulaires :

MM. Paul GUILLEMIN ;

l'abbé RONDET;

le Dr BISCH ;

GODEL;

MAUREL;

CHAPOTON;

Léon VACHER;

Georges DODERO.

CORRESPONDANCE

Obligation pour la Société de recueillir des documents

archéologiques.

M. le Dr Bonnet adresse à M. le Président la lettre suivante :

« Monsieur le Président,

Saint-Robert, le 3 mars 1896.

« Les journaux annoncent de temps en temps qu'un trouvaille archéolologique a été faite dans notre département. C'est à la Société dauphinoise d'ethnologie et d'anthopologie, qui a su grouper de nombreux chercheurs soucieux du passé et qu'intéresse l'évolution du type humain dans notre pays, c'est à la Société, dis-je, qu'incomberait le soin de recueillir les matériaux trouvés dans les fouilles, toutes les fois qu'un heureux hasard les met à jour. L'état de nos finances ne nous permettant pas de nous livrer à des fouilles méthodiques, il faut profiter de l'occasion qui nous est quelquefois offerte de matériaux accidentellement exhumés. Il ne nous est pas permis de rester étrangers à la découverte de ces documents, de quelque œil qu'on les envisage. Nous sommes moralement tenus à protéger ces témoignages ethniques contre l'ignorance ou le vandalisme et à les soustraire à l'injure du temps.

Réunir des faits positifs, des documents précieux, les classer, en enrichir notre musée, doit donc être un des premiers soins de notre Société. Chacun de nous pourra interroger ces matériaux, selon les points plus spéciaux où le désignera sa compétence et en tirer les enseignements qu'ils comportent, leurs conséquences légitimes. C'est ainsi que chacun contribuera dans sa sphèré, et selon ses moyens d'action, à élucider l'état

social, les sentiments, les mœurs, les souvenirs de race de l'homme avant l'histoire.

« Bref, la Société s'est moralement donné la mission de recueillir tout ce qui peut servir à développer les connaissances anthropologiques. Elle doit se vouer à la vulgarisation des découvertes et provoquer les recherches.

<« Je crois être l'interprète de l'esprit général, en proposant à la Société de déléguer un ou deux de ses membres pour étudier les documents mis à jour et si possible en faire l'acquisition. L'activité de la Société pourrait très utilement s'exercer de ce côté. Mais il faudrait agir promptement. Il y aurait utilité à désigner l'un de nous, d'une façon permanente, pour nous renseigner sur la valeur des documents exhumés, en faire l'achat si possible, ou en provoquer le généreux abandon au profit de la Société. Un de nos collègues les plus sympathiques, M. Müller, dont il n'est pas besoin de stimuler l'ardeur et que passionnent ces recherches, me semble tout désigné. Il trouverait facilement l'un de nous pour l'accompagner dans chacune de ces explorations. Une petite somme pourrait être mise à sa disposition. Les frais, seraient, me semble-t-il, de peu d'importance.

Il ne faut pas nous contenter de bonnes intentions. Le moment est venu de passer à l'exécution de ce plan, et je vous prie, M. le Président, de consulter la Société sur cette question. C'est une des conditions, une des causes de l'existence de la Société, qui ferait ainsi œuvre de grand mérite et d'intelligente initiative ».

La Société applaudit à l'idée de notre distingué collègue et nomme aussitôt une commission, dite Commission des fouilles, chargée de centraliser tous les documents, de les vérifier et au besoin d'agir.

La commission est composée de :

MM. le Dr BONNET;

MULLER;

le Dr Paul DODERO.

COMMUNICATIONS

Les origines de la Syphilis;
Par M. PICAUD.

Notre Société, Messieurs, possède déjà un grand nombre d'ouvrages très intéressants, grâce à nos échanges de Bulletins. Nous possédons même des ouvrages remarquables écrits en langues étrangères. Mais ces ouvravrages seraient pour nous de nulle valeur, si nous ne les lisions pas. Il faut donc que quelques-uns de nos collègues en prennent connaissance et en fassent part à la Compagnie.

J'ai parcouru les Zeitschrift für Ethnologie, de Berlin, et j'ai trouvé, dans le fasc. 5 de 1895, un article de M. Seler, intitulé: Ueber den Ursprung der Syphilis, que j'ai traduit en entier. Je vous demanderai la permission

de vous en citer quelques extraits, arrangés pour les besoins de ma communication.

Vous savez mieux que moi, Messieurs, que la question de l'origine américaine de la syphilis a été et est encore controversée. On sait que cette maladie fut constatée pour la première fois, en 1494, sous une forme bien déterminée, dans l'armée française, qui était allée, sous le commandement du roi Charles VIII, faire la conquête de Naples. La maladie est connue depuis ce temps sous le nom de maladie française (ital., mal francese, mal franzese; esp., mal francès). En considérant que l'invasion syphilitique eut lieu immédiatement après le retour des premiers explorateurs de l'Amérique, quelques savants ont conçu l'opinion que la syphilis était un cadeau fait par le Nouveau-Monde à l'Ancien. Mais cela a été très vivement controversé, et on a rassemblé des notes, tirées de toutes sortes d'écrits de l'antiquité, qui contenaient des indications sur une maladie déjà existante dans les temps les plus reculés, maladie bien connue et analogue à la syphilis.

La question se résoudrait de la manière la plus simple, si l'on pouvait constater sûrement, sur des squelettes américains d'une époque antérieure à celle de C. Colomb, les modifications qu'entraîne habituellement la syphilis à caractère grave. Jones (1) prétend bien avoir observé sur des ossements tirés des sépulcres de Tennessee, et considérés comme précolombiers, des exostoses qui lui paraissent être des manifestations certaines d'une affection syphilitique. On prétend aussi avoir découvert ces mêmes manifestations sur des ossements des Mound's d'Iowa, dans l'Illinois, le Rock River (2), et sur d'autres provenant du territoire de Nashville, dans le Kentucky (3). Broca a également constaté sur le crâne d'un Paradero, Patagon, une exostose qu'il n'hésite pas à déclarer syphilitique. On ne doit cependant pas accueillir tous ces faits sans réserve. Pour beaucoup, en effet, et même pour la plupart des cas observés, il est très possible que l'inhumation n'ait eu lieu qu'à une époque où les Européens commençaient déjà à se répandre sur le continent américain. D'autre part, on a fait ressortir, avec raison, que le plus petit nombre de ces mêmes cas pouvaient être ramenés avec certitude à la vraie Lue, à une véritable affection syphilitique. Il est toutefois difficile d'apporter de pareilles preuves, car il

(1) Jones: Aboriginal remains of Tennessee. Smithsonian. Contributions, XXII. (2) Farquharson: Procedings Am. Assoc. Advanc. sciences Détroit (Michigan), 1875. (3) Putnam: Achæological Explorations in Tennessee. Report Peabody Museum It.

semble que, dans le principe, la maladie existait chez les Indiens sous une forme anodine et qu'elle n'acquit de la gravité qu'en se transmettant aux Européens. Las Casas, du moins, avance ce fait que les habitants d'Haïti ne souffraient que fort peu de la syphilis, pas plus que s'ils eussent eu la variole, tandis que les Espagnols en étaient gravement atteints et avaient à supporter de violentes douleurs, surtout pendant la période qui précède la formation des bubons (1).

Si les preuves ostéologiques manquent jusqu'à présent, les témoignages que l'on peut retirer de la littérature indienne paraissent au contraire avoir assez de force pour qu'on n'hésite pas un instant à se déclarer partisan de l'origine américaine de cette maladie, si répandue et si

connue.

Les témoignages historiques ont déjà été réunis d'une manière complète par M. Montejo y Robledo, dans un cours public fait sur cette question dans la quatrième séance du Congrès international américain de Madrid, en 1881. Le témoignage de l'historien Oviedo est d'une importance toute particulière, car, servant en qualité de page à la cour royale, il fut témoin oculaire du retour des premiers explorateurs; on a, d'autre part, celui de l'évêque Las Casas, qui interrogea les Indiens de l'ile d'Haïti sur ce point et reçut d'eux le renseignement le plus certain, à savoir que depuis un temps immémorial la maladie avait été connue chez eux. Le père Jéromiste Roman Pane, qui, en qualité d'ethnographe, accompagna C. Colomb dans son second voyage (1495) parle, lui aussi, d'une tradition des Indiens d'Haïti, d'après laquelle le héros Guagagiona, s'étant épris d'une femme, alors qu'il était atteint de la syphilis (por estar plagado del mal que llamamos Frances), se mit à la recherche d'une station balnéaire et guérit ses plaies dans un guanara, dans un endroit écarté (2).

Quant aux preuves que l'on peut tirer de la littérature indigène, Montejo y Robledo a montré dans sa conférence qu'il y avait, dans un grand nombre de dialectes indiens, des expressions particulières pour le mot bubas, qui était devenu en Espagne l'expression technique pour

(1) Los indios, hombres o mujeres, que las tenian (las bubas), eran muy poco dellas afligidos, y cuasi no más que si tuvieran viruelas; pero à los espanoles les eran los dolores dellas grande y continuo tormento, mayormente todo el tiempo que las hubas fuera no salian »>.

(Las Casas, Historia apologetica, cap. 19).

(2) Fernando Colombo, Historie del Signor D. Fernando Colombo, nelle quali si ha particolare e vera relatione della vita e dè fatti dell' Ammiraglio D. Christoforo Colombo Suo Padre, etc., etc. Venezia, 1685.

syphilis, et que plusieurs des nations civilisées de l'Amérique connaissaient, depuis des temps très reculés, certaines plantes capables de guérir cette maladie. Il cite des passages de Sahagun et de Hernandez, dans lesquels sont décrits les remèdes que les Mexicains employaient contre la syphilis, qu'ils nommaient nanauatl.

Le passage de Sahagun (10, ch. XXVIII, § 5) est ainsi conçu d'après la traduction espagnole du Père:

« On guérit la maladie des bubons (la syphilis) en buvant une infusion de la plante tletlemaitl, en prenant quelques bains et en répandant sur les bubons la plante tlaquequetzal pulvérisée ou de la linaille de cuivre. Il y a deux sortes de bubons: les uns sont très sales, répugnants, on les nomme tlacaçol-nanauatl (gros bubons, bubons enflés); les autres sont moins graves, on les nomme tecpil-nanauatl (bubons de cavaliers, de gentlemen), ou encore pocho-nanauatl (Bombax-Ceiba -Bubons). Ces bubons causent de violentes douleurs et produisent des paralysies des mains et des pieds et rongent les os (estan arraigadas en los huesos). Quand ils s'ouvrent, il faut boire de l'Atolle (mais cuit dans l'eau mêlé avec la graine de la plante michi-uauhtli, ou une infusion de la racine quauhtepatli, 4 ou 5 fois par jour, et prendre quelques bains. Si des attaques de paralysie se produisent, le malade doit boire une infusion de racine tlatlapanaltic et se faire une saignée à l'anus. On se sert des mêmes remèdes pour l'autre espèce de bubons. »

Il ressort évidemment de ce passage qu'au temps où le P. Sahagun prit ses informations chez les Indiens du district Tlatelolco, ceux-ci connaissaient la vraie syphilis constitutionnelle et qu'ils savaient la traiter à leur manière. La même certitude résulte d'une brochure du médecin Pedarias de Benavides, que cite le Dr Jourdanet, dans un appendice à sa traduction de Sahagun. Ce Benavides fut, vers le milieu du XVI° siècle, pendant huit ans, directeur d'un hôpital de Mexico, et il prétend que la syphilis qu'il appelle bubas ou morbo galico y était beaucoup plus fréquemment traitée qu'en Espagne. La description qu'il donne de la maladie fait reconnaître d'une manière certaine qu'il avait en vue également la vraie syphilis constitutionnelle, car il dit que la maladie a son siège dans les articulations, où les douleurs devieonent très violentes et que les bubons s'établissent aussi sur les os jusqu'à complète destruction de ceux-ci.

Ces renseignements ne sont certainement pas des preuves absolues en eux-mêmes; ils datent, en effet, d'une époque environ 50-60 ans après la première apparition de la syphilis en Europe, où la maladie, même si elle eût été transportée d'Europe en Amérique, aurait eu le

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