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Nov. 1791. tions sur les rives de la Trebbia, à Novi et même à Zurich. Mais ne devançons pas les événements.

Lutte entre la cour

L'assemblée nationale, investie du mandat révoluet les partis tionnaire, se voyait avec inquiétude paralysée à demi par le veto du roi, alors qu'il s'agissait de garantir nos frontières contre les entreprises de l'émigration. Les sociétés populaires et les municipalités lui vinrent en aide, soit en apportant à sa barre des adresses furibondes, dans lesquelles on agitait l'opinion publique par le tableau exagéré des dangers de la patrie; soit en représentant Louis XVI, la reine, les ministres et la cour comme les complices des ennemis du dehors. Les journaux favoris de la multitude colportaient audacieusement ces attaques et leur donnaient une consistance sérieuse. Lorsque, de nos jours, on se représente l'empire de la presse politique, l'étrange facilité qu'elle rencontre à créer l'opinion, à la modifier, à la diriger (bien que soixante ans d'épreuves nous aient appris à nous tenir en garde contre une pareille influence), on doit être saisi d'effroi en se figurant l'impression profonde que les calomnies imprimées, au temps de Louis XVI, devaient produire sur des esprits neufs et crédules, incapables de rectifier par eux-mêmes des accusations dénuées de preuves, et d'opposer le raisonnement à la passion. Il existait bien encore des feuilles royalistes; mais, quoique assez chèrement subventionnées pour la plupart, elles rendaient peu de services à leur parti, le peuple ne les lisant jamais ou se défiant de leurs jugeManoeuvres ments. Aussi le ministère, vaincu sur le terrain de la pour diriger polémique, cherchait-il à se défendre à l'aide de moyens l'opinion. de police parfois il achetait ses ennemis, sans autre

du ministère

résultat néanmoins que de les déconsidérer et de les Nov. 1791 mettre dans l'impossibilité de lui être utiles; à l'affût des besoins d'argent et des vices qui pouvaient lui livrer quelques hommes dangereux, il donnait de l'or à Danton, il concluait des marchés honteux et inutiles avec plusieurs députés; enfin M. Bertrand de Molleville, l'un des ministres les plus disposés à trahir la révolution, qu'il affectait de servir, avait coutume de salarier des agents secrets, déguisés en bourgeois ou en gens du peuple ces hommes allaient ensuite remplir les galeries de l'assemblée législative et des jacobins, et s'efforçaient de gagner leur argent en applaudissant les orateurs feuillantins, en poursuivant de cris ou de murmures les opinants révolutionnaires. Ces manœuvres coûtaient des sommes énormes à la liste civile; mais les révolutions qu'on n'a point la force d'arrêter en les combattant de front se laissent-elles refouler en arrière par des intrigues?

cherche à

l'émigration

La révolution française ne pouvait tolérer l'attitude L'assemblée prise contre elle par les électeurs de Trèves et de combattre Mayence, et par l'évêque de Spire. Ces princes germaniques, en favorisant, en souffrant même sur leurs territoires les rassemblements de l'émigration armée, participaient, envers la France, à un système de malveillance qui, en tout temps et chez tous les peuples, a dû avoir la portée d'une déclaration de guerre il était donc urgent de mettre fin à ces hostilités déguisées, et la question fut mise à l'ordre du jour par l'assemblée nationale, sur le rapport de son comité diplomatique.

La discussion fut ouverte par un discours d'Isnard,

Discours d'Isnard.

Nov. 1791. ce rhéteur inégal et passionné, qui se croyait appelé à Discussion. remplacer Mirabeau, parce qu'il pouvait, sans fatiguer ses poumons, se concilier l'admiration des galeries par des phrases violentes. Isnard parla en faveur du projet de décret, et demanda que le pouvoir exécutif fût chargé de prendre des mesures promptes et décisives pour forcer les princes de l'empire à dissoudre les corps d'émigrés organisés sur leurs domaines. « Ces mesures, dit

il, sont approuvées par l'intérêt public; elles sont << commandées par la majesté nationale... Esclave, le << peuple français fut intrépide et fier; libre, serait-il << timide et faible? Traiter tous les peuples en frères, « ne faire aucune insulte, mais n'en souffrir aucune; <«<< ne tirer le glaive que pour la justice, ne le remettre « dans le fourreau qu'après la victoire; enfin, toujours

prêt à combattre pour la liberté, toujours prêt à << mourir pour elle, et à disparaître tout entier de des« sus le globe plutôt que de se laisser réenchaîner, << voilà le caractère du peuple français. » (On applaudit à plusieurs reprises.)

« Un peuple en état de révolution est invincible; l'é<< tendard de la liberté est celui de la victoire; le mo<< ment où le peuple s'enflamme pour elle est celui des << sacrifices de toutes les espèces, de l'abandon de tous « les intérêts, et de l'explosion redoutable de l'enthou«siasme guerrier. Ne craignez donc rien, sinon que le peuple se plaigne de ce que vos décrets ne correspon«dent pas à son courage.

<< La voie des armes est la seule qui vous reste contre <«< des rebelles qui ne veulent pas rentrer dans le de« voir. En effet, toute idée de capitulation serait un

«< crime de lèse-patrie. Eh! quelle infàme capitulation! Nov. 1791. << Nos adversaires sont les ennemis de la constitution; «< ils veulent, par le fer et la famine, ramener les par<«<lements et la noblesse, et augmenter les prérogatives <«< du roi, d'un homme dont la volonté peut paralyser la << volonté de toute une nation; d'un homme qui dévore <«<< trente millions, quand des millions de citoyens sont « dans la détresse.» (Les tribunes applaudissent. - II s'élève des murmures dans l'assemblée.) « Ils veulent << ramener les parlements qui vendaient la justice; ils << veulent ramener la noblesse, qui, dans son orgueil, << insolente et barbare, croit que les citoyens ne sont « pas des hommes. Ils veulent ramener la noblesse! <«<< Ah! du haut de cette tribune, nous électriserons tous «<les Français; tous, versant d'une main leur or et te<< nant le fer de l'autre, combattraient cette race or«<gueilleuse et la forceraient d'endurer le supplice de « l'égalité. (On applaudit.)

<< Élevons-nous, dans cette circonstance, à toute la <<< hauteur de notre mission: parlons aux ministres, au « roi, à l'Europe, avec la fermeté qui nous convient. « Disons à nos ministres que jusqu'ici la nation n'est << pas très-satisfaite de la conduite de chacun d'eux. (On

applaudit.) Que désormais ils n'ont qu'à choisir entre <«< la reconnaissance publique et la vengeance des lois, <«<et que par responsabilité nous entendons la mort.

(Applaudissements prolongés.) Disons au roi que son « intérêt est de défendre la constitution; que sa cou<«<ronne tient à ce palladium sacré; qu'il ne règne que << par le peuple et pour le peuple; que la nation est son << souverain, et qu'il est sujet de la loi. Disons à l'Eu

Nov. 1791. « rope que le peuple français, s'il tire l'épée, en jettera « le fourreau; qu'il n'ira le chercher que couronné des << lauriers de la victoire; et que, si, malgré sa puissance << et son courage, il succombait en défendant sa liberté, << ses ennemis ne régneraient que sur des cadavres. (On << applaudit.) Disons à l'Europe que, si les cabinets en«gagent les rois dans une guerre contre les peuples, << nous engagerons les peuples dans une guerre contre <«<les rois. (On applaudit.) Disons-lui que tous les com<< bats que se livreront les peuples par ordre des des« potes... (Les applaudissements continuent.) N'applau<< dissez pas! respectez mon enthousiasme, c'est celui « de la liberté.

<«< Disons-lui que tous les combats que se livrent les peuples, par ordre des despotes, ressemblent aux <«< coups que deux amis, excités par un instigateur per« fide, se portent dans l'obscurité : si la clarté du jour « vient à paraître, ils jettent leurs armes, s'embrassent <«<et châtient celui qui les trompait. De même si, au <«<< moment que les armées ennemies lutteront contre « les nôtres, le jour de la philosophie frappe leurs « yeux, les peuples s'embrasseront à la face des ty<<rans détrônés, de la terre consolée et du ciel satis<<< fait.

<«< Disons-lui enfin que dix millions de Français, em« brasés du feu de la liberté, armés du glaive, de la plume, de la raison, de l'éloquence, pourraient <«< seuls, si on les irrite, changer la face du monde et « faire trembler tous les tyrans sur leurs trônes d'ar<< gile.

« Je demande que le décret proposé soit adopté à

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