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devinrent plus tard, quand l'expérience les eut forti- Oct. 1791. fiées; mais, à défaut de l'intelligence bien lucide des principes, le cri des intérêts compromis conseillait aux classes moyennes de s'en tenir à tout ce qui pouvait être encore pour elles une garantie de sécurité et d'ordre. Si donc les raisons de sentiment avaient peu de prix à leurs yeux, le dépérissement complet du commerce et de l'industrie, la multiplicité des banqueroutes, la ruine des principales maisons, la cherté du pain, l'absence du numéraire, la permanence des attroupements et des émeutes, toutes ces circonstances réunies accroissaient des sympathies égoïstes, mais constitutionnelles, que le danger personnel du roi et les atteintes portées au culte n'auraient pu suffisamment éveiller.

Or Dieu, qui punit les peuples par les révolutions, ne permet pas que le châtiment reste inachevé et que l'injustice moissonne dans la paix: ces législateurs, qui avaient fondé sans lui l'édifice de la nouvelle constitution, étaient donc réservés à voir de leur vivant leurs plans informes rejetés et méprisés; la philosophie matérialiste, qui avait seule servi de base et de règle à ce code, devait être confondue par l'impuissance de son œuvre; la bourgeoisie allait apprendre qu'en dehors des principes éternels de la vérité et du droit, le monde étant livré à l'empire brutal du nombre, la force détruit ce qui a été établi par la force.

L'assemblée législative avait été élue sous l'impression du voyage de Varennes et des colères soulevées par l'émigration. Bien que le corps électoral n'eût pas entièrement répondu aux espérances des jacobins, les

État

des partis

dans

l'assemblée législative.

Out. 1791, députés, sans exception, avaient tous été choisis parmi les amis notoires de la révolution et de ses idées. L'ancien côté droit ayant entièrement disparu, les institutions contre lesquelles on avait prêté le serment du jeu de paume ne comptaient dans les rangs des nouveaux législateurs aucun défenseur, aucun fidèle: mais, par le jeu ordinaire des révolutions, qui pousse l'un après l'autre, et sans leur donner quelque relâche, les partis,. les systèmes et les hommes, l'ancien côté gauche de la constituante, ce foyer d'agitation qu'avaient entretenu Duport, Barnave et les Lameth, était devenu le côté droit, la portion modérée de l'assemblée législative. Les députés de la nouvelle droite, pénétrés du ferme vouloir de maintenir jusqu'au bout l'œuvre de leurs devanciers, aimaient à se proclamer le parti constitutionnel, tandis que les journaux populaires les désiLe parti gnaient sous le nom de feuillants, par allusion au club Le côté droit, célèbre dans le sein duquel leurs doctrines rencontraient le plus de faveur. Ils appuyaient d'ailleurs de leurs suffrages le ministère choisi par Louis XVI, et qui se composait de quelques hommes sincèrement dévoués au roi et à la constitution, dont ils ne séparaient point la cause Pastoret et Vaublanc, Girardin, Jaucourt, Ramond, Becquey et Dumas, étaient les hommes les plus considérables, les chefs naturels de ce parti.

des feuil ants

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La Gironde.

Le département de la Gironde, et Bordeaux sa généreuse capitale, avaient envoyé siéger à l'assemblée législative plusieurs hommes dont les noms, jusqu'alors demeurés obscurs, étaient réservés à une longue célébrité. L'histoire de leurs fautes et de leurs malheurs viendra plus tard, et à mesure que nous déroulerons les

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pages de ce livre. Pour le moment, les hommes de cette Oct. 1791. nuance s'ignoraient encore eux-mêmes, et ils représentaient moins une opinion forte que les éléments d'un parti encore à constituer. La Gironde (ainsi fut nommée cette fraction de l'assemblée) ralliait à elle des députés de plusieurs provinces éloignées du Bordelais, mais que des sympathies avouées ou la communauté des principes rattachaient à son drapeau. Ce qui séparait les Girondins des feuillants, c'est qu'au fond du cœur ils se laissaient séduire par des illusions républicaines; c'est que les idées de la liberté classique troublaient leur génie ils rêvaient les comices de Rome; c'est qu'ils préparaient dans leur pensée un ordre social imité de la démocratie d'Athènes, et dont ils n'excluaient ni une certaine facilité de mœurs, ni les arts, ni Aspasie, ni Périclès. La Gironde comptait dans ses rangs quelques jeunes hommes au cœur chaud, à intelligence prompte, à parole facile, et parmi eux on distinguait Vergniaux, Guadet, Ducos et Gensonné, les uns et les autres promis à la tribune et au bourreau; mais le chef que leur donnait l'opinion publique, et le publiciste dont ils recherchaient volontiers les conseils, était ce même Brissot, député du département de Paris, dont le nom a déjà figuré dans ce récit.

Né dans une famille obscure, et honteux d'être simplement le fils d'un honnête rôtisseur de Chartres, Brissot avait ajouté à cette vaniteuse faiblesse le ridicule de se donner un nom d'emprunt: il se faisait appeler Brissot de Warville. C'était un écrivain doué de quelques talents, mais à qui manquaient la probité et l'esprit de travail. Livré à de continuels besoins d'ar

Brissot.

Oct. 1791. gent, il avait passé sa jeunesse à rédiger des livres et des pamphlets dépourvus de conscience et de style, et parmi lesquels il s'en trouvait de ceux qu'un honnête homme repousse avec dégoût. Auteur de libelles impies ou obscènes, qu'une société d'escrocs littéraires soldait à Londres, pour trafiquer ensuite de son silence avec la police française, Brissot avait tour à tour écrit contre la religion et la morale, et rédigé dans le sens de l'aristocratie anglaise des volumes où la cause du peuple était calomniée et condamnée. Las de se traîner dans cette fange, il était revenu en France, où on lui avait fait l'honneur de le mettre à la Bastille; c'était le rehausser à ses propres yeux, et le tirer du mépris pour l'ériger en victime. Peu de mois après, Brissot, comprenant le besoin de se faire oublier, voyageait en Amérique, et obtenait de Franklin et de Washington, aussi facilement dupes que le sont les grands hommes, des témoignages de sympathie et d'estime, à l'ombre desquels il aimait à se croire entièrement purifié de son passé. De retour en France, où le rappelaient les premiers orages de la révolution, il avait su mettre à profit les notions acquises dans ses pèlerinages de libelliste, et son journal' avait été promptement considéré comme l'organe le plus avancé de la diplomatie révolutionnaire. Aidé dans sa nouvelle carrière par Rolland et sa femme, par Girey-Dupré et Mirabeau; membre du corps municipal au 14 juillet, mêlé aux jacobins, serviteur complaisant de Bailly et de la Fayette, flatteur des constitutionnels et des radicaux, il avait réussi à

↑ Le Patriote français.

exercer une influence considérable sur les événements Oct. 1791. et sur l'opinion, sans cesser d'être pour le plus grand nombre un révolutionnaire de circonstance et un patriote douteux; car, poursuivi par la honte de son passé, il n'avait pu obtenir de l'estime publique une complète amnistie; et le collége électoral de Paris, qui l'avait choisi, n'avait entendu proclamer son nom parmi ceux des nouveaux députés qu'après onze scrutins d'un pénible et laborieux ballottage.

Disciple de Voltaire, et plusieurs fois son complice Condorcet. dans l'œuvre de destruction philosophique dont le patriarche de Ferney fut le principal instrument, MarieJean Caritat, marquis de Cordorcet, membre de l'Académie des sciences et de la secte encyclopédique, était alors le digne émule de Brissot et le second chef du parti girondin. C'était d'ailleurs un homme qui aurait regardé en arrière sa vie sans y trouver la bassesse ou l'improbité, s'il avait pu oublier que, de concert avec Voltaire, il avait autrefois érigé le mensonge en système, afin d'épargner à la philosophie des contradictions rudes et incommodes. D'Alembert disait de lui: « C'est un volcan couvert de neige; » et ce mot n'était juste qu'à moitié. Si quelque flamme intérieure circulait dans le cœur de Condorcet, froid écrivain et rhéteur didactique, ce n'était tout au plus que le feu sombre de l'orgueil : non qu'il mît sa gloire dans les distinctions de caste, dans les honneurs décernés par les corporations savantes; il savait les dédaigner à propos, et aller à cet égard au-devant des exigences populaires mais, comme Sieyès, qu'il était loin d'égaler, il aimait à se complaire en son propre génie, à chercher

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