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Nov. 1791. de la loi et de la liberté, la ruine des maîtres, leur massacre et la plus effroyable anarchie.

Révolte des noirs.

L'assemblée constituante n'avait pu méconnaître entièrement ces dures nécessités; mais le club des amis des noirs n'entendait pas favoriser, par son inaction, les retardements du corps législatif. Ses chefs se hâtèrent d'adresser aux nègres des colonies, et par milliers, des exemplaires de la Déclaration des droits de l'homme, accompagnés des commentaires qu'avait dictés une logique implacable. Vers le même temps l'assemblée coloniale de Saint-Domingue, au lieu d'entrer dans une voie de concessions prudentes et justes, affichait la prétention de maintenir indéfiniment la dégradation légale qui, au profit des blancs, pesait sur les hommes de couleur. Une lutte acharnée s'engagea entre les deux races.

Secrètement excités par l'Angleterre, qui avait hâte Massacres. de ruiner notre prospérité coloniale, les noirs réclamèrent par des assassinats et des incendies leur immédiate émancipation. Subitement menacés dans leurs priviléges, dans leurs biens et dans leurs personnes, les blancs se mirent peu en peine des ordres de l'assemblée nationale et de la déclaration écrite des Droits de l'homme et du citoyen: ils prirent les armes, ils essayèrent de comprimer par la terreur la révolte des esclaves; mais ceux-ci ne se laissèrent intimider ni par les défaites ni par les supplices; ce fut une guerre atroce, où la barbarie africaine se signala par d'épouvantables représailles. Pendant le mois d'août 1791, toute la province du nord fut livrée au fer et à la flamme. Deux mille blancs de tout âge et de tout

sexe furent massacrés avec des raffinements inouïs de Nov. 1791. cruauté; de leur côté, les blancs fusillèrent au Cap ceux des rebelles qui étaient tombés en leur pouvoir. Cependant les mulâtres hésitèrent un moment, et plusieurs d'entre eux se rangèrent sous le drapeau des colons. Il eût été facile de se les attacher, en leur faisant de justes concessions, en leur reconnaissant les droits qui appartiennent aux hommes libres; mais les blancs maintinrent jusqu'au bout les priviléges odieux à cette race, et la masse des gens de couleur finit par grossir les rangs de l'insurrection. D'autres provinces de l'île entrèrent alors en pleine révolte; les plantations furent partout pillées, dévastées, brûlées; le 22 novembre, un incendie allumé par les noirs dévora le Port-auPrince : la perte des marchandises, du mobilier, des édifices, dépassa soixante millions; les blancs, pour se venger, massacrèrent deux mille femmes de couleur. Bientôt le nombre des noirs révoltés s'éleva à cent mille; et, l'insurrection ayant gagné la région des montagnes, la colonie entière fut en proie aux horreurs d'une guerre d'extermination.

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A la première rumeur de ces désastres, les villes maritimes de France comprirent qu'il y allait de leur prospérité et du sang de leurs enfants. Pendant que la population de Paris, généralement livrée à des préoccupations moins éloignées, accueillait avec une sorte d'indifférence, mêlée d'une égoïste stupeur, les affreuses nouvelles de Saint-Domingue, les ports de mer offraient leur concours, et s'imposaient spontanément de grands sacrifices pour engager la métropole à sévir contre les esclaves. Mais les jacobins et leurs adeptes leur en vou

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Nov. 1791. de la loi et de la liberté, la ruine des maîtres, leur massacre et la plus effroyable anarchie.

Révolte des noirs.

L'assemblée constituante n'avait pu méconnaître entièrement ces dures nécessités; mais le club des amis des noirs n'entendait pas favoriser, par son inaction, les retardements du corps législatif. Ses chefs se hâtèrent d'adresser aux nègres des colonies, et par milliers, des exemplaires de la Déclaration des droits de l'homme, accompagnés des commentaires qu'avait dictés une logique implacable. Vers le même temps l'assemblée coloniale de Saint-Domingue, au lieu d'entrer dans une voie de concessions prudentes et justes, affichait la prétention de maintenir indéfiniment la dégradation légale qui, au profit des blancs, pesait sur les hommes de couleur. Une lutte acharnée s'engagea entre les deux races.

Secrètement excités par l'Angleterre, qui avait hâte Massacres. de ruiner notre prospérité coloniale, les noirs réclamèrent par des assassinats et des incendies leur immédiate émancipation. Subitement menacés dans leurs priviléges, dans leurs biens et dans leurs personnes, les blancs se mirent peu en peine des ordres de l'assemblée nationale et de la déclaration écrite des Droits de l'homme et du citoyen: ils prirent les armes, ils essayèrent de comprimer par la terreur la révolte des esclaves; mais ceux-ci ne se laissèrent intimider ni par les défaites ni par les supplices; ce fut une guerre atroce, où la barbarie africaine se signala par d'épouvantables représailles. Pendant le mois d'août 1791, toute la province du nord fut livrée au fer et à la flamme. Deux mille blancs de tout âge et de tout

sexe furent massacrés avec des raffinements inouïs de Nov. 1791. cruauté; de leur côté, les blancs fusillèrent au Cap ceux des rebelles qui étaient tombés en leur pouvoir. Cependant les mulâtres hésitèrent un moment, et plusieurs d'entre eux se rangèrent sous le drapeau des colons. Il eût été facile de se les attacher, en leur faisant de justes concessions, en leur reconnaissant les droits qui appartiennent aux hommes libres; mais les blancs maintinrent jusqu'au bout les priviléges odieux à cette race, et la masse des gens de couleur finit par grossir les rangs de l'insurrection. D'autres provinces de l'île entrèrent alors en pleine révolte; les plantations furent partout pillées, dévastées, brûlées; le 22 novembre, un incendie allumé par les noirs dévora le Port-auPrince la perte des marchandises, du mobilier, des édifices, dépassa soixante millions; les blancs, pour se venger, massacrèrent deux mille femmes de couleur. Bientôt le nombre des noirs révoltés s'éleva à cent mille; et, l'insurrection ayant gagné la région des montagnes, la colonie entière fut en proie aux horreurs d'une guerre d'extermination.

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A la première rumeur de ces désastres, les villes maritimes de France comprirent qu'il y allait de leur prospérité et du sang de leurs enfants. Pendant que la population de Paris, généralement livrée à des préoccupations moins éloignées, accueillait avec une sorte d'indifférence, mêlée d'une égoïste stupeur, les affreuses nouvelles de Saint-Domingue, les ports de mer offraient leur concours, et s'imposaient spontanément de grands sacrifices pour engager la métropole à sévir contre les esclaves. Mais les jacobins et leurs adeptes leur en vou

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Nov. 1791. lurent de ce zèle. Sans oser avouer hautement leurs

Effets du veto royal. Conflits.

sympathies pour l'armée des noirs, pour cette hideuse
révolte qui avait arboré un enfant empalé, en guise
d'enseigne, ils fermèrent les yeux sur des attentats qui
n'étaient, à les entendre, que les inévitables réactions
de l'esclavage contre la tyrannie. L'assemblée natio-
nale rendit un décret qui autorisait le pouvoir exécutif
à envoyer un détachement de trois mille cinq cents
hommes de troupe à Saint-Domingue; mais ce n'était
là qu'une mesure insuffisante, en présence des besoins
que
la révolte des noirs avait révélés. Ces faibles pallia-
tifs n'arrêtèrent donc point les événements dont Saint-
Domingue était le théâtre, et qui devaient avoir pour
résultat d'enlever à la France la plus riche et la plus
puissante de ses possessions d'outre-mer.

Cependant le refus qu'avait fait le roi de s'associer
aux mesures décrétées contre les émigrés de l'Église
avait soulevé, chez les révolutionnaires, une irritation
profonde, dont il était plus facile de pressentir que
d'empêcher l'explosion. Quand le ministre de la justice,
Duport-Dutertre, vint annoncer à l'assemblée le veto
royal, il se mit en devoir de faire connaître les motifs
auxquels Louis XVI avait cru convenable de céder: l'as-
semblée lui ôta dédaigneusement la parole, sous pré-
texte que,
si la constitution donnait au roi le droit de
veto, elle ne lui accordait pas celui de présenter l'apo-
logie des raisons qui le déterminaient à user de sa pré-
rogative. Quelques députés allèrent même jusqu'à de-
mander qu'on passât outre, et que, nonobstant le refus
du roi, les décrets fussent proclamés avoir force de loi,
attendu que, selon eux, le veto ne pouvait s'appliquer

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