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Oct. 1791. étaient partout installées sous les emblèmes d'une fraternité menteuse.

Sentiments du roi

et de MarieAntoinette.

Dispositions des

royalistes.

Le roi, malgré les faux semblants de liberté dont sa personne était entourée, n'en était pas moins le prisonnier du peuple, l'otage naturel de la révolution. Les humiliations de Varennes avaient laissé dans son cœur le double sentiment de la douleur et de la crainte : vaincu par le parti constitutionnel, il subissait le joug des lois qu'il avait jurées, mais sa conscience troublée hésitait entre les engagements de la veille et le repentir du lendemain. Héritier des glorieux priviléges de Philippe-Auguste et de Louis le Grand, il se demandait jusqu'à quel point un serment prêté à la jacquerie pouvait le lier; et, reportant alors ses yeux avec une inquiétude mêlée d'un vain espoir vers les frontières du Rhin, au delà desquelles campaient l'émigration et l'avant-garde de l'Europe, il attendait des circonstances, plus fortes que lui, tantôt le comble de ses misères, ét tantôt aussi la restauration de son trône. La reine, moins résignée, mais non moins impuissante, détestait le triomphe de ses ennemis et tremblait pour ses enfants. Madame Élisabeth offrait à Dieu sa propre vie en sacrifice, et, quoi qu'il pût advenir, elle n'ambitionnait d'autre destinée que de partager la bonne ou la mauvaise fortune de son frère. Autour d'eux, enfin, se pressaient les seuls courtisans dignes de respect, ceux qui se consacrent à honorer le malheur; mais leurs épanchements et leurs espérances étaient épiés par des traîtres, et c'est à peine s'ils osaient encore s'attendrir

en secret.

Pendant que la plus grande partie de la noblesse,

convoquée par le comte d'Artois et M. de Calonne, cher- Oct. 1791. chait à Coblentz un refuge et un drapeau, ceux de la noblesse et du clergé qui n'avaient point encore voulu abandonner le roi à sa fortune et à ses dangers cherchaient à lutter, en France, contre les menaces de la révolution. Les uns continuaient à propager ou à solder des gazettes et des pamplets monarchiques; d'autres entretenaient avec les émigrés ou avec les nobles des provinces des correspondances actives, à l'aide desquelles ils faisaient circuler le mot d'ordre de la cour; peu d'entre eux cependant osaient avouer en public leur fidélité et leurs sympathies: les bravades qu'ils se permettaient à huis clos eussent soulevé trop d'orages. Mais, comme de tous les partis que nos discordes ont mis en évidence celui de la vieille royauté se repaît le plus promptement d'illusions et accueille avec le plus d'enthousiasme les fausses lueurs, les ennemis de la révolution continuaient à se nourrir des chimères les plus décevantes, acceptant comme autant de signes de salut des bruits de ville sans base certaine, et d'absurdes rumeurs colportées par les journaux. On ne saurait dire à quelles fautes et à quelles imprudences se laissaient entraîner des hommes réchauffés dans cette atmosphère de puérile crédulité.

Presse royaliste.

Fausses rumeurs.

De petits journaux malicieux, des feuilles plus sérieuses, quelques écrivains, Suleau, l'abbé Royou', et parfois Rivarol, ravivaient encore avec courage le feu Bravades. monarchique. Ceux-là du moins ne se cachaient pas

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Roi.

Le premier, rédacteur des Actes des Apôtres; l'autre, de l'Ami du

Oct. 1791. pour faire appel à l'émigration et aux puissances étrangères, pour montrer dans un prochain avenir, aux chefs de la révolution, les vengeances que l'Europe allait exercer, et le châtiment inexorable promis à quiconque aurait participé aux lois nouvelles. Tantôt on annonçait l'approche si longtemps souhaitée des armées autrichiennes ou de la flotte russe; tantôt, quand l'événement avait démenti cette première menace, on consolai les vaincus de la révolution en étalant sous leurs yeux la liste supplémentaire des émigrés, les revues passées à Coblentz par les frères du roi, la désertion des officiers nobles, et la désorganisation des régiments français. En regard de ces fortes troupes impériales, naguère occupées à combattre les Ottomans et tout fraîchement concentrées sur le Rhin, on exposait avec dédain l'inexpérience et l'indiscipline des gardes nationales de France; on se plaisait à dire que, malgré toutes les bravades des journaux, quelques centaines d'hommes mal équipés et mal disposés avaient seules répondu encore à l'appel des jacobins et consenti à s'enrôler sous le drapeau tricolore. On attendait que les Prussiens fissent justice à coups de plat de sabre de ce ramas de garçons tailleurs et de bourgeois, si vaniteux sous leurs épaulettes rouges; puis c'étaient tour à tour Amiens, Metz, Strasbourg, Toulouse, d'autres villes encore, qui refusaient obéissance à la révolution, et se tenaient prêtes à revenir à la cause du roi. Enfin, on tenait registre des plaintes du commerce et de l'industrie; on se félicitait de la dépréciation des assignats; on calculait le peu de temps que tout ceci pouvait encore durer, et l'on redressait la tète.

de l'irritation

Est-il besoin de dire que ces sentiments et ces espé- Oct. 1791. rances irritaient le peuple et le rendaient de plus en Progrès plus implacable? Réchauffée par l'exemple des cordeliers populaire. et des jacobins, stimulée par des pamphlets cyniques, exaltée par des orateurs de bornes, la multitude, en dépit de ses souffrances, ne donnait tort ni à elle-même ni à la révolution; elle ne s'en prenait qu'aux « aristocrates» de la rareté du numéraire et du manque de travail; elle leur imputait de favoriser la contrefaçon du papier-monnaie; surtout, elle frémissait de leur joie imprudente, lorsque se répandait l'annonce vraie ou fausse des armements de l'Europe; et elle ne voyait dans les contre-révolutionnaires que les complices et les affidés de l'ennemi du dehors.

et sentiments dé la

bourgeoisie.

Dans la pensée de quelques hommes, qui croyaient Attitude former le parti des sages, le mouvement de 1789 n'aurait dû avoir d'autre résultat que de régulariser par les institutions l'émancipation de la bourgeoisie, lentement élaborée depuis le jour où la première charte d'affranchissement avait été conquise par une commune. Selon eux encore, tout ce qui tendait à dépasser ce but, comme aussi à le faire manquer, ne pouvait amener que des efforts impuissants ou des crises passagères. Et en cela ils ne se trompaient pas l'humanité, dans ses transformations politiques, semble être assujettie à la loi éternelle des transactions : elle ne franchit point, sans reprendre haleine durant des siècles peut-être, le temps qui sépare l'adolescence des peuples de leur âge viril; mais, par ce même ordre providentiel qui lui a tracé les voies qu'elle suit d'un pas inégal, du jour où un élément social s'est enfin affranchi, de l'heure même

Oct. 1791. où une classe a remporté le triomphe et jouit de la plénitude du pouvoir, à ses côtés surgit et se montre soudainement l'ennemi qui doit désormais lui disputer le terrain, la combattre et quelquefois la vaincre. La bourgeoisie était à peine puissante et armée, elle tenait à peine le roi dans sa dépendance, la noblesse dans l'humiliation, le clergé sous la menace, que déjà les éléments populaires, les pauvres et les artisans, ces serfs de la féodalité moderne, apparaissaient avec leurs besoins mal compris, leurs fureurs prématurées, leurs souffrances aveugles, et surtout avec leurs guides naturels, les ambitieux désappointés, les agitateurs qui n'avaient pu trouver à se classer, les comédiens de journalisme et de clubs, qui ne recueillent que dans le désordre public le salaire de leurs provocations et la satisfaction de leurs vanités.

Dispositions de la garde

Réaction

la

Les gardes nationales, c'est-à-dire les classes moyennationale. nes organisées et armées, commençaient à s'effrayer morale chez de cette prochaine invasion des barbares du prolétabourgeoisie riat. Elles regrettaient la Fayette, qui devait bientôt se conformer aux dispositions de la loi constitutionnelle et résigner son commandement suprême; leurs témoignages d'estime et d'affection accompagnaient également l'ancien maire Bailly dans sa retraite prévue. La bourgeoisie, franchement effrayée de la menace d'une révolution nouvelle qui établirait le gouvernement républicain, désirait s'en tenir à la constitution, et conserver le simulacre de la royauté et le nom de la monarchie en dehors de ces limites, elle n'entrevoyait que des abîmes. Non pourtant que ces velléités conservatrices fussent raisonnées et vivaces comme elles le

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