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— « Je proteste ignorer encore cette conspiration Sept. 1792. «< contre le peuple.

- « Vous avez eu des correspondances avec les émi

« grés, et vous avez reçu du prince de Condé la lettre <«< que vous avez sous les yeux.

- «Recevoir des lettres d'un parent n'est pas un «< crime. Celle que vous me présentez ne contient rien <<< contre la nation.

<< Faites serment d'aimer la liberté et l'égalité; <<< faites serment de haïr le roi et la reine.

- « Le premier serment, je le ferai; le second, je « ne le ferai pas: il n'est pas dans mon cœur.

-

-« Jurez donc, dit l'un des juges qui voulait la << sauver; jurez, et vous serez épargnée.

- «Jamais je ne jurerai haine au roi et à la reine! >> Cette noble réponse devait être suivie d'un arrêt de mort. Le président prononça ces mots : Qu'on élargisse madame; et les deux brigands qui avaient amené la princesse l'entraînèrent au delà du guichet.

Les uns disent que les hommes qui s'intéressaient à elle lui avaient recommandé de crier Vive la nation! mais qu'effrayée à la vue du sang et des cadavres elle dit involontairement: Quelle horreur! et que les assassins, prenant ces mots pour une bravade, l'avaient à l'instant frappée. Des récits plus dignes de foi peut-être font connaître que, du moment où elle se vit conduite, à travers des monceaux de cadavres, sur un pavé couvert de membres humains et ruisselant de sang, elle se borna à dire: Je suis perdue! et qu'alors ses jambes fléchirent. En passant le seuil de la porte, elle reçut derrière la tête un coup de sabre

Sept. 1792. qui fit jaillir son sang. Deux hommes la tenaient fortement sous les bras, et la forçaient de marcher sur des corps mutilés. Elle s'évanouissait à chaque instant. Quand elle fut arrivée au passage étroit qui de la prison mène à la rue Saint-Antoine, elle tomba dans une telle faiblesse, qu'il ne lui fut plus possible de se relever on l'acheva à coups de pique, sur un tas de cadavres.

Quand elle fut morte, les brigands coupèrent sa tête et se partagèrent son corps : les débris qu'ils ne placèrent pas au bout de leurs piques furent traînés dans le ruisseau par la multitude. La plume s'arrête épouvantée devant ces horribles détails; elle en omet d'autres qu'il est impossible de retracer. Quand les égorgeurs qui portaient la tête de madame de Lamballe l'eurent lavée avec soin, ils firent une dernière fois poudrer et friser ces blonds cheveux que la cour avait tant admirés; puis ils la fardèrent avec du sang, et promenèrent dans les rues de Paris ce trophée à jamais lamentable. D'abord ils furent la présenter au duc d'Orléans, qui se trouvait alors à une fenêtre du PalaisRoyal. Le prince considéra un moment cette tête coupée, et s'éloigna en silence, sans oser témoigner les sentiments que ce spectacle éveillait en lui, et comme s'il eût craint à la fois la postérité et les assassins. Mais ces derniers avaient encore une joie infâme à goûter ils voulaient contraindre Marie-Antoinette à venir elle-même contempler et baiser la tête de cette infortunée, qui l'avait tant aimée. Dans la foule, un assassin portait à la pointe de son sabre le cœur de la princesse. L'affreux cortége se ruait vers la

:

La foule le Temple,

se porte vers

mais elle con

sent à épargner

royale.

tour du Temple, qui renfermait Louis XVI et sa famille. Sept. 1792. Le 3 septembre, à une heure, le roi et les princesses avaient témoigné le désir de se promener dans le jardin; mais leurs gardes s'y étaient opposés. Pendant le repas, ils avaient entendu le bruit des tam- la famille bours et les cris de la populace; mais ils ne savaient que bien imparfaitement les attentats dont Paris était le théâtre. Soudain la tête de madame de Lamballe fut hissée au bout d'une pique, à la hauteur d'une des fenêtres de la prison. La femme du concierge, qui l'aperçut la première, jeta un grand cri; et la foule, croyant reconnaître l'accent du désespoir de la reine, répondit par des acclamations féroces. La tête, quoique sanglante, n'était point défigurée; ses cheveux bouclés flottaient autour de la pique.

Dans ce moment, un officier municipal entra dans la tour du Temple, suivi de quatre hommes; l'un de ces derniers, revêtu de l'uniforme de la garde nationale, insista pour que le roi et sa famille s'approchassent de la fenêtre; les autres s'y opposèrent. Cet homme dit alors à la reine, du ton le plus grossier: « On veut << vous cacher la tête de la Lamballe, que l'on vous «< apportait pour vous faire voir comment le peuple se << venge de ses tyrans. Je vous conseille de paraître, << si vous ne voulez pas que le peuple monte ici. » A ces paroles, la reine tomba évanouie; on s'empressa -autour d'elle cet homme regardait, et ne s'en allait pas. Le roi alla à lui, et lui dit avec fermeté: « Mon<«<< sieur, nous nous attendons à tout; mais vous auriez << pu vous dispenser d'apprendre à la reine cet affreux <<< malheur. >>>

Sept. 1792.

La reine, revenue à elle, mêla ses larmes avec celles de ses enfants, et passa avec la famille royale dans la chambre de madame Élisabeth, d'où l'on entendait moins les clameurs du peuple'. Cependant les brigands insistaient pour forcer l'entrée de la prison, et un officier municipal, nommé Daujon, les haranguait pour les dissuader de ce dessein : « La tête d'Antoi<«<nette ne vous appartient pas, leur disait-il; les dé«partements y ont des droits. La France a confié les

grands coupables à la ville de Paris : c'est à vous à << nous aider à les garder jusqu'à ce que la justice na<«<tionale venge le peuple. » Ce ne fut qu'après une heure de résistance qu'il parvint à les éloigner; d'autres vinrent ensuite à la charge, traînant le corps sanglant et mutilé de la princesse de Lamballe et vociférant des menaces contre le roi et sa famille. La commune, n'osant prendre sur elle de laisser accomplir le régicide que la fureur populaire méditait, eut recours à une précaution dont, peu de jours avant le 10 août, elle avait reconnu la puissance. Elle fit tendre à l'entrée de la prison du Temple un ruban tricolore, avec cette inscription: «< Citoyens, Citoyens, respectez <«< cette barrière; elle est nécessaire à la responsabilité << de vos magistrats. » Les assassins, retenus par cette défense, n'osèrent plus insister; et ce fait prouva clairement que la commune pouvait, à son gré, arrêter ou déchaîner leurs coups. Que le sang versé dans ces horribles jours retombe donc sur elle et sur ceux qui osent l'exalter dans leurs apologies!

1 Mémoires de Cléry.

Cependant les massacres avaient continué à la Force, Sept. 1792. sans autre interruption que le temps consacré par les bourreaux à prendre leurs repas, à boire, et à faire enlever les morts. Un petit nombre de prisonniers trouvèrent encore grâce devant Hébert et ses complices; mais il fallait déterminer la multitude à ratifier ces jugements. Les affidés du sanglant tribunal se chargeaient de ce soin : « Citoyens, disaient-ils en recon<<< duisant les prisonniers absous, voilà un patriote <«<< qu'on avait renfermé pour avoir trop bien parlé de <<< la nation. » Voyez ce malheureux, disait un << autre; ses parents l'avaient fait mettre aux ou«bliettes, pour s'emparer de ses biens. » Et le peuple d'applaudir, et de féliciter les victimes de l'aristocratie, et de s'emparer avec enthousiasme du rôle de libé

rateur.

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A la Conciergerie, au Châtelet, le massacre fut signalé par de nouvelles horreurs; mais il ne paraît point que les bourreaux qui tuèrent dans ces prisons aient eu souci de procéder avec un semblant de formes judiciaires. Ce qui est certain, c'est que le crime commençait à perdre son caractère d'attentat politique, pour n'être qu'une boucherie abominable, un carnage accompli par le seul instinct qui pousse les cannibales. On massacra sans pitié les voleurs de profession, les faussaires, les coupables et les accusés vulgaires. L'imagination recule d'effroi au seul souvenir du supplice, des épouvantables tortures qu'on infligea à une bouquetière du Palais-Royal, condamnée pour un crime commis sur la personne d'un soldat des gardes françaises. Les cris de cette misérable étaient entendus à

Massacres gerie et au

à la Concier

Châtelet.

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