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Sept. 1792. triomphe de nos armées et la résistance du pays, il fallait frapper d'une profonde terreur tous les partisans de la royauté, Dantón, secondé par Marat et les autres membres du comité de surveillance institué par la commune, organisa tout, disposa tout pour les attentats du lendemain. Le sanguinaire Tallien, le procureur général de la commune Manuel, qui poussait au crime par calcul, et consentait, par pitié, à sauver un petit nombre de malheureux; Camille Desmoulins, dont la mémoire restera à jamais flétrie de ce souvenir, leurs obscurs, mais ardents complices, prirent toutes les mesures propres à assurer la vengeance populaire, à accroître le nombre des victimes que la bête fauve allait dévorer. Puis, par une sinistre mansuétude, en même temps qu'il veillait à ce que les prisonniers fussent mis sous bonne garde et privés de tous moyens de résistance, le fatal comité donna des ordres pour que leur nourriture fût abondante, et servie avec délicatesse et recherche. C'est ainsi que les sacrificateurs des temps païens en usaient avec les martyrs destinés au supplice.

Disons-le cependant, pour que la responsabilité de tant d'horribles scènes ne soit attribuée à chacun des acteurs qu'en proportion de sa part de crime, la commune tout entière, les jacobins eux-mêmes, alors même qu'ils remplissaient les prisons et organisaient un régime de terreur, ne songèrent pas tous à en finir par un grand massacre. L'humanité, qui aura tant à se voiler la face au récit de ces atrocités, pourra éprouver un peu de soulagement en réduisant avec justice le nombre de ces grands criminels. Jusqu'au

règne

La stupeur dans Paris.

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dernier moment peut-être, et sauf la poignée d'égor- Sept. 1792. geurs qui étaient dans le secret, la plupart n'allaient pas au delà d'une incarcération, suivie d'une déportation en masse, et n'osaient pas faire des vœux pour une exécution populaire sans formes de justice. Quand Manuel adressait aux victimes des paroles d'espérance, il était peut-être de bonne foi; et, quand il promettait à la commune de purger bientot le sol de la patrie de la présence des royalistes et des prêtres, il est permis d'admettre qu'il ne songeait qu'à les chasser vivants du territoire français, et non à creuser leur fosse. Quoi qu'il en soit, une anxiété sombre régnait dans Paris le peuple, frappé d'une crainte mystérieuse, sentait fermenter dans ses entrailles des instincts de vengeance et de mort; la plupart de ceux qui s'enrôlaient pour aller combattre sur la frontière hésitaient à partir, craignant qu'à la faveur de leur absence les royalistes prisonniers ne fussent mis en liberté, et ne répandissent le sang de leurs enfants et de leurs femmes. Ces absurdes terreurs étaient réelles, parce que les agents du crime les fomentaient avec adresse, et qu'il n'est aucune rumeur assez folle, assez fausse, que la multitude n'accepte avec l'empressement de l'ignorance et de la peur. Nous insistons sur ces détails préliminaires, parce qu'ils sont indispensables pour rendre croyables des événements que l'histoire ne voudrait pas accepter si les témoignages vivants ne subsistaient pas encore.

de la

Le dimanche 2 septembre 1792, la proclamation Proclamation suivante était adressée au peuple de Paris, par ordre commune. du conseil général de la commune :

Sept. 1792.

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Citoyens, l'ennemi est aux portes de Paris! Ver<< dun, qui l'arrête, ne peut tenir que huit jours. Tous <«<les citoyens qui défendent le château ont juré de <«<< mourir plutôt que de se rendre. C'est vous dire que, << quand ils vous font un rempart de leurs corps, il est « de votre devoir de voler à leur secours.

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<< Citoyens, aujourd'hui même, à l'instant, que tous « les amis de la liberté se rangent sous les drapeaux, <«<< allons nous réunir au champ de Mars qu'une << armée de soixante mille hommes se forme sans « délai, et marchons aussitôt à l'ennemi, ou pour «< périr sous ses coups ou pour l'exterminer sous les <<< nôtres ! >>

A deux heures après midi, la commune faisait publier et placarder l'arrêté que nous allons transcrire :

<< Aux armes, citoyens !... aux armes, l'ennemi est <<< à nos portes!

« Le procureur de la commune ayant annoncé les « dangers pressants de la patrie, les trahisons, dont <«<< nous sommes menacés, l'état de dénûment de la ville << de Verdun, assiégée en ce moment par les ennemis, << et qui, avant huit jours, sera peut-être en leur pou<< voir;

« Le conseil général arrête :

<< 1o Les barrières seront à l'instant fermées » (elles l'étaient depuis deux jours).

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«<< 2° Tous les chevaux en état de servir à ceux

qui se rendent aux frontières seront sur-le-champ

« arrêtés.

<«< 5° Tous les citoyens se tiendront prêts à marcher << au premier signal.

« 4° Tous les citoyens qui, par leur âge ou leurs infirmités, ne peuvent marcher en ce moment, dé<< poseront leurs armes à leurs sections, et on armera «< ceux des citoyens peu fortunés qui se disposeront <<< à voler sur les frontières.

«< 5° Tous les hommes suspects, ou ceux qui, par «< lâcheté, refuseront de marcher, seront à l'instant <<< désarmés.

<< 6° Vingt-quatre commissaires se rendront sur-le«< champ aux armées pour leur annoncer cette résolu<«< tion, et dans les départements voisins, pour inviter <«<les citoyens à se réunir à leurs frères de Paris, et <<< marcher ensemble à l'ennemi.

<< 7° Le comité militaire sera permanent; il se réu<< nira à la maison commune.....

<< 8° Le canon d'alarme sera tiré à l'instant, la géné«rale sera battue dans toutes les sections, pour annon<«< cer aux citoyens les dangers de la patrie.

« 9° L'assemblée nationale, le pouvoir exécutif, se«ront prévenus de cet arrêté.

«< 10° Les membres du conseil général se rendront << sur-le-champ dans leurs sections respectives, y << annonceront les dispositions du présent arrêté, y

peindront avec énergie à leurs concitoyens les dan<< gers imminents de la patrie, les trahisons dont nous <<< sommes environnés ou menacés; ils leur représen<< teront avec force la liberté menacée, le territoire <«<< français envahi; ils leur feront sentir que le retour << à l'esclavage le plus ignominieux est le but de toutes << les démarches de nos ennemis, et que nous de<< vons, plutôt que de le souffrir, nous ensevelir sous

RÉVOL. FRANC.

ASS. LÉGISLAT.

23

Sept. 1792. « les ruines de notre patrie, et ne livrer nos villes << que lorsqu'elles ne seront plus qu'un monceau de <<< cadavres...

Tout s'apprête pour le

Premiers

commis à

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Dès que ces mesures furent notifiées au peuple de massacre. Paris, on s'arma tumultuairement; on courut se faire meurtres inscrire aux sections; on arrêta les gens à cheval et F'Abbaye. les voitures de luxe, on les dépouilla de leurs chevaux pour servir les armées, et les équipages restèrent abandonnés sur la voie publique. En même temps, le comité de surveillance profitait de l'émotion de la multitude pour lui dénoncer, par des agents et des affidés, les prétendus complois des prisonniers; et l'on entendait circuler dans les groupes cette parole sinistre : « Qu'il ne reste pas derrière nous, à Paris, un seul de <<< nos ennemis vivant, pour se réjouir de nos défaites, «<et massacrer, en notre absence, nos enfants et nos « femmes ! »

Ce même jour donc, jour d'horrible souvenir, le dernier repas des prisonniers leur fut servi longtemps avant le moment accoutumé; ils interrogèrent leurs gardiens, qui refusèrent de répondre. Quelques heures après, on entendit battre la générale et sonner le tocsin pendant que ces bruits sinistres augmentaient la consternation, le canon d'alarme, tiré d'heure en heure, donnait le signal aux bourreaux, et toutefois ceux-ci hésitaient encore.

:

Sur ces entrefaites, six voitures de place, qui con

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