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Août 1792. blée nationale, et prêtèrent serment. En faisant allusion aux circonstances inouïes qui l'avaient pris de la borne des clubs pour le faire asseoir sur le fauteuil des Lamoignon et des d'Aguesseau, Danton résumait avec énergie l'histoire de sa fortune; il disait : « J'ai été << porté au ministère par un boulet de canon. »

La monarchie et la république étaient donc pour un peu de temps en présence, la première tardant à mourir, l'autre frappant aux portes et réclamant droit de cité. Cette lutte, dont il était facile de prévoir l'issue, remplit le petit nombre de semaines qui allaient s'écouler jusqu'à l'installation de la convention nationale que venait de promettre à la France le décret du 10 août. En attendant, l'esprit girondin continuait de dominer l'assemblée législative, tandis que l'influence des jacobins apparaissait seule et sans obstacles dans le sein de la commune. Après la révolution du 10 août, il devenait évident à tous les yeux que l'assemblée avait cessé d'être au niveau des événements et des dangers révolutionnaires. Le 10 août ne s'était accompli que malgré elle; deux jours avant ce mouvement terrible, on avait rencontré, au Manége, une majorité capable d'absoudre la Fayette; jusqu'au dernier moment l'assemblée avait tremblé de toucher à la couronne pour la briser. Tandis que la commune et les sections de Paris réclamaient à grands cris et par la mitraille la déchéance du roi, l'assemblée s'était bornée à prononcer contre ce prince une suspension provisoire; elle avait en outre décrété qu'un gouverneur serait donné au prince royal, se refusant ainsi à admettre l'éventualité d'une république. Enfin, tandis que la commune entretenait dans le peuple

des instincts de fureur et de vengeance, l'assemblée na- Août 1792. tionale, d'une voix timide, le suppliait de se confier à la loi; elle en appelait encore à la générosité antique du caractère français, à ses sentiments alors éteints de commisération ou de justice. Dans cet antagonisme de deux volontés, l'avantage devait nécessairement rester à celle qui oserait davantage.

fait légaliser

La commune obtint d'abord du corps législatif un dé- La commune cret qui régularisait son existence, et les pouvoirs exor- ses pouvoirs. bitants dont elle était investie depuis la nuit du 10 août. Aux termes de cette loi, les directoires des départements et des districts, et les municipalités dans les villes peuplées de plus de vingt mille âmes, étaient à l'avenir chargés des fonctions de la police générale pour la recherche des crimes commis contre la sûreté intérieure et extérieure de l'État, crimes dont la connaissance avait jusqu'alors été réservée à l'assemblée nationale. Les municipalités des grandes villes, et, à leur défaut, les directoires, pouvaient agir d'office, prescrire les recherches, vérifier les dénonciations, lancer des mandats d'arrêt, faire des règlements de police, prendre enfin les mesures de détail propres à réprimer toute tentative contre-révolutionnaire, à placer sous la main de l'autorité les personnes suspectes. Le même décret mettait en permanence toutes les gardes nationales du royaume, et retirait aux citoyens qui les composaient la faculté de se faire remplacer. Ces dispositions prises, l'assemblée y mit le sceau en supprimant le directoire du département de Paris, et en déclarant que le roi et sa famille seraient mis sous la garde de la commune, chargée de derde répondre de leurs personnes et de désigner leur de- est contiée à

Louis XVI

la commune.

Août 1792. meure. Chaque jour, des pétitionnaires armés et menaçants se présentaient à la barre, et réclamaient un décret de déchéance contre « Louis le Néron, Louis le Traître'. » Après les avoir entendus, l'assemblée, toujours incertaine, ne prenait aucun parti; elle passait aux affaires administratives, et se faisait rendre compte des progrès alors fort peu sensibles de la guerre d'in

Décret lancé

contre les chefs

vasion.

Quelques pièces dont il lui fut donné lecture avaient été saisies aux Tuileries; elles établissaient la participastitutionnel. tion d'Alexandre Lameth et de Barnave aux résolutions

du parti con

L'assemblée

essaye

peuple.

du comité ministériel, qui, de concert avec Louis XVI et Marie-Antoinette, avait cherché les moyens d'enrayer le char de la révolution. L'assemblée législative décréta que ces deux anciens membres de la constituante seraient mis en accusation; elle leur associa, pour être traduits avec eux devant la haute cour d'Orléans, les anciens ministres Duportail, Duport-Dutertre, Bertrand de Molleville, de Montmorin et Tarbé. Parmi ces personnages, les uns étaient en fuite, et ne purent être atteints par le coup porté contre eux; les autres furent jetés en prison, et de ce nombre était Barnave, dont l'arrestation eut lieu à Grenoble.

Sur le rapport de Brissot, l'assemblée législative2 arde calmer le rêta, à l'unanimité, qu'il serait fait une adresse aux citoyens de Paris pour les rappeler aux principes en matière d'instruction criminelle et de justice légale. Elle leur expliquait les motifs qui l'empêchaient d'instituer

1 Ces expressions remplissent les journaux de l'époque, et se reproduisent à chaque instant dans les déclamations des jacobins. 2 Séance du 15 août.

dès ce moment une cour martiale, motifs bien simples, Août 1792. puisque les éléments de cette cour, et le code sur lequel elle aurait pu asseoir ses jugements, manquaient à la fois; elle annonçait que, pour ne pas retarder le châtiment des coupables, elle venait de créer un nouveau jury d'accusation, et de supprimer le recours des accusés au tribunal de cassation. Elle ajoutait que sans doute on aurait pu trouver des formes plus rapides encore, mais qu'elles appartenaient au despotisme, et que lui seul pouvait les employer; qu'un peuple libre voulait et devait être juste jusque dans ses vengeances; que si les tyrans érigeaient des commissions et des chambres ardentes, c'était une raison pour ne point entrer dans cette voie et avoir horreur des formes arbitraires ; qu'enfin l'aristocratie, furieuse de la révolution du 10 août, cherchait à la déshonorer par des crimes, et qu'il fallait se tenir sur ses gardes, afin de ne point prêter la main à cette odieuse manœuvre et s'en rendre dupe ou complice.

entretient

peuple.-

Adresses me

naçantes.

Mais le peuple, ou du moins cette minorité ardente La commune et exaltée qui se montrait et commandait seule, à la fa- la fureur du veur de la lâcheté du plus grand nombre, le peuple, disons-nous, ne semblait pas disposé à obéir aux injonctions de l'assemblée : des députations menaçantes vinrent, au nom de la commune et des citoyens, prescrire aux représentants de ne pas laisser refroidir par de plus longs délais l'œuvre de la justice populaire. « Législa«<teurs, disait l'un des orateurs de ces députations, si << le tyran eût été vainqueur, déjà douze cents échafauds «< auraient été dressés dans la capitale, et plus de trois << mille citoyens auraient payé de leur tête le crime

REVOL. FRANG.

ASS. LÉGISLAT.

21

Août 1792 « énorme d'avoir osé devenir libres; et le peuple fran<< çais, victorieux de la plus horrible conspiration,

Institution d'un tribunal criminel extraordinaire.

vainqueur de la plus noire trahison, n'est pas en«< core vengé! Les principes de la justice sont-ils donc << différents pour un peuple souverain que pour un peu<< ple esclave? >>

Un autre s'exprimait ainsi : « Vous paraissez être << dans les ténèbres sur ce qui se passe à Paris..... Si << avant deux ou trois heures le directeur du jury n'est << pas nommé, si les jurés ne sont pas en état d'agir, << de grands malheurs se promèneront sur Paris. Nous << vous invitons à ne pas vous traîner sur les traces de <«<l'ancienne jurisprudence. C'est à force de ménage<«<ment que vous avez mis le peuple dans la nécessité « de se lever; car, législateurs, c'est par sa seule éner

gie que le peuple s'est sauvé. Levez-vous, représen<< tants, soyez grands comme le peuple, pour mériter <<< sa confiance! >>

Ainsi dominée par les alarmes que fomentait la commune, l'assemblée rendit une loi qui organisait un nouveau tribunal criminelles magistrats révolutionnaires qui composaient cette commission étaient élus par le peuple, et Robespierre en fut nommé le président : il refusa, ne voulant rien perdre, en exerçant des fonctions secondaires, de cette activité ambitieuse qu'il savait mieux employer à la commune et aux jacobins. Cependant l'assemblée et le peuple n'étaient révolution inquiétudes sur les dispositions de l'armée des commissaires extraordinaires avaient été envoyés pour s'enquérir de l'esprit du soldat, et pour faire agréer aux généraux et aux troupes la révolution du 10 août. Con

L'armée accepte la

du 10 août.

:

pas sans

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