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ouverte sur le jardin ; au Pont-Tournant, la caserne de Août 1792. bois des Suisses brûlait, projetant des lueurs rouges sur des voitures chargées de corps morts, et sur les hordes populaires qui dansaient en chantant le Ça ira. On pe pouvait plus pénétrer dans les Tuileries sans passer sur une poutre enflammée, sans heurter un cadavre saignant ou à demi consumé; la façade du château était criblée de boulets et de balles: on ne songeait pas au pillage : les insurgés n'avaient soif que de sang.

Soixante Suisses avaient trouvé un refuge dans les petites écuries; ils furent découverts, traînés devant la commune, et massacrés l'un après l'autre sur le perron de l'Hôtel de Ville. La rage du meurtre fut poussée jusqu'au délire de la lâcheté : on égorgea, en haine des Suisses, les simples portiers et concierges qui parurent appartenir à leur nation. Quiconque portait un habit rouge était tué ou menacé de mort, et beaucoup de dragons, de gendarmes ou de bourgeois périrent, pour ce motif, de la main du peuple. Au milieu de ces épouvantables scènes, quelques actes de clémence ou d'humanité eurent lieu des Marseillais et des Bretons se laissèrent parfois attendrir, et réussirent à sauver un petit nombre de malheureux; mais ces faits consolateurs furent bien rares, et se perdirent oubliés dans cette immense journée de mort et de deuil.

la

:

l'assemblée.

Que faisait cependant l'assemblée législative? Lors-Attitude de que les premières émotions causées par la surprise ou peur se furent calmées, d'autres leur succédèrent, qui correspondirent assez fidèlement aux diverses phases de la bataille engagée au dehors.

Le bruit du canon et de la fusillade ébranlait la salle

Août 1792. des séances, et des balles perdues venaient frapper le plafond. Aucune délibération n'était possible; la monarchie était à la merci des événements. Les députés, invités par le président à garder une attitude ferme et digne, prêtèrent l'un après l'autre le serment de mourir à leur poste pour sauver la liberté, l'égalité et la patrie. Un moment après, une députation de la commune insurrectionnelle, ayant à sa tête Léonard Bourdon, vint à la barre de l'assemblée jurer fidélité à la loi du salut du peuple. D'autres visiteurs pénétrèrent ensuite dans l'enceinte; ils apportaient des objets précieux trouvés dans le château, les pierreries de la reine, l'or monnayé, les bijoux. Un moment après, un homme du peuple entra, et, montrant à l'assemblée son bras nu et sanglant, il l'offrit pour arracher la vie au roi, s'il ne se présentait pas d'autre bourreau: «Apprenez, s'écria<«<t-il, que le feu est aux Tuileries, et que nous ne l'ar<«< rêterons que lorsque la vengeance du peuple sera sa«<tisfaite je suis chargé encore de vous demander la «<< déchéance du roi. >>

L'assemblée rend un dé

pend les

Louis XVI, et

une conven

Enfin, l'assemblée se détermina à consommer l'œucret qui sus- vre que l'insurrection avait commencée; ce fut Vergniaud pouvoirs de qui, au nom de la commission extraordinaire, prit la convoque parole: « Je viens, dit-il, vous présenter une mesure <«< bien pénible; mais je m'en rapporte à la douleur ,« dont vous êtes pénétrés, pour juger combien il im<< porte au salut de la patrie que vous l'adoptiez sur-le<< champ. >>

tion nationale.

Quand il eut fini de parler, l'assemblée législative courba la tête sous la volonté de la révolution, et rendit un décret qui contenait les dispositions suivantes :

« Le peuple français est invité à former UNE CONVEN- Août 1792. <<TION NATIONALE. Le pouvoir exécutif est provisoi« rement suspendu de ses fonctions, jusqu'à ce que la <«< convention nationale ait prononcé sur les mesures «< qu'elle croira devoir adopter pour assurer la souve<< raineté du peuple et le règne de la liberté et de l'éga<< lité. Un gouverneur sera nommé au prince royal. Le roi et sa famille demeureront dans l'enceinte << du corps législatif jusqu'à ce que la tranquillité pu«blique soit rétablie dans Paris. - Un logement leur « sera préparé dans le Luxembourg, où ils seront mis « sous la garde des citoyens et de la loi. »

-

-

Un autre décret rappela au pouvoir les ministres girondins Roland, Clavière et Servan. Pour compléter le cabinet, l'assemblée nomma Danton à la justice, Monge à la marine, Lebrun aux affaires extérieures ; Grouvelle fut désigné pour être le secrétaire du conseil. Sur sept cent quarante-cinq membres dont se composait l'assemblée législative, deux cent vingt-quatre seulement, c'est-à-dire, moins de la moitié, assistèrent à cette séance, et prirent part à ces résolutions. Les autres, formant la majorité constitutionnelle, avaient cédé à la crainte et s'étaient abstenus. Leur présence et leur dévouement eussent d'ailleurs été stériles pour sauver la monarchie, et retarder la chute de cette constitution qui avait à peine duré dix mois révolus, depuis le jour où l'assemblée législative, inaugurant ses pouvoirs, l'avait pour ainsi dire adorée.

Un autre rappelle girondins.

décret

les ministres

royale est

Ainsi, en présence de Louis XVI et des siens, retenus La famille captifs dans le lieu même des séances, fut déclarée suspendue cette royauté vieille de tant de siècles et enor

conduite dans

la prison du Temple.

316 RÉVOLUTION FRANÇAISE. ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

Août 1792. gueillie de tant de gloire. Pendant ces heures d'épreuves, l'infortuné monarque demeura, jusqu'au bout, impassible et résigné, tandis que sa noble épouse conservait le prestige de cette grandeur qui n'est jamais si digne de respect que lorsque le malheur la couronne de son auréole. Trois jours encore ils demeurèrent enfermés soit dans les bâtiments attenant au Manége, soit dans la loge du logographe; et de là ils entendirent rugir autour d'eux le peuple qui demandait leur tête. Enfin, le 14 août, on leur fit quitter cette retraite provisoire, pour les transférer dans l'ancien couvent du Temple, changé pour eux en prison. Ce jour-là donc, Louis XVI, Marie-Antoinette, madame Élisabeth, madame Royale, et le jeune prince royal, furent conduits à travers les rues de Paris, dans une voiture où avaient pris place Manuel et Péthion. Ces deux magistrats, confondant le sentiment de la dignité qui est une vertu, avec la grossièreté, qui, en face de l'infortune, est à la fois une bassesse et un crime, ne rougirent point de garder le chapeau sur la tête pendant tout le trajet; et, quand ils traversèrent la place des Victoires, sur le pavé de laquelle le peuple venait d'abattre la statue de Louis XIV, ils forcèrent les tristes héritiers du grand roi de s'arrêter pour considérer une humiliation de plus: mais ni le roi ni le peuple n'avaient encore épuisé la coupe de colère que la révolution leur prescrivait de boire jusqu'à la lie.

LIVRE HUITIÈME.

journée

Après le 10 août, les massacres se prolongèrent. Le Août 1792. lendemain, le peuple mit à mort quelques malheureux Suite de la soupçonnés d'aristocratie, il égorgea plusieurs Suisses; du 10 août. enfin, las de frapper, il laissa à une cour martiale, qu'on lui promit d'instituer, le soin de faire une justice prompte et rigoureuse de ceux qui vivaient encore.

l'assemblée

et

La commune insurrectionnelle, agissant au nom du La commune, peuple souverain, continuait à concentrer en elle tous le ministère. les pouvoirs, et l'assemblée législative, frappée de stupeur, semblait désormais n'exister que pour enregistrer les ordres venus de l'Hôtel de Ville. Alors on vit reparaître les hommes qu'on avait en vain cherchés durant le combat. Marat, le sabre à la main, se mit à parader à la tête du bataillon marseillais; Robespierre harangua aux jacobins, et prit place, avec l'ami du peuple, dans les rangs des membres de la commune, sous la présidence de Huguenin, l'orateur du 20 juin. Péthion et Manuel conservèrent leurs fonctions municipales. Cependant les nouveaux ministres, Roland, Clavière, Lebrun, Monge et Servan, ayant à leur tête leur collègue Danton, se présentèrent à la barre de l'assem

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