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Juillet 1792.

Tentative équivoque

girondins.

Chaque faction marchait à son but.

Dans la séance du 26 juillet, Guadet proposa à l'asdes semblée nationale l'adoption d'une adresse que Condorcet avait rédigée: on y parlait au roi un langage injurieux et menaçant; on lui reprochait d'avoir remplacé des ministres patriotes et vigilants par des hommes obscurs ou suspects, bientôt suivis par d'autres non moins inconnus du peuple; on lui faisait un crime d'écarter ou de négliger le concours des hommes dont le nom seul pourrait répandre la sécurité et l'espérance dans l'âme des citoyens; enfin, on lui faisait entrevoir qu'il ne lui restait plus qu'un seul moyen de sauver la patrie et la royauté, et ce moyen consistait à s'entourer de conseillers et de ministres dignes de la confiance publique. Au fond, cette adresse n'était qu'une manœuvre des girondins, à l'aide de laquelle ils espéraient contraindre le roi à leur rendre le ministère dont ils avaient été évincés, mettant à ce prix leur concours, et couvrant cette capitulation ambitieuse du masque ordinaire des intérêts de la patrie.

Ni les hommes clairvoyants du côté gauche, ni la parti constitutionnel, ne s'y trompèrent; aussi accueillirent-ils avec défaveur cette tentative des girondins. Brissot, au contraire, monta à la tribune, et parla longuement en faveur de l'adresse. Après avoir examiné séparément les diverses mesures que proposaient les républicains, la suspension du roi, la dictature, la convocation des assemblées primaires, il s'attacha à prouver que toutes ces mesures étaient dangereuses pour la liberté, et ne pourraient que favoriser les ennemis du dedans et du dehors.

Pendant ce discours, qui établissait, avant toutes Juillet 1792. choses, que la Gironde faisait scission avec l'opinion républicaine, et cherchait des prétextes pour retarder, à son profit, la ruine entière du trône, les députés assis sur les hauts gradins, ceux qu'on appelait les montagnards, donnaient des marques visibles de colère et d'impatience. Les membres assis aux bas-côtés de l'assemblée applaudissaient énergiquement; et beaucoup de feuillants, soit ironie, soit dernière espérance, mêlaient leurs acclamations à celles des partisans de la Gironde. Les tribunes, généralement dominées par l'influence jacobine, interrompirent souvent l'orateur par des cris injurieux, l'appelant homme à double face, scélérat, et enfin Barnave! Ce dernier nom était alors, grâce à la fureur des temps, l'équivalent du mot de traître, et la plus violente injure qu'un républicain pût jeter à la face de son ennemi. Au sortir de la séance, Brissot fut accueilli par des menaces et des huées. Cependant, comme la majorité de l'assemblée votait encore avec la Gironde, le discours de Brissot eut les honneurs de l'impression, et ses conclusions furent décrétées; elles consistaient à obtenir qu'une commission extraordinaire serait chargée : 1° d'examiner quels étaient les actes qui pouvaient entraîner la déchéance; 2° de dire si le roi s'en était rendu coupable; 3° de faire une adresse au peuple pour, le prévenir contre les mesures inconstitutionnelles et impolitiques qu'on pourrait lui proposer. On sent tout ce que ces conclusions renfermaient de grave; on voit surtout qu'elles mettaient éventuellement aux mains de la Gironde une arme à deux tran

Juillet 1792. chants, selon le plus ou moins de docilité du prince. Premiers Le même soir, deux députations des sections de d'insurrec- Paris furent admises à la barre. Elles demandaient la

essais

tion.

suspension du roi et la mise en accusation de la Fayette. On leur accorda les honneurs de la séance, et l'on vota l'impression de leurs adresses. Sur ces entrefaites, une autre scène se passait à la Bastille les citoyens du faubourg Saint-Antoine avaient choisi ce jour pour donner un banquet aux fédérés. Le repas étant commencé, les convives, dont chacun avait luimême apporté son dîner, chantèrent des couplets révolutionnaires, et bientôt après il y eut des illuminations et des danses. Le ministre de l'intérieur Champion, qui s'était rendu sur les lieux en observateur, ayant été reconnu, fut insulté et frappé. La présence de ce fonctionnaire était motivée par l'avis qu'on avait reçu de projets d'insurrection, auxquels on rattachait la fête donnée sur l'emplacement de la Bastille. Ces avis étaient d'ailleurs fort exacts. Dès sept heures du soir, Vaugeois, Westermann, Debessé, Kienlin, Santerre, Guillaume, Alexandre, Lazowski, Simon, Fournier et Carra, agitateurs plus ou moins fameux, s'étaient réunis au cabaret du Soleil d'or, rue SaintAntoine, et avaient ensemble dressé le plan de campagne et le projet de siége du château. Ils étaient en outre d'accord sur ce point, qu'on ne ferait pas de mal au roi, qu'on se bornerait à l'enlever et à le conduire prisonnier au donjon de Vincennes. Mais la cour avait été instruite à temps; et Péthion, sommé de prendre les dispositions nécessaires au maintien de la tranquillité publique, n'avait pu refuser d'agir comme

et

magistrat. Son intervention paralysa sur-le-champ une Juillet 1792. insurrection mal concertée, dont le mauvais succès ne pouvait que retarder ou compromettre les projets du parti républicain, et qui, dans tous les cas, eu égard aux espérances de la Gironde et à la nouvelle politique des chefs de cette faction, était au moins prématurée. Le lendemain 27 juillet, l'émotion causée par cet inci- D'Espremenil dent durait encore au faubourg Saint-Antoine. Ce jour- Péthion. là, le peuple attroupé se jetait sur l'ancien conseiller au parlement Duval d'Esprémenil, et, après l'avoir terrassé et cruellement maltraité, se proposait de le pendre misérablement. Péthion, étant accouru sur le théâtre de ce désordre, parvint à sauver les jours du malheureux d'Espremenil; mais ce dernier, en le remerciant, lui adressa cette parole prophétique: « Et moi aussi, <«< monsieur, j'ai été l'idole du peuple; comme vous, « j'ai été porté en triomphe; et vous me voyez aujour<«<d'hui livré aux fureurs de ce peuple qui m'a tant « aimé. Ne vous fiez ni à sa faveur ni à votre fortune: << votre tour viendra. » L'heure de Péthion ne devait pas, en effet, tarder à venir : ce sont là les jeux ordinaires des révolutions et les manifestations accoutumées de la justice d'en haut.

prodiguées au roi

par le peuple

et

les fédérés.

C'est sur la terrasse des Feuillants, portion du jardin Insultes des Tuileries, alors attenant aux bâtiments du Manége, que Duval d'Esprémenil avait été si rudement maltraité par le peuple. L'assemblé législative venait d'ordonner que cette terrasse, dont l'entrée était fermée par ordre du roi depuis le 20 juin, serait désormais ouverte et rendue publique. Aussi le peuple s'y portait en foule; mais, bien que le roi eût enfin levé la con

Juillet 1792. signe qui interdisait l'accès du jardin, les jacobins avaient réussi à persuader aux habitants de Paris qu'il était de leur dignité de mépriser cette concession. On se promenait donc sur la terrasse, mais on affectait de ne point faire un pas dans les allées situées au-dessous; et, comme il importait de bien établir que cette injure du peuple était calculée et volontaire, les meneurs eurent la singulière idée de tendre, sur toute la ligne que la multitude s'imposait de ne point franchir, un simple ruban tricolore, dont plusieurs inscriptions offensantes indiquaient la destination. Ici on lisait : Route de Coblentz; ailleurs: Palais pestiféré. - N'allez pas dans la forêt Noire; et plus loin: Que ceux qui ont brisé les chaînes du despotisme respectent ce ruban! La légende la plus significative était celle-ci : La colère du peuple tient à un ruban; la couronne du roi tient à un fil. Cependant les fédérés, réunis en troupe, ne se faisaient point scrupule de traverser le jardin; mais, pour se purifier du contact de ce sol monarchique, ils vociféraient, sous les fenêtres du roi, des chants républicains et des cris de mort.

Enfin, on apprit que les volontaires marseillais approchaient de Paris, et qu'ils devaient y faire leur entrée dans la journée du dimanche 30 juillet. La veille de ce jour, ils arrivèrent à Charenton et à Ablon, et y passèrent la nuit. Ils formaient un corps de plus de cinq cents hommes, bien armés, et traînant à leur suite trois pièces de canon. Barbaroux se rendit à Charenton pour prendre le commandement de cette horde, et Santerre alla au-devant d'elle avec deux cents gardes nationaux du faubourg Saint-Antoine. Quand ces

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