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sieurs pièces qui sont restées, et dont le style incorrect Juillet 1792n'exclut ni l'invention ni la verve: c'était un homme d'un talent distingué, mais d'un esprit ardent, d'un caractère jaloux, et que des fautes de jeunesse avaient de bonne heure frappé d'une déconsidération morale. Avide de les faire oublier en se faisant craindre, il avait quitté la scène étroite des spectacles de province pour la scène bien autrement redoutable des révolutions politiques. Il aimait d'ailleurs passionnément ces époques de troubles, où il est toujours facile de s'enrichir de tout ce que les autres perdent un tel homme devait s'attacher à la fortune de Danton, et par sympathie et par calcul.

:

Ami et condisciple de Robespierre, Camille Desmoulins, qui a déjà plusieurs fois marqué dans cette histoire, était moins dominé par ses convictions que par l'ardeur démesurée de jouer un rôle et de faire parler de lui. A la vanité des gens de lettres, il joignait une exaltation fébrile, un enthousiasme capricieux, une grande disposition à se créer pour un jour des héros, des idoles et des principes. Quoique l'énergie d'un homme d'action lui manquât, on le poussait à tous les excès, parfois même à ceux du dévouement et du courage, pourvu qu'on chatouillât son amour-propre et qu'on irritât son orgueil. Il était du nombre trop considérable de ces révolutionnaires, saisis du démon de la liberté, qui commettent de sang-froid le meurtre politique, et qui, rentrés dans l'intérieur de leur famille, sont pères tendres, époux affectueux, amis sincères; classe d'hommes qu'on plaint malgré soi, et qui, plus que les scélérats ordinaires, sont dangereux à la so

Camille

Desmoulins.

Juillet 1792. ciété, parce qu'ils émoussent l'indignation contre le crime; parce qu'à cause d'eux on invente une morale particulière, on déroge aux inflexibles lois de la justice. Camille (car on aimait à lui donner ce nom, à le traiter, sinon en enfant, du moins en adolescent dont l'opinion politique importe peu, et chez qui l'âge permet d'excuser beaucoup de fautes), Camille s'était successivement pris d'enthousiasme pour les divers chefs de parti il avait adulé Mirabeau, le duc d'Orléans, Danton, Robespierre, et n'avait témoigné de haine qu'à Brissot. Républicain de parade, aristocrate de mœurs, écrivain âpre et satirique, il aimait la poésie, les lettres, les arts; et, s'il n'eût ressenti la crainte d'être dépassé en patriotisme, il n'aurait été que girondin : mais, en dépit de sa propre nature, et parce qu'ailleurs les premières places étaient déjà occupées, il mettait sa gloire à être célèbre chez les cordeliers, à aiguiser, au sortir de ses repas épicuriens, des pamplets acerbes et cyniques, dans lesquels il ne ménageait ni la vertu, ni le malheur, ni même le crime, quand le crime était par trop entaché de mauvais goût. C'est ainsi qu'après s'être affublé de l'atroce surnom de procureur général de la lanterne, il en rougissait lui-même, « blàmant lė peuple de se familiariser avec ces jeux sanguinaires, et d'envoyer le cordon à ses ennemis avec autant de facilité que le fait Sa Hautesse à ceux qu'elle disgracie Et cependant, comme le souffle de la pitié n'avait point encore amorti son délire, il continuait à frayer, pour le roi et pour quiconque lui semblait un obstacle, cette fatale route de l'échafaud qu'à son tour il aurait à par

courir.

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teurs

Billaud,
Collot-

d'Herbois,

Autour de ces hommes, que dominaient Robespierre Juillet 1792. par sa tactique, Danton à force d'audace, se groupaient Conspirad'autres meneurs aventureux, d'autres conspirateurs subalternes: marchant tête levée, ou disposant leurs coups dans l'ombre. Tous ensemble ils tenaient, dès les derniers Westermann. jours de juillet, des conciliabules plus ou moins mystérieux, et se réunissaient, pour plus de sûreté, dans une maison voisine de Charenton. Là se rendaient Collotd'Herbois, comédien sifflé sur les planches de Lyon, et admiré chez les jacobins, qu'exaltaient sa faconde et son énergie; Billaud-Varennes, réservé à une célébrité sinistre; le brasseur Santerre, dont les événements du 20 juin avaient accru la popularité; Westermann, officier supérieur, sur le courage duquel reposaient beaucoup d'espérances, et dont la férocité surpassait encore le courage; l'ex-capucin Chabot, homme doué d'une ambition folle, d'une activité stérile, d'une probité douteuse, et l'un de ceux qui déshonorèrent davantage la cause de la liberté; le commandant Alexandre, l'un des agitateurs du faubourg Saint-Marceau; le Polonais Lazowzki; le journaliste Carra; Fournier l'Américain; l'ex-constituant Antoine, de Metz; et un certain nombre de meneurs obscurs, mais ardents pour l'insurrection.

On comptait sur le concours des fédérés brestois mais surtout on attendait l'arrivée à Paris du trop célèbre bataillon marseillais, dont la présence devait donner du cœur aux révolutionnaires de la capitale. Cette troupe, qui allait être comme l'avant-garde de la république, venait joindre son chef, le jeune Barba- Barbaroux roux, que, sur la foi des mémoires de madame Roland, Marseillais. on a trop facilement érigé en grand homme. Arrivé de

et les

Avril 1792. puis peu à Paris, ce républicain marseillais y avait été précédé par une réputation de vigueur et de patriotisme qu'il s'attachait à justifier. Les chefs des diverses factions s'étaient empressés de lui faire des avances et de le rallier à leur cause; et comme, sans beaucoup se soucier de les mettre d'accord ou d'épouser leurs querelles, il voulait comme eux détruire le trône et frapper un grand coup, de part et d'autre on comptait sur son courage.

Mais sans être initié à toutes les intrigues de la Gironde, intrigues qui, d'ailleurs, étaient moins le fait d'une opinion que celui de quelques hommes, ce fut dans les rangs de ce parti qu'il finit plus tard par se classer. Admis aux réunions qui se tenaient chez madame Roland, Barbaroux s'y rencontrait avec Buzot, Clavières, Servan, Condorcet et Péthion. Voici l'esquisse que trace de lui l'Égérie de cette réunion politique: «Il avait une tête superbe; les peintres n'eussent pas dédaigné de le prendre pour modèle d'un Antinous... Actif, laborieux, franc et brave, Barbaroux, avec la vivacité d'un jeune Marseillais, était destiné à devenir un homme de mérite, un citoyen utile et éclairé. Amoureux de l'indépendance, fier de la révolution, déjà nourri de connaissances, capable d'une longue attention avec l'habitude de s'appliquer, et sensible à la gloire, c'était un de ces sujets que les grands politiques aiment à s'attacher, et qui devait fleurir avec éclat dans une république heureuse... » Ce portrait, œuvre d'une main amie, est beaucoup flatté. Barbaroux était doué, comme le sont généralement les gens du Midi, d'une grande finesse de perception, d'une intelligence prompte et sagace, il était, de plus, suscep

tible d'enthousiasme et de dévouement; mais, dans la Juillet 1792. pratique des événements et des idées, c'était un homme assez médiocre, passant avec beaucoup de facilité d'une opinion à une autre, jugeant avec ses impressions et non avec sa raison, et portant dans ses jouissances personnelles et dans ses plaisirs une ardeur qui ne lui laissait pas assez de temps ou de volonté pour être un conspirateur ou un homme d'État bien habile. Ajoutons qu'il n'avait point les qualités de l'orateur, mais qu'il possédait des notions assez approfondies sur tout ce qui se rattachait aux questions de commerce et de subsistances.

conjurés.

Les jacobins cachaient à peine leurs projets et leurs Dispositions espérances. Il s'agissait pour eux de compléter la journée du 20 juin, et de pousser une fois encore le peuple aux Tuileries, non pour solliciter, l'injure à la bouche, la sanction de deux décrets, mais pour proclamer la déchéance du roi et l'inauguration du régime républicain. La conduite que Péthion avait tenue au 20 juin permettait de croire qu'il ne ferait rien pour réprimer l'émeute; néanmoins on le fit sonder pour connaître ses intentions, et l'on obtint de lui la promesse, sinon de sa complicité, du moins de son inertie. Cependant Péthion, en homme prudent, exigea que, pour le mettre à couvert, on fit le simulacre de lui forcer la main, qu'on gardât à vue sa demeure et sa personne, afin de lui laisser un prétexte de justification, dans le cas où l'issue de la journée tournerait contre ses auteurs. Ces précautions prises, les rôles distribués de part et d'autre, on attendit une occasion propice, que les événements ne devaient pas tarder à fournir.

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