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Juillet 1792. «Washington, du libérateur des deux mondes; ils << vous conduiront à York-Town et sur les bords du <«< Brindy-wine; ils se prosterneront au pied de sa <«<< statue, et ils vous diront: Osez blasphémer ses vertus << dans des lieux remplis de l'éclat desa gloire! Et moi, << messieurs, moi je les conduirai au Champ de Mars, << au pied de l'autel encore teint du sang des Français ; <«< ils y entendront la voix de la patrie demander à << la Fayette mille individus de tout àge et tout sexe <«< massacrés de sang-froid et par ses ordres; et là je « leur dirai Osez défendre l'assassin de vos frè<<< res!... >>

« Lâches idolâtres, disait à son tour un autre ora<< teur, qu'on ne vienne point m'étaler avec une « pompe mensongère des services rendus jadis à la << liberté par le héros des deux mondes. Parce que << vous avez cru quelque temps encenser une divinité, << resteriez-vous plus longtemps courbés, quand vous « voyez que ce n'est qu'une idole? Et, quand il serait <<< vrai que Manlius a sauvé le Capitole, si Manlius tra<«< hissait la patrie, en devrait-il moins être précipité <«< du roc Tarpéien?... Si vous ne frappez aujourd'hui <«<le premier général rebelle, demain vous avez des << tyrans. Si la Fayette échappe au glaive de la loi, l'as«semblée se déshonore par une faiblesse et une << lâcheté coupables qui compromettent le sort de la << liberté... >>

Ces violences furent courageusement combattues par le député Dumolard, qui eut à braver les murmures

1 Lassource.

du côté républicain et les outrages des tribunes. Les Juillet 1792 mêmes huées accueillirent la voix de tous ceux qui osèrent prendre la défense du général. Guadet, sur de faux indices, ayant annoncé à l'assemblée que la Fayette avait proposé à Luckner de marcher sur Paris et d'y rétablir par la force l'autorité des lois, une vive agitation s'éleva parmi les députés présents à la séance, les uns affirmant, les autres niant cette circonstance grave. L'assemblée nationale, dont la majorité était secrètement favorable à la Fayette, saisit avec empressement cette cause de retard, et ordonna une enquête ; puis, jusqu'au rapport qui lui serait fait à ce sujet, elle ajourna cette périlleuse délibération. Cependant l'effervescence était grande au dehors, et les agents des jacobins s'appliquaient à l'entretenir. Une émeute de peu de durée éclata dans la journée du 21 juillet: le peuple sonna le tocsin à Saint-Roch, et enfonça la porte du Manége, sous prétexte que, dans le sein de l'assemblée et dans le jardin des Tuileries on égorgeait les fédérés et les députés patriotes. La popularité de Péthion contribua à apaiser ces mouvements irréfléchis, à faire taire ces alarmes stupides. Le lendemain, Robespierre exhalait toute sa fureur dans le journal obscur dont il dirigeait la rédaction'. Quand de nos jours, pour chercher la vérité, on prend la peine de relire cet amas confus d'attaques furibondes, on ne conçoit pas que des hommes aient pu éprouver à ce point la rage de la vengeance ou le désespoir de la peur, et l'on se demande si les insensés qui se passionnaient ainsi avaient

1 Le Défenseur de la constitution, no X.

Agitation croissante.

toujours

Juillet 1792, au moins pour eux l'excuse de la démence ou de la bonne foi. En vérité, on est réduit à en douter, et à ne voir dans ces cris de mort qu'un calcul destiné à exaspérer les masses crédules et à les pousser aux derniers attentats.

Situation transitoire.

veut

la chute

du tione.

Ici commence une situation transitoire qu'il importe de bien considérer. Tandis que le roi, incertain entre les plans d'évasion qu'on lui soumet et les lueurs d'espérance qu'il conserve encore, hésite entre les dangers du jour et ceux du lendemain, entre les extrémités de la faiblesse et celles de la lutte, les partis, pressés d'en venir à leurs fins, agissent en sens contraire. Les girondins se croient à la veille de recueillir les fruits de La Gironde l'anarchie qui dure depuis le 20 juin. La démission des ministres constitutionnels, l'impuissance de ceux qui ont accepté la pénible mission de leur succéder, tout fait espérer à Brissot, à Vergniaud, et à leurs principaux affidés, que le ministère est au moment de leur appartenir; que le roi, prisonnier, est désormais réduit à servir d'instrument à leurs volontés. Ils en viennent donc à marchander avec la liste civile la modération dont ils consentent à user envers elle, les retards qu'ils mettent à frapper le roi. Mais, si la Gironde se résigne à épargner le trône, parce qu'il peut encore être exploité au profit de ses cupidités; si elle convoite les derniers oripeaux monarchiques dont son orgueil républicain cherche à s'affubler; si elle cherche à détourner les colères du peuple que ses intrigues ont soulevées, à donner le change aux emportements révolutionnaires qu'elle a irrités; les hommes que la république peut scule satisfaire, parce qu'elle leur ouvre

Les

la carrière profonde de l'anarchie, parce qu'elle pro- Juillet 1792. met d'autant plus qu'on aura plus d'audace, les jacobins et les cordeliers, redoublent d'impatience et de conspirent haine; ils se serrent, se retrempent, s'unissent pour

jacobins

pour renverser Ja

porter un grand coup, et terminer enfin la longue et monarchie. déplorable agonie de la royauté.

Robespierre, qui leur soufflait son esprit, n'osait ce- Robespierre. pendant prendre sur lui la responsabilité du mouvement. Tantôt il craignait qu'une victoire prématurée ne donnât le pouvoir aux girondins; et comme, soit jalousie, soit défiance, il les haïssait de toute son âme, il était plus disposé à pardonner à Louis XVI qu'à Brissot, à excuser Calonne et le comte d'Artois que Louvet et Roland; tantôt aussi le fantôme de la Fayette, vengeur du roi constitutionnel, apparaissait à son imagination troublée; et alors il se représentait le nouveau Cromwell, d'accord avec Louis XVI et le prince de Brunswick, sévissant contre les républicains, et livrant aux exécuteurs des hautes œuvres monarchiques ceux qui avaient échappé à la fusillade du Champ de Mars. En proie à ces sentiments opposés, aiguillonné par l'ambition et retenu par la peur, Robespierre conspirait à l'écart, au troisième rang, sans se montrer, désavouant les gens prêts à combattre, redoutant ses amis autant que ses ennemis, suppliant enfin ceux qui faisaient reposer en lui seul l'espoir de l'avenir et les rêves d'une prochaine dictature, de ne point mêler ainsi son nom obscur aux grands intérêts de la liberté et de la patrie. Mais plus il s'effaçait, plus les fanatiques de la révolution rendaient hommage à son dévouement, à son incorruptible vertu.

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Danton, qui par d'autres voies tendait au même but, se piquait peu qu'on honorât sa délicatesse et ses scrupules, pourvu qu'il assouvît les larges appétits de ses passions, de ses besoins, de ses vanités : véritable chef populaire, il résumait en lui tout ce qu'il y a de vicieux et de fort dans les masses; il était brutal dans ses instincts comme la bête fauve, terrible comme elle au combat; et, semblable à elle aussi, quand il était repu de puissance ou de gain, il dédaignait de tuer sans nécessité et de boire un sang inutile. C'était un homme à l'aspect repoussant par son visage empreint d'un caractère de dureté ou de débauche, non moins que par sa taille haute et sa voix rugissante, il épouvantait ses adversaires, et pénétrait d'une confiance sans bornes ceux qui luttaient sous sa conduite. « La nature, disait<«< il lui-même, m'a donné en partage les formes athlé«<tiques et la physionomie âpre de la liberté. » Afin que ce Mirabeau de la borne eût, par proportion, tous les traits de caractère qui pouvaient le faire ressembler à son modèle, il était comme lui payé par la cour, et obtenait d'elle des sommes énormes, qu'il dépensait pour ses plaisirs dégradants. Mais de tels hommes ont beau recevoir de l'or à pleines mains, il n'est pas dans leur nature de se vendre ; et Danton, soldé par la liste civile, trahissait le roi en colorant ses attaques de cet étrange prétexte que, pour rendre la république impossible, il fallait épouvanter la France en lui montrant l'anarchie.

Danton entraînait à sa suite, comme un satellite, Fabre d'Églantine, autrefois comédien, et alors homme de lettres. Fabre avait composé pour le théâtre plu

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