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Juillet 1792. lorsque le député Lamourette, évêque constitutionnel du département du Rhône, demanda la parole pour faire une motion d'ordre. Remontant à la source des maux qui affligeaient la France, il crut la trouver, assurément bien à tort, dans les divisions de l'assemblée nationale elle-même. La cause des calamités publiqnes était ailleurs, le remède aussi; mais l'évêque intrus de Lyon pouvait-il le proclamer ou le comprendre? « Hé « quoi! s'écria-t-il, vous tenez dans vos mains la clef << du salut public; vous cherchez péniblement ce salut « dans des lois incertaines, et vous vous refusez aux << moyens de rétablir dans votre propre sein la paix et << l'union!» Faisant ensuite l'examen rapide des erreurs et des fautes de chaque parti, il conclut que le bonheur ne tarderait pas à renaître en France, si, des deux côtés, on s'accordait à renoncer à l'aristocratie ou à la république, pour ne s'attacher qu'à la constitution. << Eh bien! dit-il, foudroyons, messieurs, par <«< une exécration commune et par un irrévocable ser<«<ment, foudroyons et la république et les deux cham«bres. » A ces mots, des applaudissements unanimes éclatèrent dans l'assemblée et dans les tribunes, et partout on n'entendit que ces cris: Oui, oui, nous ne voulons que la constitution! « Jurons, poursuivit La<«< mourette, de n'avoir qu'un seul esprit, qu'un seul << sentiment; de nous confondre en une seule et même << masse d'hommes libres, également redoutables à l'es

prit d'anarchie et à l'esprit féodal; et le moment où « l'étranger verra que nous ne voulons qu'une chose «< fixe, et que nous la voulons tous, sera le moment où << la liberté triomphera, et où la France sera sauvée. »

Les mêmes applaudissements retentirent et sc prolon- Juillet 1792. gèrent; l'orateur reprit : « Je demande que M. le pré<«<sident mette aux voix cette proposition simple: Que « ceux qui abjurent légalement et exècrent la république « et les deux chambres se lèvent. »

Lamourette parlait encore, que l'assemblée tout entière s'était levée, et que tous les membres, dans l'attitude du serment, prononçaient la déclaration de ne jamais souffrir ni l'établissement de la république, ni l'introduction du système des deux chambres, contraire à la constitution décrétée en 1791. Un cri général d'union suivit bientôt ce premier élan d'enthousiasme. Les membres assis à la gauche se précipitèrent vers la droite, les mains étendues vers leurs collègues, et les deux partis échangèrent des embrassements, confondirent leurs rangs, et abjurèrent pour un moment toute division. Scène étrange, fraternité imprévue, qui fit asseoir sur les mêmes bancs Jaucourt et Merlin, Dumas et Bazire, Albitte et Ramond, les girondins et les feuillants, les amis du roi et ses persécuteurs. L'étonnement redoublait en voyant les spectateurs eux-mêmes mêler leurs acclamations aux serments de l'assemblée, et se prodiguer, dans les tribunes, des témoignages d'affection et de cordialité. Au milieu de cette réconciliation, on se souvint du roi, et l'on décréta qu'une députation de vingt-quatre membres irait lui rendre compte de ce qui se passait au Manége; on fit plus, on décida que tous les corps constitués seraient appelés à la barre pour y être témoins de la réconciliation commune.

Dès

que le roi eut appris l'événement de la séance,

Juillet 1792. il ne voulut pas tarder de venir assister à ce spectacle inattendu, à être témoin des embrassements offerts par M. de Pastoret à ce Condorcet que, le matin même, il accusait encore de calomnier dans les journaux, moyennant un salaire de quinze livres par jour. Le roi arriva, et se félicita de la concorde publique en prenant sa part du bonheur de l'assemblée; bonheur trop rare, et qui ne dura qu'un très-petit nombre d'heures. Le lendemain, ceux-là mêmes qui en avaient joui se demandaient s'ils avaient bien pu prendre au sérieux un rêve pareil; et les jacobins, jouant sur les mots, tournaient en ridicule le baiser d'Amourette, la fraternité de Judas, dont la sincérité et la durée auraient déjoué leurs espérances. Pour nous, qui retraçons après plus d'un demi-siècle cette scène sans exemple et malheureusement sans résultat, nous ne pouvons la prendre pour une perfidie arrangée d'avance, pour un piége tendu aux opinions rivales. Nous honorons trop le cœur humain pour conclure de cette façon désespérante contre les passions et les haines de ce temps-là. La réconciliation d'un moment, qui fut provoquée par Lamourette, nous apprend, au contraire, que jusque dans les cœurs les plus exaltés par les fureurs politiques il existait alors des sentiments de vérité, de dévouement et d'abnégation qu'on ne retrouvera point plus tard, quand il y aura chez les partis plus de politesse parlementaire, mais aussi plus d'égoïsme. Les hommes de cette terrible époque étaient sincères dans leurs sauvages emportements comme dans leurs affections, et, amis ou ennemis, vaincus ou vainqueurs, ils aimaient la patrie. Ces jours sont passés, et puissent-ils ne ja

mais se reproduire! mais puissent, en même temps, Juillet 1792. disparaître de notre histoire contemporaine cette corruption, cette mollesse de convictions, cet oubli de la patrie et des principes, ces lâches et honteux calculs qui déshonorent les générations présentes!...

LIVRE SEPTIÈME.

Juillet 1792.

dè la

tion.

L'incident que nous venons de racconter n'eut aucun Courte durée résultat sérieux; les factions, qui, de toutes parts, déréconcilia- bordaient l'assemblée législative, ne la laissèrent pas maîtresse de suivre une politique de sentiment: le soir même, un arrêté du directoire de Paris ayant suspendu Péthion de ses fonctions de maire, pour le punir de sa conduite pendant la journée du 20 juin, le peuple prit parti pour le magistrat disgracié, et renouvela en sa faveur quelques-unes des démonstrations qui avaient signalé, en 1789, l'exil et le rappel de Necker. Dès le lendemain, la séance de l'assemblée se ressentit peu des embrassements de la veille, et les rivalités qu'on avait abjurées ne tardèrent pas à reparaître. De part et d'autre, on se renvoya la responsabilité de ces nouvelles divisions: la cour en accusa les jacobins, les jacobins y virent une manœuvre de la cour. Au fond, les événements ne faisaient que reprendre leur cours libre et naturel, et justifier cet adage du poëte persan, dont les hommes d'alors firent une juste application : « En ce <«< temps-là Ahrimane, le génie du mal, voyant que << l'homme désertait ses autels, alla trouver Oromaze,

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