Page images
PDF
EPUB

Oct. 1791. gique, la marche contraire eût paru plus naturelle. La constitution ayant été en grande pompe reportée aux archives, l'assemblée décida qu'une députation de soixante membres irait annoncer au roi que les représentants de la nation étaient désormais prêts à commencer leurs travaux : ensuite, sur la motion du député Cerutti, elle vota des remercîments solennels à l'assemblée constituante.

conflits entre

Louis XVI, à la fois doué d'une instruction solide et de connaissances profondes qui, dans les affaires d'administration ordinaire, lui permettaient d'éclairer son conseil, n'avait ni le sentiment des besoins politiques ni le tact nécessaire pour gouverner sans froisser les susceptibilités les moins irritables. Hors d'état de résister aux envahissements de la révolution, il n'osait point la combattre face à face, et il se contentait de la bouder. L'assemblée législative eut à se plaindre des procédés dont il usa d'abord envers elle. Premiers La députation qu'elle avait envoyée solennellement l'assemblée auprès du roi apprit, en se présentant aux Tuileries, qu'elle ne serait reçue que le lendemain; elle insista, et ne parvint à obtenir audience qu'après trois heures de délais humiliants. Aussi, lorsqu'elle fut enfin reçue, Ducastel, qui parlait en son nom, se borna-t-il à prononcer ce peu de paroles : « Sire, l'assemblée nationale législative est définitivement constituée; elle nous a députés pour en instruire Votre Majesté. » Le roi ne se montra pas moins laconique, et répondit à la députation qu'il ne pourrait se rendre dans le sein de l'assemblée avant la séance du vendredi suivant.

((

Lorsque le corps législatif eut connu les détails de

cette froide et impolitique entrevue, il s'abandonna Oct. 1791. aux conseils de la mauvaise humeur et à ses répugnances naturelles contre les idées monarchiques. Sur la proposition de Couthon, appuyée par les républicains de l'assemblée et des tribunes, il fut décrété qu'en parlant au roi le président s'abstiendrait désormais de se servir des dénominations de Majesté et de Sire, qui rappelaient un ordre social désormais aboli : on statua, en outre, que le roi et le président seraient assis sur deux fauteuils semblables, placés sur la même ligne. Ce cérémonial démocratique devait trop abaisser la dignité royale pour ne point soulever dans le cœur des amis du trône un sincère déplaisir mêlé de craintes : des réclamations s'élevèrent, et on apprit que Louis XVI, pour se soustraire aux affronts dont il se croyait menacé, se proposait de ne point venir ouvrir la session en personne et de confier ce soin à ses ministres. Dans la séance du 6, le parti constitutionnel obtint de l'assemblée qu'elle reviendrait sur son décret de la veille, et il ne resta de cet incident qu'un mécontentement sourd et des défiances réciproques.

« Messieurs, dit Louis XVI en séance royale, pour << que vos importants travaux, pour que votre zèle, << produisent tout le bien qu'on doit en attendre, il << faut qu'entre le corps législatif et le roi il règne une « constante harmonie et une confiance inaltérable. >> (Ces paroles firent éclater dans la salle et dans les tribunes le cri antique, et devenu bien rare, de vive le roi!)

<< Les ennemis de notre repos, continua ce prince, << ne chercheront que trop à nous désunir: mais que

Séance

royale.

Oct. 1791. «l'amour de la patrie nous rallie, et que l'intérêt pu«blic nous rende inséparables. Ainsi la puissance (( publique se déploiera sans obstacles; l'administra<«<tion ne sera pas tourmentée par de vaines terreurs, << les propriétés et la croyance de chacun seront éga«<lement protégées, et il ne restera plus à personne « de prétexte pour vivre éloigné d'un pays où les lois << seront en vigueur et où tous les droits seront res

Adieux

de la Fayette

nationale.

pectés... C'est à ce but que doivent en ce moment se «< rapporter toutes nos pensées; c'est l'objet que je re<«< commande le plus fortement à votre zèle et à votre <«< amour pour la patrie. »

Les applaudissements redoublèrent; mais ni leur murmure flatteur, ni la réponse du président Pastoret, ne purent ramener la sérénité dans le cœur du roi. Il avait remarqué avec un pénible étonnement que, pendant qu'il parlait, étant d'ailleurs assis, l'assemblée avait jugé convenable de s'asseoir elle-même; et, dans cette nouveauté, qui de nos jours nous paraît assez conforme à la dignité des pouvoirs, il avait cru voir un outrage calculé et odieux.

Pendant que le roi épanchait ses chagrins dans le à la garde sein de ses proches, le général la Fayette adressait ses adieux à la garde nationale parisienne '. En se séparant de cette milice armée, dont parfois il avait été moins le chef que l'instrument; de cette bourgeoisie qui regrettait en lui un ami souvent inintelligent, mais toujours sincère, des principes constitutionnels, la Fayette publia un célèbre ordre du jour, dans lequel il étalait et

1 8 octobre.

professait des doctrines de liberté et d'ordre, dont à Oct. 1791. ses yeux toute la sanction était dans les lois humaines; doctrines souvent étroites comme leur base, mais qui ne sont point toutes à rejeter, et parmi lesquelles plusieurs reposent sur des droits sérieux, trop souvent contestés. Ce document appartient à l'histoire, moins par les passages qui ont pour but de justifier la Fayette que par ceux qui peignent les espérances, les inquiétudes et les devoirs du parti constitutionnel de cette époque :

[ocr errors]

<< Sans doute, disait le général en regardant le passé, <<< sans doute nous avons eu trop de désordres à déplorer; et vous savez quelle impression douloureuse « et profonde ils ont toujours faite sur moi. Sans doute << nous-mêmes nous avons eu des erreurs à réparer; «< mais quel est celui qui, en se rappelant non-seule<<ment les grandes époques de la révolution, où la chose << publique vous doit tant, mais encore ce dévouement << de tous les instants, ces sacrifices sans bornes d'une << portion de citoyens pour la liberté, le salut, la pro(( priété et le repos de tous; en réfléchissant surtout « à cet état provisoire qui ne fait que cesser pour vous, <<< et où la confiance devait sans cesse suppléer à la loi : <«< quel est, dis-je, parmi ceux mêmes qui vous provo«< quaient et que vous protégiez, celui qui oserait blà<< mer les hommages que vous doit aujourd'hui un ami <<< sincère?

<< Gardez-vous cependant de croire que tous les gen<<< res de despotisme soient détruits, et que la liberté, « parce qu'elle est constituée et chérie parmi nous, y « soit déjà suffisamment établie! Elle ne le serait

[ocr errors]

Oct. 1791. « point, si d'un bout de l'empire à l'autre tout ce que « la loi ne défend pas n'était pas permis; si la circula<«<tion des personnes, des subsistances, du numéraire, éprouvaient quelque résistance; si ceux qui sont ap«< pelés en jugement pouvaient être protégés contre la « loi'; si le peuple, négligeant son plus précieux de« voir et sa dette la plus sacrée, n'était ni empressé <«<< de concourir aux élections ni exact à payer les con<<< tributions publiques; si des oppositions arbitraires, « fruits du désordre ou de la méfiance, paralysaient « l'action légale des autorités légitimes; si des opinions << politiques ou des sentiments personnels, si surtout

l'usage sacré de la liberté de la presse pouvait jamais « servir de prétexte à des violences; si l'intolérance << des opinions religieuses, se couvrant du manteau de « je ne sais quel patriotisme, osait admettre l'idée d'un <«< culte dominant ou d'un culte proscrit; si le domicile << de chaque citoyen ne devenait pas pour lui plus in<< violable que la plus inexpugnable forteresse; si enfin << tous les Français ne se croyaient pas solidaires pour <«<le maintien de leur liberté civile comme de leur <«< liberté politique, et pour la religieuse exécution « de la loi; et s'il n'y avait pas, dans la voix du magistrat qui parle en son nom, une force toujours su

1 Et Favras, Foulon, Berthier! ! !... les avait-on protégés contre la loi, ou égorgés malgré la loi? Et qu'avait fait la garde nationale pour les défendre?

2 Assiter aux élections est un devoir pour l'électeur, moins encore qu'un droit; et le plus précieux devoir, la dette la plus sacrée du peuple, sont le devoir et la dette envers Dieu, la justice et la vérité. Que penser d'ailleurs d'institutions appelées populaires, et dont le peuple ne se soucierait pas de jouir?

« PreviousContinue »