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Mai 1792 Molleville, d'en être les principaux directeurs, et de menacer la France d'une Saint-Barthélemy de patriotes. A cet égard, il entrait dans des détails non moins faux que ridicules, déclarant que tout était prêt pour le massacre; qu'à l'imitation du tyran de Sardaigne on aurait des matières combustibles toutes prêtes, de toutes parts, pour mettre le feu partout; que le génie infernal d'une Médicis dirigeait cet horrible complot, qui devait favoriser la fuite d'un grand personnage. MM. de Montmorin et Bertrand de Molleville, ainsi dénoncés, portèrent plainte contre Carra au juge de paix Larivière : interpellé par ce magistrat, Carra répondit qu'il tenait les détails dont il avait fait usage de trois députés, Merlin, Chabot et Bazire, tous membres du comité de surveillance. Le juge de paix, sans se laisser arrêter par cette circonstance que les membres de l'assemblée étaient inviolables, admit le cas de flagrant délit, et décerna un mandat d'amener contre les trois députés, qui obéirent et protestèrent. L'assemblée nationale, voyant dans cette conduite courageuse, mais imprudente, une attaque contre ses droits, rendit un décret d'accusation qui renvoyait le malheureux Larivière devant la haute cour d'Orléans : c'était le désigner à la mort 1.

enlève au roi

constitution

L'assemblée Cet incident agitait encore les esprits, lorsqu'une Saarden- affaire plus grave vint la faire oublier. Le député nelle. Bazire porta à la tribune une dénonciation contre la garde constitutionnelle du roi, accusant ce prince de l'avoir composée de contre-révolutionnaires et d'aris

1 Séance du 20 mai.

tocrates, et de la tenir en réserve pour venir en aide Mai 1792. aux émigrés et détruire la constitution. La garde du roi était en effet la dernière ressource qui pût protéger avec un peu d'énergie la personne de Louis XVI; et ceux dont les complots menaçaient le trône redoutaient la présence et la fidélité de cette troupe. L'assemblée nationale délibéra sur la prétendue révélation de Bazire, agitant la question de savoir si, nonobstant les dispositions de l'acte constitutionnel, il était permis de licencier la garde militaire que la loi accordait au roi. Le parti feuillant, par l'organe de Ramond, de Troudières et de Daverhoult, réclama en faveur de Louis XVI et des principes; mais la voix de ces courageux députés fut couverte par celle de Guadet et de Vergniaud, qui ne craignirent pas de faire apparaître devant l'assemblée le vieux fantôme historique de la garde prétorienne. (Étrange Néron que Louis XVI!) Le poids de leur éloquence et des passions l'emporta : l'assemblée, par un décret rendu sur la proposition de Guadet, cassa la garde du roi, et renvoya son chef, le fidèle duc de Cossé-Brissac, devant la haute cour d'Orléans.

croissante.-

tonne contre

les prêtres.

L'exaltation ne cessait de croître. Pendant que l'as- Irritation semblée nationale rendait des lois de police contre les Legendre déserteurs et les étrangers, le peuple s'agitait au simple bruit d'une prochaine fuite du roi. Les jacobins, toujours livrés au paroxysme d'une colère mêlée de peur, ne voyaient autour d'eux que des dangers et des traîtres. Leurs séances, tantôt scandaleusement troublées par des luttes de personnes, tantôt absorbées par la nécessité d'entendre de vaines déclamations contre

Mai 1792. «la

L'assemblée décrète

<< la Fayette et Catilina, » contribuaient à irriter les fureurs de la multitude et à préparer le dernier assaut qui devait emporter le trône. Un moment leur club eut à s'occuper de la question des prêtres réfractaires; et l'histoire doit remplir le pénible devoir de recueillir les paroles menaçantes que cette discussion provoqua contre les ecclésiastiques dont la conscience répugnait au serment : « Que le prêtre réfractaire, dit Legendre, << soit puni sévèrement; qu'il porte sa tête sur l'écha<«< faud ou son corps aux galères. Qu'on s'abstienne de << le déporter. S'il y a chez nous un insecte dont le ve<< nin soit dangereux, il ne faut pas l'envoyer chez nos <<< voisins. A Brest, il existe des bateaux construits de << telle manière, que, lorsqu'ils sont remplis d'immon<< dices, ils vont en rade. Eh bien! arrangeons de même «< les prêtres, et, au lieu de les envoyer en pleine rade, << envoyons-les en pleine mer; qu'elle les submerge « même, s'il le faut! Quand un cultivateur trouve une <«< chenille, il la met sous son pied... » Quelles images! Avant peu de mois la réalité devait apparaître plus odieuse encore, et traduire en assassinats cette éloquence d'abattoir1.

En attendant, le ministre Servan, sans en avoir reçu la création l'ordre du roi, sans avoir même consulté ses collègues,

d'un camp

sous les murs

de Paris. vint proposer à l'assemblée nationale de former sous

les murs de Paris un camp de vingt mille fédérés, qui serait destiné à protéger les députés et la capitale. Cette proposition, à laquelle s'opposa Dumouriez, fut combattue par une pétition de huit mille gardes natio

1. Legendre, qui fut député, exerçait la profession de boucher.

naux, qui s'indignaient de ce qu'on osât douter de leur Juin 1792. dévouement et de leur courage. Cependant le décret fut rendu par une majorité composée des députés girondins et jacobins ; les deux factions, profondément divisées par des rivalités de personnes et de principes, tombaient facilement d'accord lorsqu'il s'agissait d'humilier le roi et de ruiner les dernières bases de la monarchie 1.

Le dénoûment approchait; chaque jour amenait un prétexte de récrimination ou d'alarme; les ennemis du roi se hâtaient de grossir le moindre incident et de le transformer en complot contre le peuple. Un jour, douze Suisses avaient arboré la cocarde blanche; le lendemain, on apprit que, par ordre de l'intendant de la liste civile, des dépôts considérables de papier avaient été brûlés dans les fours de la manufacture de Sèvres : c'était un libelle imprimé à Londres et dirigé contre la reine. Tout cela servait à merveille les projets de ceux qui voulaient inquiéter et agiter le pays. L'assemblée nationale, feignant de croire au danger, se déclara en permanence; elle renouvela les décrets atroces par lesquels elle frappait de la déportation tous les curés, desservants, prélats, religieux, qui, ayant refusé de prêter le serment constitutionnel, seraient dénoncés par vingt citoyens actifs comme étant dans leur canton une cause de trouble.

Incidents.rannique le clergé

Décret ty

rendu contr

fidèle.

de sanctionner les deux décrets.

Le malheureux Louis XVI avait consenti à sanction- Le roi refuse ner le décret qui cassait sa garde et l'exposait presque désarmé aux entreprises de ses ennemis. Mais vaine

Le décret fut rendu le 8 juin.

Juin 1792. ment Dumouriez l'engageait-il, au nom d'une fausse prudence, à donner son approbation à la réunion des vingt mille fédérés et aux lois de persécution rendues contre les fidèles ministres de l'Église, le roi trouvait

Fameuse lettre du ministre Roland

dans le sentiment de sa conservation et dans le cri de sa conscience un reste d'énergie qui le déterminait à résister cette fois aux ordres de l'assemblée nationale. Ce fut dans le ministère même le signal d'une démarche insolente dont les admirateurs de madame Roland ont revendiqué pour elle le triste honneur: que sa mémoire en demeure donc chargée! Cette républicaine sans pitié rédigea, au nom de son mari, une lettre adressée à Louis XVI, et que signa le ministre de l'intérieur. Les griefs de la Gironde y étaient exposés, et le roi sommé d'y faire droit, au mépris de sa dignité et de ses remords. Voici cette lettre trop fameuse que Roland lut à Louis XVI en plein conseil, en l'accompagnant des commentaires les plus amers.

<< Sire, l'état actuel de la France ne peut subsister << longtemps; c'est un état de crise dont la violence atLouis XVI. « teint le plus haut degré : il faut qu'il se termine par

<< un éclat qui doit intéresser Votre Majesté autant qu'il

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<«<< Honoré de votre confiance et placé dans un poste <«< où je vous dois la vérité, j'oserai la dire tout entière; c'est une obligation qui m'est imposée par

« vous-même.

« Les Français se sont donné une constitution: elle «< a fait des mécontents et des rebelles; la majorité de <«<< la nation la veut maintenir; elle a juré de la dé« fendre au prix de son sang, et elle a vu avec joie la

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