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Oct. 1791. le moyen le plus sûr de conduire ces troupeaux d'hom

mes auxquels un bienfait de la nature a réservé les phi-
losophes pour leur servir d'apôtres et de flambeaux.
Condorcet avait le premier formulé et mis en honneur
cette idée de la perfectibilité continue de l'homme, qui
console le matérialiste en attribuant à la créature l'es-
pérance et le droit de posséder un jour le caractère es-
sentiel de la Divinité: c'est l'idée du progrès indéfini,
dont une secte moderne a fait son drapeau. C'est par
elle
que
Condorcet se séparait, au moins en apparence,
de l'école philosophique purement railleuse et négative,
pour jeter, en dehors de la vérité, les bases d'une théo-
rie qui, reposant sur l'orgueil, ne sert qu'à exalter et à
étourdir le cœur de l'homme. Et cependant Condorcet
n'était ni sans bonne foi ni sans quelques vertus. Lui,
au moins, il avait pris au sérieux ses propres enseigne-
ments, et c'était avec une ardeur aveugle, mais sincère,
qu'en étendant ses doctrines il croyait travailler au
bonheur de l'espèce humaine. Son esprit était actif et
laborieux, ses mœurs douces, son caractère parfois sus-
ceptible de générosité et de dévouement, bien qu'avant
tout il se recherchât lui-même; et, sous ce rapport, sa
conduite l'avait exposé à de fâcheux commentaires de
la part de ceux qui lui reprochaient à juste titre de se
courber sous les bienfaits du roi, dans le temps même
où il enseignait publiquement le mépris des institutions
royales'. Ce dernier trait, qui est vrai, est aussi de tous

‚1 On publia un portrait de Condorcet, au bas duquel on lisait cette méchante épigramme :

Jadis mathématicien,
Marquis, académicien;

les temps, et il donne la mesure de beaucoup de pa- Oct. 1791.

triotismes.

Comme Sieyès et Brissot, Péthion était de Chartres. La révolution, qui l'avait trouvé avocat médiocre, commençait à reconnaître en lui l'une de ses idoles favorites, se réservant de traîner le dieu aux gémonies quand elle serait lasse de l'encenser; et ce jour de justice ne devait pas tarder à venir. Comme il avait fait partie de l'assemblée constituante, il n'était pas membre de la nouvelle législature; mais la Gironde aimait à voir en lui un apôtre, au besoin un guide, et, dans tous les cas, une caution de plus de son patriotisme, un gage certain d'influence et de popularité. Péthion était ce grossier républicain qui, durant les angoisses du fatal retour de Varennes, avait, par la rudesse de ses manières, rendu plus amer le malheur du roi. Sa brutale

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Le journal de Marat est bien autrement énergique; voici dans quels termes il stigmatise Condorcet :

...

་ Un Condorcet, tartuffe consommé sous le masque de la franchise: « adroit, intrigant, qui a le talent de prendre des deux mains ; et fourbe «< sans pudeur. qui veut allier les contraires, et qui, sans rougir, eut le « front de débiter au Cirque son discours républicanique, après avoir ré« digé si longtemps le journal du club ministériel. »

Ces aménités et ces violences n'avaient alors, pas plus que de nos jours, une autorité incontestée; et il faut bien se garder de les accepter sans contrôle mais elles aident à comprendre l'époque et les hommes révolutionnaires.

Péthion.

Oct. 1791. austérité lui avait valu le surnom de vertueux; et le jour où finit le pouvoir de l'assemblée constituante, la multitude le porta en triomphe, honneur que l'incorruptible Robespierre partagea avec lui. Il en était alors venu à jouir de cette popularité trompeuse dont Necker avait senti le néant; et, comme les esprits de cette trempe, enivrés par l'orgueil, n'entrevoient ni le vide ni la courte durée de l'engouement qu'ils inspirent, il se croyait le représentant nécessaire de la révolution, l'homme d'État destiné au rôle de modérateur des factions contraires.

Le côté

gauche.

paux chefs.

Le côté gauche, qui comptait encore dans ses rangs Les princi- un petit nombre d'orléanistes découragés, ne devait se signaler dans l'assemblée législative que par l'exagération et la violence de ses entreprises: le moine apostat Chabot; Basire, fils du portier des chartreux de Dijon; Couthon, dont le corps, paralysé par une infirmité précoce, renfermait encore un cœur virulent et plein d'audace, tels étaient les députés les plus connus de ce parti qui ne dissimulait ni sa profonde haine pour le roi ni son mépris pour les principes monarchiques. Comme ils siégeaient sur les gradins les plus élevés de l'assemblée, les journalistes les désignaient sous le nom expressif de Montagne. Une masse flottante de députés indécis et timides, qui ne votaient qu'après avoir pris conseil de leurs propres dangers, et dont parfois l'autorité politique passait pour suspecte, se détachait de des hommes toutes les nuances et occupait les gradins inférieurs : on la désignait sous le nom honteux de Ventre.

Parti

douteux.

-

Le ventre.

Puissance

des clubs.

L'assemblée législative qui allait régir la France était Les jacobins. placée elle-même sous la tutelle et la menace des clubs,

dont la constituante, aux derniers jours de sa mission, Oct. 1791. avait vainement voulu briser le joug et désunir le faisceau. La formidable société des jacobins représentait dans l'État une puissance d'autant plus à craindre, que, s'appuyant sur l'opinion révolutionnaire et ne puisant que là ses inspirations et son énergie, elle ne reconnaissait de limites et de règles que les nécessités vraies ou prétendues du salut du peuple. Robespierre en était l'expression vivante, le chef avoué. Nul n'osait se targuer de patriotisme s'il ne s'était politiquement réchauffé à la flamme incandescente des jacobins : le titre d'affilié était une garantie indispensable de vertu civique. Le club continuait d'avoir sa tribune, sa barre et ses galeries; c'est là que le côté gauche de l'assemblée législative venait épurer ses doctrines et faire l'essai de son zèle; là aussi la plupart des girondins se réfugiaient comme dans un asile naturel ouvert à la morale et à la vérité républicaine; de là enfin partaient ces motions qui, reproduites plus tard à l'assemblée législative ou dans la presse, provoquaient le peuple à désirer de grands changements dans la forme de sa constitution, à braver, avec le courage du désespoir, les entreprises de l'émigration et de l'Europe conjurées. Se plaçant au-dessus des lois, en vertu des dangers et de la souveraineté du peuple, le club des jacobins entretenait, avec une multitude innombrable de sociétés analogues, organisées sur toute la surface du royaume, une correspondance et des rapports de tous les jours; et c'est ainsi que, toutes les forces démocratiques du pays se trouvant groupées et resserrées sous la main de quelques meneurs fameux, la société des ja

Oct. 1791. cobins, nonobstant l'existence des pouvoirs constitutionnels, était vraiment alors le nerf du pouvoir et le cœur de la France révolutionnaire.

Les cordeliers

et. leurs chefs.

Aux démagogues dont nous venons de citer les noms, et qui tenaient à honneur de siéger à ce club, s'étaient adjoints d'autres républicains moins célèbres encore, mais déjà fort influents à la tribune ou dans la presse : Le député provençal Isnard, que les lauriers de Mirabeau empêchaient de dormir; l'abbé Fauchet, ancien journaliste, et, depuis lors, évêque intrus du Calvados; le député Grangeneuve, substitut de la commune de Bordeaux; un fécond et médiocre dramaturge, nommé Mercier; Dussaulx, vieillard exalté et timide; Collot d'Herbois, comédien sifflé sur les planches de Lyon; le financier Clavières, exilé de Genève, sa patrie; l'obscène romancier Louvet; le journaliste Giret-Dupré; Carnot, député du Pas-de-Calais et capitaine au corps royal du génie; Lecointre, député de Versailles; l'Américain Thomas Payne, naturalisé citoyen français; Lanthenas, Bois-Guyon, Billaud-Varennes, Lacépède, Pastoret, Bigot de Préameneu, Broussonnet, Hérault de Séchelles, Quatremère de Quincy, Ramond, de Bry, Kersaint, Lacretelle aîné, Gasparin, Antonelle, Cambon, Lequinio, Maignet, Romme, Soubrany, Albitte, Saladin, Sers, appartenant pour la plupart à l'assemblée législative, à l'armée ou à la science. Au moment où cette histoire est parvenue, tous ces hommes, enrôlés sous la même bannière, paraissaient marcher de concert, mais ils allaient bientôt choisir et suivre des routes diverses.

Cependant les sans-culottes, car nous sommes con

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