Page images
PDF
EPUB

1792

Je Louis XVI

SPES je TELIME

généreux témoignages, se vengeaient en faisant naître des scènes scandaleuses. Un jour, à l'Opéra, l'actrice qui chantait un air de Grétry eut l'idée de s'incliner vers la reine en prononçant ces paroles: Ah! comme jaime ma maitresse! A l'instant le parterre s'écria: Pas de maîtresse! pas de maître! liberte! Quelques hommes répondirent, du haut des balcons: Vire la reine! vive le roi! Et le parterre de s'écrier avec plus d'énergie encore : Point de maitre! point de reine! Il s'ensuivit une mêlée des plus longues et des plus sérieuses, durant laquelle la reine sut conserver un maintien plein de calme et de dignité.

Le curé de Saint-Eustache, confesseur de la reine, ayant prêté le serment constitutionnel, Marie-Antoinette choisit pour directeur spirituel un ecclésiastique demeuré tidèle, et qu'on introduisait en grand mystère aux Tuileries : le roi et la reine en étaient réduits à se cacher pour faire leurs pàques.

La nouvelle constitution détruisait ce qu'on appelait les honneurs, et rendait ainsi impossible le maintien de cette étiquette brillante et minutieuse dont Louis XIV avait dicté les usages. Les grandes dames qui tenaient « au tabouret » méprisèrent le nouvel ordre de choses, et se démirent de leurs fonctions de cour: leur exemple fut imité, et l'on se demanda si Louis XVI n'allait pas bientôt songer à réorganiser sa maison civile. Le roi et la reine s'y refusèrent, dans la crainte de constater, par les nouvelles dénominations des charges, l'anéantissement des anciennes, et aussi pour ne pas admettre dans les emplois de cour des gens non titrés, et que leur naissance bourgeoise excluait de la maison royale. Bar

nave et les Lameth virent avec déplaisir cette détermination; ils représentèrent que l'assemblée constituante avait décrété une liste civile suffisante à la splendeur du trône, et que l'on fortifierait les soupçons du peuple si l'on se bornait à instituer, autour du roi, une garde militaire, sorte de réserve destinée, au dire des pamphlétaires jacobins, à former le noyau d'une armée liberticide: << Comment voulez-vous, madame, écrivait Barnave à la reine, parvenir à donner à ces gens-ci le moindre doute sur vos sentiments? Lorsqu'ils vous décrètent une maison militaire et une maison civile, semblable au jeune Achille parmi les filles de Lycomède, vous saisissez avec empressement le sabre, pour dédaigner de simples ornements. » La reine persista à ne vouloir de maison civile : « Si cette cour constitutionnelle était formée, disait-elle, il ne resterait pas un noble près de nous; et, quand les choses changeraient, il faudrait congédier les gens que nous aurions admis à leur place'. » Ainsi les illusions d'une prochaine restauration monarchique survivaient toujours en son cœur et servaient de règle à sa conduite.

pas

Barnave, devenu tardivement le conseiller le plus assidu et le plus dévoué de la reine, ne parvint que bien rarement à voir cette auguste princesse depuis le fatal retour de Varennes. Il écrivait, on lui répondait; tout se passait par lettres entre Marie-Antoinette et l'ancien constituant; on craignait de part et d'autre l'espionnage des jacobins et de l'assemblée. Mais, malgré ces précautions, les nouveaux sentiments ou les remords

1 Mémoires de madame Campan.

1792.

Conduite et

démarches de

Barnave.

1792.

Garde constitutionnelle

du roi.

de Barnave n'étaient un mystère pour personne. Aussi
la
presse révolutionnaire ne le ménageait pas, et cha-
que matin, mêlant son nom à ceux des la Fayette et des
Lameth, elle le vouait à l'exécration du peuple. La ré-
volution, que Barnave avait si puissamment poussée
dans sa route, lui réservait encore d'autres récompen-
ses, ou pour mieux dire une autre justice. En at-
tendant, Barnave s'attachait, mais sans succès, à com-
battre les répugnances du roi dans la question du
clergé constitutionnel : il le suppliait de donner enfin
sa sanction au décret lancé contre les prêtres ortho-
doxes; Louis XVI, si résigné lorsqu'il ne s'agissait que
de ses prérogatives ou de sa personne, résistait coura-
geusement à ces tristes conseils. Cependant les événe-
ments ayant marché, les constitutionnels perdirent cha-
que jour du terrain, la lutte se dessina nettement entre
la royauté et la république, et il n'y eut bientôt plus de
place pour un parti du milieu : ce fut alors que Bar-
nave, désespéré de l'avenir, et bien convaincu de l'inu-
tilité de ses efforts, quitta Paris, et alla chercher dans
sa ville natale1 un asile qui ne fut pas longtemps hos-
pitalier.

Un décret de l'assemblée législative accorda au roi le droit d'avoir une garde; et, dès le premier jour, un singulier conflit s'éleva entre la garde soldée et la garde nationale, qui, toutes deux, réclamaient le poste d'honneur. Les journalistes jacobins prirent parti pour la garde nationale, mais ils la blâmèrent de regarder comme poste d'honneur celui qui se trouvait le plus

1 A Grenoble.

rapproché de la chambre du roi. « C'est aux domestiques, écrivaient-ils dans leurs feuilles, à se tenir le plus près de leur maître, pour être mieux à portée de le servir sans le faire attendre: or les citoyens soldats ne vont point au château pour remplir l'office de valets; ce n'est qu'une garde d'honneur qu'ils accordent au chef du pouvoir exécutif; c'est-à-dire, ils font à Louis XVI l'honneur de le garder car il n'y a pas grand honneur, pour des hommes libres, à garder un roi; mais il y a beaucoup d'honneur pour un roi à se voir gardé par des hommes libres'. » Nonobstant cette maxime républicaine, les sections se prononcèrent dans le même sens que les gardes nationaux, et Louis XVI s'empressa de faire droit à leurs réclamations*.

1 Journal de Prudhomme, t. II, p. 539.

2 On se fera une idée du langage que tenaient les révolutionnaires de la presse et des clubs par celui que parlaient au roi les fonctionnaires publics. P. Manuel, procureur syndic de la commune de Paris, adressa à ce prince une lettre lâchement insolente qu'il fit imprimer, et dont il donna lecture aux jacobins. « Sire, disait-il dans cet écrit, je n'aime pas « les rois ils ont fait tant de mal au monde, à en juger par l'histoire « même, qui flatte les plus grands d'entre eux, qui sont les conquérants, « c'est-à-dire ceux qui ont assassiné les nations! Mais, puisque la consti« tution qui m'a fait libre vous a fait roi, je dois vous obéir. Vous devez « vous soumettre à la loi, qui est la volonté de tous, par respect et pour « elle et pour vous. Les ministres vous ont sans doute prévenu que le peuple, « malgré vos serments, s'attend tous les jours à votre départ; mais il sait « que le trône des Français ne s'emporte pas. - Fonctionnaire public, vous « devez au peuple de repousser la calomnie, car toute votre force est dans « sa pensée et dans son estime; et quatre lignes tracées par votre main «< dans un journal, comme en écrivait ce Frédéric qui pouvait bien passer <«< pour un roi, vaudraient mieux que les proclamations que vous payez « toujours et que vous ne lisez pas... Vous avez un fils... enfant qui sera « un jour très-étonné de trouver vingt-cinq millions d'hommes dans la << succession de son père : demandez que cet enfant soit confié à un ami « de la nature, à Bernardin de Saint-Pierre... Tous, tant que vous êtes,

1792.

1792.

Quand de pareils symptômes se manifestent dans une situation politique, le pouvoir doit s'attendre à toutes les dégradations. Aussi la société, placée sous la menace d'une crise prochaine et inévitable, ne cherchait déjà plus à s'en garantir; elle se hâtait de vivre,

« monarques de la terre, vous avez toujours méprisé le peuple : le temps « approche où il vous apprendra s'il n'a pas d'autres vertus que l'obéis«sance... C'est en inoculant à toute votre famille les principes et les mœurs « de l'égalité, que vous prouverez votre attachement à la déclaration des « droits, et non pas par des veto, » etc.

Un autre incident, bien misérable sans doute, acquiert quelque valeur aux yeux de l'historien, en ce qu'il sert à peindre sous quelles humiliations gémissait le roi. Un député nommé Brival, ayant voulu traverser le jardin des Tuileries en tenant à la main une canne, reçut d'un factionnaire l'injonction de la déposer chez le concierge. C'était un malentendu; car la consigne qui interdisait le port des armes et des bâtons ne s'appliquait point aux promeneurs traversant le jardin des Tuileries, mais bien aux individus qui entraient au château. Brival n'en crut pas moins de sa dignité offensée de protester: il se permit donc d'écrire au roi, et de faire imprimer sa lettre, qui se terminait ainsi : « ... J'espère que vous me ferez « rendre incessamment la canne que je réclame. Comme vous, sire, je « suis inviolable, et la constitution ne met de différence entre notre in« violabilité respective que le sacre de votre personne : vous avez une « garde de dix-huit cents hommes, d'après la constitution, et un régiment « de Suisses, au mépris de cette même constitution. Si ma canne ne « m'était pas remise incessamment, je profiterais, sire, du bénéfice de la «<loi, en citant devant les tribunaux l'administrateur de votre liste civile. >> Le gouvernement était tombé si bas, que le ministre de l'intérieur, Roland, fit à cette réclamation impertinente une réponse humble et obséquieuse, au bas de laquelle Brival était prié de vouloir bien accepter une indemnité. Mais ce n'était point assez pour les démagogues, et voici l'observation que cette étrange correspondance provoqua dans le journal le plus accrédité de la révolution : « Un autre roi que Louis XVI n'aurait « pas cru au-dessous de sa dignité de répondre lui-même, et aurait chargé « le commandant de sa garde d'aller chez M. Brival lui porter ses ex«cuses... Ceux qui trouveraient que M. Brival fait bien du bruit pour une «< canne ignorent apparemment qu'il ne faut rien passer aux rois et à leurs «gens, les rappeler à l'ordre selon l'occurrence, et les obliger à être du << moins honnêtes envers ceux qu'ils doivent respecter. »

« PreviousContinue »