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Avril 1792. « que puissance étrangère nous attaque; et proba<«<blement nous n'aurons pas de guerre, car aucune «< puissance n'a intérêt à nous attaquer. En les pro<«< voquant, au contraire, nous jetterons sur notre <«< cause la plus grande défaveur aux yeux des peuples <«< voisins. On nous prêtera le caractère d'agresseurs; << on nous représentera comme un peuple inquiet qui <<< trouble le repos de l'Europe, au mépris des traités << et de ses propres lois. Vous aurez donc à combattre, <<< non- seulement les despotes, mais les peuples eux<«< mêmes, armés contre vous par la haine naturelle << qu'inspire à tout homme celui qui vient troubler le « repos de son pays. Enfin cette guerre, j'ose le dire << encore, relève déjà les espérances de tous les en<«< nemis de la révolution; c'est après la guerre qu'ils

Discours de
Mailhe.

soupirent. Les émigrés, actuellement sans appui, dirigeront les armées des puissances étrangères; les <<< ennemis intérieurs en auront plus d'audace. - Je <«< conclus à ce que l'assemblée nationale décrète qu'il << n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition du roi. » Il y avait dans ce discours beaucoup de choses vraies, mêlées d'ailleurs à des erreurs de détail, et entachées par une appréciation inexacte des nécessités de la situation. Il ne fut pas difficile aux partisans de la guerre de réfuter ce système.

« Il ne s'agit plus, s'écria Mailhe', de savoir si vous <«< décréterez la guerre; il s'agit de la décréter, ou de « vous résoudre à vous avilir aux yeux de l'Europe, et à <«< compromettre la liberté de la nation que vous repré

Député de la Haute-Garonne.

<< sentez... Il s'agit de déployer la contenance fière que Avril 1792. <<< vous avez tant de fois annoncée, de soutenir par votre << confiance le peuple français à la hauteur de son cou<< rage. Faites voir à ce grand peuple, par une délibéra<«<tion prompte et unanime, que vous méprisez ses en

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nemis, et il les méprisera; faites-lui voir que vous le << croyez invincible, et il le sera. Que dis-je? Combien « de fois ne vous a-t-il pas lui-même dit et répété que << tous les despotes réunis parviendraient plutôt à ré<«< duire la France en une vaste solitude qu'à y faire ré<< trograder la liberté d'un seul pas? » (Acclamations dans l'assemblée et dans les tribunes.) « Hâtez-vous « donc de céder à sa juste, à sa généreuse impatience. « L'humanité souffre sans doute, lorsque l'on considère << qu'en décrétant la guerre vous allez décréter la mort <«< de plusieurs milliers d'hommes; mais considérez << aussi que vous allez peut-être décréter la liberté du << monde. » (Nouveaux applaudissements.) « Considé<< rez les lâches, les coupables espérances qu'on donne << en France aux traîtres, et les inquiétudes meurtrières << dont on y agite les bons citoyens. Considérez qu'au << dehors le despotisme est dans ses dernières convulsions, qu'une prompte attaque précipitera son ago<«< nie; mais qu'il pourrait devenir plus redoutable que

jamais, si vous lui donniez le temps de rappeler au<<< tour de lui toutes ses ressources. » (Les applaudissements recommencent et se prolongent.) « Considérez << qu'au dedans la liberté présente une masse de forces <«< qu'elle n'avait encore eues chez aucun peuple, mais qu'elle y est comprimée par une foule de contradic<«<tions qui menacent de l'étouffer, et qu'elle ne cessera

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Avril 1792. « d'être en danger que lorsque vous aurez permis à ses « défenseurs de renverser les obstacles qui arrêtent sa << marche. Le sort de cette grande lutte entre la liberté « et le despotisme dépend peut-être du décret que vous << allez porter : une guerre, entreprise pour une telle <«< cause et dans de pareilles circonstances, ne doit pas << être regardée comme le fléau, mais comme le triom<< phe de l'humanité! » (Nouvelles acclamations; on demande à aller aux voix.)

Paroles

de Dubayet.

l'assemblée.

Dubayet' s'élança à la tribune, et, malgré l'impaVote de tience de l'assemblée qui semblait rendre son discours inutile, il trouva le temps de s'écrier: « Daignez m'en<< tendre, je parle pour l'honneur national. L'assemblée << ne peut, sans lâcheté, ne pas décréter la guerre. » (On applaudit.) << Nous sommes tous Français, et le même << sang bouillonne dans nos veines. Lorsque des puis<< sances coalisées ont l'audace de prétendre à nous <«< donner un gouvernement... » (De toutes parts on s'écrie: Non, non, elles n'y parviendront pas !) « Non, <«< non, sans doute, nous ne le souffrirons jamais; nous << voulons la guerre, puisqu'elle est nécessaire pour dé<< fendre notre liberté; et, dussions-nous tous périr, le << dernier de nous prononcerait le décret. >>

Manifeste proposé par Condorcet.

Ces paroles soulevèrent un immense enthousiasme, et sans plus de retard l'assemblée vota la guerre : la minorité ne fut que de sept voix, parmi lesquelles celles de Théodore Lameth et de M. de Jaucourt. Condorcet monta alors à la tribune, et soumit aux délibérations de l'assemblée un projet de manifeste populaire; c'é

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tait une amplification philosophique, dont plusieurs Avril 1792. passages frappèrent singulièrement les esprits, et qui avait pour but de justifier aux yeux du monde et à ceux de l'histoire la détermination soudaine de la France. (( Chaque nation, était-il dit dans cet exposé de prin«< cipes, a seule le pouvoir de se donner des lois, et le << droit inaliénable de les changer à son gré. Ce droit << n'appartient à aucune, ou leur appartient à toutes <<< avec une entière égalité. »

Ce principe absolu était incontestable; mais on pouvait lui opposer cet autre principe non moins respectable, que toute nation est responsable des dangers et des dommages que les institutions qu'elle se donne causent aux peuples voisins; et l'Europe contestait moins à la France le droit de se constituer à son gré que la faculté de provoquer toutes les nations à la révolte. Condorcet ne se dissimulait pas la force de l'objection; mais il cherchait à établir que l'Europe s'était alarmée à tort sur les dangers dont la menaçait la propagande révolutionnaire, et que d'ailleurs, si les Français avaient appelé les peuples à la liberté, les rois avaient en revanche mis tous leurs soins à favoriser en France les idées despotiques, les réactions et les publications monarchiques. « On a parlé, disait-il, des <«< tentatives faites par des Français pour exciter les << peuples voisins à reprendre leur liberté, à réclamer << leurs droits; ces tentatives eussent-elles été réelles, << les puissances qui ont souffert le rassemblement de «< nos émigrés, qui leur ont donné des secours, qui ont << reçu leurs ambassadeurs, qui les ont publiquement <«< admis dans leurs conférences, n'auraient pas con

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Avril 1792. «servé le droit de se plaindre; ou bien il faudrait dire << que tout est légitime contre les peuples, que les rois << seuls ont de véritables droits; et jamais l'orgueil du << trône n'aurait insulté avec plus d'audace à la majesté <<<< des nations. >> Un peu plus loin, il ajoutait les paroles suivantes, nouvelle formule du droit des gens selon la révolution française : « La parenté, l'alliance << personnelle entre les rois n'est rien pour les nations; <<<< esclaves ou libres, des intérêts communs les unissent; «< la nature a placé leur bonheur dans la paix, dans les << secours mutuels d'une douce fraternité : elle s'indi<< gnerait qu'on osât mettre dans une même balance le << sort de vingt millions d'hommes et les affections ou l'orgueil de quelques individus? Sommes-nous donc «< condamnés à voir encore la servitude volontaire des peuples entourer de victimes humaines les autels <<< des faux dieux de la terre? »

Nous croyons devoir reproduire le célèbre décret qui intervint à la suite de ce manifeste, et qui fut rédigé par Gensonné :

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« L'assemblée nationale, délibérant sur la propo«<sition formelle du roi, considérant que la cour de <«< Vienne, au mépris des traités, n'a cessé d'accorder <«< une protection ouverte aux Français rebelles; qu'elle «< a provoqué et formé un concert, avec plusieurs puis"sances de l'Europe, contre l'indépendance et la sû«< reté de la nation française; - que François Ier, roi « de Hongrie et de Bohême, a, par ses notes des <<< 18 mars et 7 avril dernier, refusé de renoncer à ce <<< concert;

Que, malgré la proposition qui lui a été faite, par

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