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L'explication que Bordas a donnée du moyen âge, et qui constitue une des belles conquêtes du génie historique, apparaît aussi, dans les OEuvres posthumes, avec une grandeur et une netteté saisissantes. Sous les abus et la barbarie de cette époque, il surprend le secret de la régénération sociale du genre humain, et il explique comment la liberté moderne rendra à la religion chrétienne les bienfaits qu'elle en a reçus :

«Comme il est rare que quelque bien ne sorte pas d'un mal immense, la souveraineté universelle que les papes prétendent exercer, contribue à dissoudre la société païenne dont elle est née, à créer une unité entre les États de l'Occident malgré la divergence de leurs intérêts particuliers, à produire ce qu'on appelle la chrétienté, qui prépare la société réellement chrétienne, la démocratie européenne, instituée par la Révolution française, et destinée à renouveler toutes les associations humaines; oui, toutes, même les vastes et immobiles empires de l'Asie qu'on croirait pétrifiés, à vivifier toutes les nations, même les Indiens, les Chinois. croupissant dans l'abrutissement et la mort.

« Cette démocratie que le culte évangélique a suscitée en Europe, suscitera, à son tour, le culte évangé

lique dans l'univers entier. Elle sera pour les peuples le grand apôtre de la foi catholique, y ramenant ceux qui l'ont désertée, y introduisant ceux qui ne l'ont point encore connue. »

A la cause du progrès social se liait étroitement pour Bordas la réforme intérieure de l'Église catholique. Il provoque, il prépare par ses savantes recherches les changements de discipline que la nouvelle société démocratique réclame. Il revient ici sur l'histoire de l'Église constitutionnelle, et continue à la défendre contre d'injustes préventions. A cet égard les OEuvres posthumes complètent les Essais sur la réforme catholique.

Elles complètent encore ce dernier écrit sur un point capital de doctrine qui s'y trouvait déjà traité, mais non avec une étendue égale à son importance. Je veux parler des principes du droit religieux, qui règlent les limites de l'intervention de l'État dans la surveillance et la police des cultes. Qu'on médite le remarquable morceau de ces OEuvres, intitulé: Rapports des pouvoirs constitutifs de l'Église avec l'État, et l'on sera frappé de la haute raison comme du juste tempérament avec lesquels l'auteur maintient les droits du pouvoir civil contre les prétentions théocratiques, sans rien sa

crifier de la liberté de conscience ni de la légitime indépendance du pouvoir spirituel. A notre avis, il a su atteindre, dans une question si vitale et si délicate, le point précis où se fixent la justice et la raison; et un jour il sera regardé comme ayant fondé la vraie théorie du droit religieux, aujourd'hui également obscurcie et par les fauteurs des usurpations cléricales et par les partisans d'une prétendue liberté illimitée. Ces profondes considérations éclairent les idées et les faits; nous les signalons particulièrement à l'attention des jurisconsultes et des hommes d'État.

Sous le nom de CHRISTIANISME RELIGIEUX, la dernière partie, et la plus étendue de ces OEuvres posthumes, embrasse les matières de théologie. Elle ne se compose point, comme les précédentes, de morceaux détachés, mais de fragments de deux ouvrages que préparait l'auteur : le premier, intitulé: Défense des Pouvoirs constitutifs de l'Église; le second : Décadence de l'Église dans la grâce.

Quoique ces deux écrits, surtout le dernier, soient restés très-incomplets, nous doutons que l'auteur ait rien laissé de plus considérable, ni qu'il se soit jamais élevé aussi haut comme théologien. C'est là que sa pen

b

sée religieuse a pris sa dernière forme et qu'elle s'accuse avec le plus de netteté et de puissance.

Dans les Pouvoirs constitutifs de l'Église, Bordas avait remis en lumière le grand principe du sacerdoce universel des chrétiens. De là, sans ébranler la hiérarchie divinement instituée, il fait découler les droits des laïques et l'autorité légitime du peuple fidèle. Tel est le sacerdoce, telle est l'Église, organisation du sacerdoce. La théorie de Bordas en renouvelle l'esprit et la discipline et prélude à la réforme la plus radicale comme la plus rigoureusement orthodoxe. Mais cette théorie avait suscité de divers côtés des doutes et des objections, et c'est pour y satisfaire que l'auteur entreprit la Défense des Pouvoirs constitutifs. L'ouvrage devait former deux forts volumes et contenir une apologie complète. Contre le rationalisme contemporain, l'auteur se proposait de défendre la vraie religion et la vraie philosophie; contre le protestantisme, l'effet surnaturel des sacrements et la hiérarchie; enfin contre les erreurs dominantes au sein de l'Église, ses fortes doc

trines sur le sacerdoce intérieur et extérieur et sur les droits des prêtres et des laïques.

Cette dernière partie seule est exécutée, mais à nos

yeux c'est la plus importante, la plus essentielle pour la réforme du catholicisme. Les développements se présentent sous forme de réponse à l'Observateur catholique, revue religieuse qui sert d'organe au reste du parti port-royaliste ou janséniste. Admirateur de PortRoyal, mais sans esprit de secte, Bordas n'avait pas eu à se louer de ce parti, et il en repousse les attaques avec une certaine vivacité. Elle s'explique par les circonstances que j'ai rapportées dans la Vie de l'auteur, et sur lesquelles je n'ai point ici à revenir. Ce qui restera du débat, c'est le fond de la réponse, c'està-dire la démonstration victorieuse des plus hautes vérités.

Dans ces pages, l'auteur procède d'une manière qui rappelle son écrit sur le cartésianisme. Il s'efface, il laisse parler les théologiens des diverses écoles et ne semble faire qu'un travail d'érudition. Mais de ce rapprochement d'auteurs qui n'ont fait qu'entrevoir la vérité, jaillissent des lumières inattendues, une ferme et puissante doctrine, une théorie rénovatrice de la théologie, de la discipline et des mœurs.

Les événements extraordinaires qui s'accomplissent sous nos yeux appellent, précipitent une réforme reli

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