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faudrait autant d'espace qu'il en a mis lui-même, pourquoi, dans les ouvrages du genre du.nôtre, ne le laisserais-je pas parler? Bossuet, qu'on nous oppose, transcrivait aussi de longs passages dans les mêmes cas. J'ose croire que les citations sont coordonnées avec le texte de manière à ne pas rompre l'unité de composition.

M. L... conclut sa mercuriale en disant que nous semblons ne nous être pas toujours assimilé les sujets que nous traitons; que quelquefois nous manquons de cette fermeté lumineuse que donne l'égale compréhension du tout; que nous sommes foncièrement inégal. Nous laissons au lecteur à juger qui de nous ou du critique manque d'assimilation, de fermeté lumineuse. Quant à l'inégalité, on avoue que le critique est bien toujours au niveau de lui-même.

M. L... nous adresse par-ci par-là des éloges. Mais quel prix peuvent avoir ses éloges? Ne devons-nous pas supposer qu'il ne s'est pas plus entendu que dans ses censures, et qu'il nous jette les unes et les autres également au hasard? Cependant il n'est pas sans intelligence. Mais on peut être un merveilleux esprit, et clocher à chaque pas dans une science qu'on n'a point suffisamment étudiée. Newton et Laplace, admirables quand ils traitent des mouvements des astres, inspirent la compassion dès qu'ils abordent la philosophie.

SUR ARISTOTE.

Ce que Montesquieu a dit de la Politique convient à presque tous les ouvrages d'Aristote, qu'il semble ne les avoir écrits que pour contredire Platon. En tout il est l'opposé. Si Platon fut appelé divin, il peut être appelé satanique. Si Platon fut le philosophe par excellence, il fut par excellence l'antiphilosophe : roi du vrai, roi du mensonge.

Aux idées il substitue les formes, dit toute l'antiquité, comme étant la distinction fondamentale. Tout est là en effet. Il tire la pensée de l'intérieur à l'extérieur. Par les idées on voit la raison des choses, par les formes on voit l'apparence.

Dieu est tout extérieur. Il tombe dans l'univers; son éternité se dissout dans le temps, qu'Aristote force à l'éternité.

Il n'y a plus qu'un ordre de choses. Dieu n'est plus Dieu. Aristote précipite la souveraine raison, l'ordre un, éternel, incréé, le Créateur dans les créatures.

Au lieu d'être la cause de l'univers, Dieu en est la forme suprême. L'univers, et tous les êtres, au moins les genres, sont éternels.

La pensée forme, tout est forme: jamais ce qui doit être, toujours ce qui est. Ce qui doit être dépend de la raison souveraine, infinie, où subsistent les raisons de ce qui est.

La pensée forme n'agit que par les formes des choses: « L'âme ne pense jamais sans image1. » Platon tient la pensée dans les idées, il n'emploie les mots qu'à regret pour arriver; Aristote l'enfonce dans les mots, l'y mécanise. Chez lui, c'est une machine qui fonctionne ; chez Platon, elle vit.

Dieu précipité dans l'univers, l'univers en possession des attributs de Dieu, l'éternité, etc.

La pensée dans les formules.

Dans la morale, fin de l'homme placée dans la jouissance de soi par la vertu et la science.

Dans la politique, l'esclavage naturel; le genre humain, éternellement ce qu'il est. Platon ne mit l'esclavage que comme une nécessité de la dégradation. Il soupire après l'avenir.

Aristote, père du mensonge. Cependant il excelle dans ce qui est description. Il fait, dans la politique, dans la morale, de l'histoire naturelle. Rhétorique, poétique: partout où est la forme. De là vient qu'il sera toujours admiré dans les temps de fausse science et par les hommes qui n'entendent rien à la philosophie. Le grand attirail de l'Organon parle plus à l'imagination que les discours simples, ingénus, du Théétète de Platon, etc.

Ne voulant voir que les faits, il veut tout expliquer

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par les formes, qui ne sauraient donner l'explication de rien. On n'explique que par la raison.

Cependant, pour s'en tenir aux faits, il a vu que dans la pensée quelque chose vient de la nature de celle-ci, et pas tout de la sensation.

Pour éterniser le genre humain, il détruit les individus, en leur arrachant la raison.

Il anéantit l'éternité, éternise le temps...

Ce qui n'empêche pas que dans les détails il n'y ait une foule de vérités.

...

*

AUTRE FRAGMENT SUR ARISTOTE.

Ainsi, d'une part, Aristote soutient l'existence d'idées étrangères aux sens, et, de l'autre, qu'elles ne dépendent point d'idées divines, puisqu'il ne veut pas que nous cherchions le bien souverain hors de notre esprit. D'ailleurs son Dieu, qu'il place au sommet de l'univers, n'y est guère que pour l'ornement de même qu'une corniche au haut d'une colonne, ne pensant que lui-même. S'il ne pense point l'univers, il n'en a point les idées et ne peut les chercher en soi : il serait aisé de démontrer qu'il n'a aucune idée. Suivant Aristote, Dieu est la cause des choses, parce qu'elles tendent vers lui, qui excite leurs désirs. Rien n'ayant commencé ni ne devant finir, quant aux espèces sur la terre et quant aux individus dans le firmament, l'univers est un tout machinal où chaque pièce joue éter

nellement, la plus basse étant la matière sans forme, la plus élevée, la forme sans matière. Aristote entend de l'ensemble des êtres ce qu'on entend ordinairement de Dieu. Tout cela est parce que cela est. Il est vrai que lorsqu'on sonde la nature divine, on voit la raison véritable pourquoi elle est ce qu'elle est, tandis que pour expliquer l'univers d'Aristote, on n'a que des apparences trompeuses ou de vaines abstractions. Lui qui parle sans cesse d'ordre, de vérité, de raison, la raison, la vérité, l'ordre primitifs, essentiels, lui échappent complétement. Il n'étudie qu'en naturaliste, classant et déclassant, inventant et combinant des formules. C'est le fléau de la philosophie.

Il croit argumenter puissamment contre les idées platoniciennes en disant que, si elles existaient, il n'y aurait plus de connaissance préalable à aucune science, puisque les idées sont la science de toute chose, tandis que, suivant lui, « toute science, aussi bien celle qui procède par démonstration que celle qui procède par définition, ne s'acquiert qu'à l'aide de connaissances préalables, totales ou partielles; car toute définition suppose des données connues d'avance; et il en est de même de la science par induction. » (Trad. de M. Cousin.) Il ne s'aperçoit pas que les idées platoniciennes fondent justement la connaissance préalable à toute science.

Ensuite il ajoute : « D'ailleurs, si la science dont

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