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Platon met l'origine des connaissances en nous et en Dieu, Aristote ne la met qu'en nous, Zénon qu'en Dieu, Épicure que dans les sens. Les trois derniers systèmes rendent la connaissance impossible. Il n'est point de conception, de jugement où n'entre l'idée de l'être ou une vérité éternelle; car, ou l'être n'est pas, cè qui est contradictoire, ou il est éternel, et cette éternelle vérité demande une intelligence éternellement existante qui la contienne. Ainsi, par les sensations ni par nous, sans Dieu, nous ne saurions comprendre. Mais avec Dieu et sans nous, nous ne comprendrions rien non plus; ce serait Dieu qui comprendrait en nous, et cette connaissance, à laquelle nous n'aurions aucune part, nous serait étrangère. Afin que la connaissance soit possible et qu'elle nous appartienne, il faut à la fois Dieu et nous.

L'histoire de la philosophie, quand on l'approfondit, est donc loin d'en montrer la vanité. Si, en apparence, chaque philosophe offre une opinion particulière, en réalité, ils se rangent tous à un petit nombre de principes; et si ces principes, hormis un, sont faux, on voit clairement la cause des erreurs et comment on peut les éviter et se tenir dans la vérité.

...

* AUTRE FRAGMENT SUR LE MÊME SUJET.

Que l'esprit humain se comprenne, il règnera dans le premier système de philosophie; qu'il ne se

comprenne point, il se traînera dans les autres. Se comprendre, c'est voir qu'il saisit la vérité dans des idées qui sont lui-même et dans des idées qui sont Dieu. Par sa nature, il devrait toujours le faire. S'il ne le fait que rarement, il faut que sa nature soit corrompue. Les trois systèmes d'erreur, altération du système de vérité, prouvent donc par leur existence la chute originelle.

* RÉPONSE A UNE CRITIQUE DU CARTÉSIANISME.

On trouve dans la Revue des Deux Mondes un curieux monument des études actuelles de certains hommes en philosophie. C'est un article de M. L... contre nous. M. Huet ayant dit que j'ai renouvelé la théorie des idées, M. L... trouve que c'est une épouvantable énormité. Il nous semble que s'il est quelque chose d'énorme, c'est que M. L... n'ait pas vu une théorie qui, explicitement ou implicitement, est à chaque ligne du Cartésianisme. Sans elle, comment, dans le premier chapitre, aurais-je montré que le renouvellement de la philosophie consiste dans le rappel de la pensée à ellemême, rappel où la pensée avec soi rencontre Dieu? Comment, dans le second, aurais-je distingué les quatre tendances de Descartes; déclaré que la première, qui se fonde sur les idées en nous, les idées en Dieu, l'union des idées en nous avec les idées en Dieu,

est la véritable; que la deuxième, qui se fonde sur les idées exclusivement en Dieu, la troisième sur les idées exclusivement en nous, la quatrième sur la sensation, sont fausses? Ainsi de tout le reste du livre. L'esprit philosophant est-il si éteint ou si faussé, qu'on ne puisse pas même discerner la vérité, lorsqu'elle a été exposée dans deux gros volumes? On rougit pour son siècle d'une pareille dégradation de la science. Ou bien affecterait-on de ne voir pas ce qu'on verrait réellement, et ne serait-ce que l'explosion d'une basse jalousie?

Non-seulement j'ai reproduit la théorie des idées; mais, le premier, je le répète 1, j'ai découvert qu'elle est le principe de la philosophie, et que c'est d'après ce principe qu'il faut décider les questions. Avec quelle facilité ont été résolus, dans le Cartesianisme, les grands problèmes du péché originel, de la grâce et de l'amour de Dieu! Les vingt pages que je leur ai consacrées les éclairent plus, j'ose le dire, que les innombrables volumes de controverse qu'ils avaient enfantés au XVII siècle, parce qu'on y avait mal appliqué la philosophie.

D'après certaines expressions, comme celles-ci : A force d'étudier Descartes, — Leibnitz qu'il a beaucoup lu, - Il a beaucoup vécu avec le XVII siècle, - Maintenant où ira l'auteur? - Restera-t-il un cartésien de

1. Ce morceau devait entrer probablement dans l'écrit: Qu'estce que philosopher? ÉD.

l'école de Malebranche? M. L... semble croire que j'ai consumé ma vie à l'étude du xvir siècle, et que je suis encore à la quête d'une doctrine. S'il trouve quelquefois que j'ai assez bien saisi ce siècle, il ne s'aperçoit pas que je le dois à la théorie des idées; que l'ouvrage n'en est qu'une application; que si cela me convenait, je pourrais en faire un semblable sur le siècle de Platon, sur celui de saint Augustin, et sur un sujet quelconque. Les doctrines qui m'ont servi pour apprécier le cartésianisme, je les possède depuis 1824.

M. L... ne revient pas de surprise de ce que, dans l'Avertissement, je déclare sans détour que, si j'ai pu juger le xvIIe siècle, c'est que je me suis placé audessus, en renouvelant la théorie des idées. Nous, ce qui nous surprend, c'est une pareille surprise. Vraiment, j'ignore comment on pourrait juger ce siècle en quoi que ce soit, sans se mettre au-dessus. Je l'avoue, on peut pérorer, bavarder, rabâcher sur un siècle, sur un auteur et sur d'autres choses, sans se mettre au-dessus, et aujourd'hui les exemples ne manquent pas.

A l'égard de la théorie de la substance, M. L... affirme que je me suis borné à observer des faits, que je ne les ai point expliqués, ni dès lors créé une théorie. Que puis-je répondre, sinon que je ne me suis point borné à observer des faits, que je les ai expliqués, et que j'ai formé une théorie, et renvoyer le lecteurà l'écrit? M. L....... assure que dans tous les temps il y a des hommes qui,

dans la vision pure de l'intelligence, identifient les mathématiques et la métaphysique, et que c'est là une théorie. Sans doute, c'est une théorie. Cette théorie est celle qui, ne faisant consister la substance que dans la force, conduit à l'unité absolue des métaphysiciens d'Élée, Xénophane, Parménide: panthéisme, ou plutôt vrai néant déguisé. Mais à côté de cette théorie s'élève la théorie qui ne fait consister la substance que dans la quantité, et qui conduit à l'atome des physiciens de la même école, Leucippe, Démocrite: panthéisme aussi, et vrai néant déguisé. Ces deux théories, je les ai combattues, et, je crois, renversées par le raisonnement et par l'observation, et je leur ai substitué la théorie qui place la substance dans la force et dans la quantité, théorie qui seule se soutient et à laquelle on n'ajoutera rien d'essentiel.

Suivant M. L..., je me fais l'interprète involontaire et incomplet, en d'autres termes, le défenseur de la théorie qui réduit tout à la force, lorsque, dans la théorie de l'infini, je dis : « Si la pensée s'empare des infinis relatifs, ils la remplissent tout entière, et l'infini absolu lui échappe; si elle atteint l'infini absolu, il lui dérobe les infinis relatifs. » Ce serait donc trop exiger d'un critique, qu'il daignât prendre la peine, non pas de comprendre ce qu'il attaque, mais seulement de le rapporter avec exactitude? Dans ces paroles, il ne s'agit pas de la pensée en soi, mais de l'état où elle se trou

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