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l'existence éternelle, et qu'il peut tout ce qui est possible pour les existences commençantes. Ces deux puissances sont inséparables. Il n'est éternellement tout l'être éternel indépendant que parce qu'il peut produire tous les êtres possibles non éternels, et les produire quand il veut. Son essence est la substance des essences, et s'il peut produire tout ce qui est possible, c'est parce qu'il est la plénitude de l'être éternel possible, laquelle rend tout le reste possible. Les possibilités sont dans les essences des choses, et comme en Dieu ces essences font sa substance éternelle, absolue, indépendante, cette substance peut donner à chaque essence une substance, c'est-à-dire créer. L'un suit de l'autre. Si Dieu ne pouvait donner à ces essences des substances, ces essences ne seraient que des abstractions... Ces essences, qui font la vigueur et la plénitude de son être, lui font le don de pouvoir créer.

Étrange idée! La grandeur de l'homme, en tout genre, sera la puissance de produire, et l'on veut que celle de Dieu soit l'impuissance! O homme! toi qui ne portes dans ton être qu'une image empruntée des essences, tu ne te crois quelque chose que parce que tu te sens capable de produire si tu veux; et parce que Dieu serait la substance propre, éternelle des essences, sa perfection serait de ne rien pouvoir, de se battre les flancs et de n'enfanter que des ombres! Tes

productions prévalent-elles contre toi, te contraignentelles au néant pour leur faire place? Pourquoi le veuxtu de Dieu? Par rapport à sa grandeur souveraine la création des substances n'est pas plus que pour toi les choses d'art tu veux être créateur, et tu ne veux pas que Dieu le soit !...

La réalité des essences ou possibilités des choses est dans la substance divine. L'essence ou possibilité de la substance divine se confond avec elle, ou plutôt l'existence de cette substance est le fondement de son essence ou possibilité; car si elle n'existait pas, qui pourrait la rendre possible? Elle fonde donc sa possibilité et celle des autres choses. Elle est l'ensemble substantiel de toutes les essences, mais infiniment plus élevée que celles-ci, parce que l'existence, la substance est d'un ordre infiniment plus haut que l'essence. Mais cette substance, fondement de sa propre possibilité et de la possibilité de toutes les autres choses, et qui remplit complétement sa propre possibilité, peut par là même remplir la possibilité des autres choses, c'est-à-dire les créer. Par la même raison que Dieu ne serait pas possible s'il n'existait pas, les autres êtres ne le seraient point non plus s'il ne pouvait leur donner l'existence. S'il ne le pouvait, que serait leur possibilité? Elles seraient à la fois possibles et impossibles; possibles comme essences, et impossibles comme existences; possibles dans l'entendement de Dieu, et impossibles dans sa puis

sance. Il lui serait impossible de faire ce qu'il concevrait possible. Sa puissance ne répondrait pas à son intelligence; et comme l'intelligence porte sur la puissance, il faudrait aussi qu'il ne conçût pas ce qu'il pourrait faire, ou bien il y aurait en lui plus de choses déterminées que de choses à déterminer. Le nombre surpassant l'unité 1, son être serait rompu...

Qu'est-ce que les essences, sinon les raisons des choses? Et qu'est-ce en Dieu que les raisons des choses, sinon son entendement, qui alors disparaît avec elles? Dieu devient un être inintelligent, impuissant, aveugle, indéterminé, et qui ne répond point à tout l'être éternel qui doit être ; c'est-à-dire que Dieu périt avec l'impossibilité de créer, et en périssant ruine sa possibilité et celle de quoi que ce soit.

Il faut dégrader, anéantir Dieu, lui enlever une partie ou la totalité de son être éternel, pour lui disputer le pouvoir de créer, et ce pouvoir suit de la plénitude de l'être éternel que l'on reconnaît en lui. Loin donc que cette plénitude soit un obstacle au pouvoir de produire des substances, elle l'établit...

Nous, nous concevons comme possibles une infinité de choses qu'il n'est pas en notre pouvoir de faire,

1. La puissance de Dieu serait inférieure à son intelligence, l'unité de l'infini, au nombre de l'infini : le contraire de Plotin, qui suppose l'intelligence inférieure. Unité et nombre, parfaitement égaux. (Écrit un peu plus loin dans ces notes, qui ne sont qu'une ébauche. ED.)

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mais nous concevons qu'elles sont possibles à Dieu : nous voyons la réalité de ces conceptions dans l'éternelle existence de l'intelligence divine. Voilà pourquoi ceux qui ne les y voient pas, les sensualistes, réduisent les possibles aux existants...

Nous avons dans nous-mêmes une preuve de l'existence des substances, car nous ne concevons les substances que parce que nous en sommes une. Dans tout ce que nous concevons, nous ne concevons jamais que nous-mêmes. Concevoir l'être, c'est se concevoir soi-même comme un être. Avec l'idée de ma substance, je conçois l'idée de la substance absolue; mais l'idée de ma substance se fonde sur ma substance même. Lorsque je rentre en moi, et que je me vois penser et vouloir, je me vois subsister...

Il est étonnant que Malebranche, qui reconnaît les divers ordres d'infinis et qui les transporte dans la philosophie, ne se soit pas aperçu que, de ce que nous trouvons l'infini dans nos idées, il n'est pas nécessaire que nos idées soient en Dieu; que nous sommes un infini relatif, et que cet infini représente celui qui est Dieu. Cette raison (que le fini ne peut représenter l'infini), qui lui semblait la plus forte et qui était en effet la plus spécieuse, tombe de soi.

« Si ce que j'aperçois, dit Fénelon, est l'infini même immédiatement présent à mon esprit, cet infini est donc; si au contraire ce n'est qu'une représentation

d'infini qui s'imprime en moi, cette ressemblance de l'infini doit être infinie; car le fini ne ressemble en rien à l'infini, et n'en peut être la vraie représentation. Il faut donc que ce qui représente véritablement l'infini ait quelque chose d'infini pour lui ressembler et pour le représenter.

« Cette image de la divinité même sera donc un second Dieu semblable au premier en perfection infinie. Comment sera-t-il reçu et contenu dans mon esprit borné? D'ailleurs, qui aura fait cette représentation infinie de l'infini pour me la donner? Se sera-t-elle faite elle-même? L'image infinie de l'infini n'aura-t-elle ni original sur lequel elle soit faite, ni cause réelle qui l'ait produite? Où en sommes-nous? Et quel amas d'extravagances! Il faut donc conclure invinciblement que c'est l'être infiniment parfait qui se rend immédiatement présent à moi, quand je le conçois, et qu'il est lui-même l'idée que j'ai de lui 1. »

Il est vrai, comme dit Fénelon, le fini ne ressemble point à l'infini, et ne peut le représenter; et, si notre esprit n'était point un infini, il ne pourrait représenter l'infini. Fénelon combat les divers ordres d'infinis 2; les êtres ne sont que des créations sans cesse renouvelées 3 ; Dieu est en même temps toutes les espèces d'êtres 4.

4. T. I, édit. de Versailles, p. 180.

2. Ibid., p. 229, 235, 394.

3. Ibid., p. 249.

4. Ibid., p. 220; voir p. 215 et suiv.

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