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veraine, sa raison retrouve ses forces et s'annonce bientôt au dehors, en ranimant partout la nature, que n'asservissent plus les sens, mais qu'elle gouverne elle-même, et dont elle réclame partout les antiques droits ces droits dont l'homme aurait toujours joui dans la société, si, demeurant tel qu'il avait été créé, il eût conservé le haut usage de sa raison, auquel ils sont attachés; mais droits dont il fut privé dans la société des anciens, où il n'eût jamais comme droit naturel et comme partage de tous les individus, ni guère comme concession de l'État et privilége d'une classe, la liberté des professions, des opinions, des cultes, des propriétés et des personnes; mais droits dont il est ou dont il sera partout en possession dans la société moderne, parce que sa nature alors corrompue est aujourd'hui en voie de se renouveler, et qu'il a recouvré le puissant usage de sa raison, dont cette corruption l'avait dépouillé.

C'est au XII° siècle que, par la naissance des lumières et de l'industrie, et par la formation des communes, qui en est la suite, commence cette révolution fondamentale de l'humaine société; parce que c'est alors que des ruines de l'homme produit par la nature viciée, de l'homme des sens et de la servitude, s'échappe l'homme de la nature réparée, l'homme de l'esprit et de la liberté. Cependant l'homme mystique, qui vient de l'en faire jaillir, ne veut point le reconnaître. De ce

qu'il a tué la nature mauvaise, il juge impossible qu'il y en ait une bonne; et il proscrit, il charge d'anathèmes celle qui ose se montrer. Sous les noms divers de Seigneur et de Bourgeois, d'Ultramontain et de Gallican, d'Absolutiste et de Libéral, ils se livrent cette longue et terrible guerre qui depuis cinq ou six siècles ébranle l'Europe, y enfante toutes les révolutions, et qui ne se terminera que lorsque l'homme mystique, abjurant l'extravagante prétention de remplacer maintenant l'homme naturel, se contentera d'en être l'appui.

Eh bien! l'accord de ces deux hommes, voilà le règne véritable du christianisme, car voilà la nature humaine réparée, autant du moins qu'elle doit l'être ici-bas, où le corps restera toujours soumis à la mort et aux maladies, et où il empêchera que l'âme, quoique rattachée à son principe, rentre pleinement en force et en santé. Ce qui fait que la nature ne pourra jamais s'affranchir d'une assistance étrangère pour se maintenir dans son état normal; qu'il lui faudra toujours le secours surnaturel du sacerdoce et des sacrements dans l'ordre religieux, et le secours artificiel du gouvernement et des lois dans l'ordre politique.

Chercher le règne du christianisme dans l'homme mystique seul, c'est prêter au Christ l'absurde dessein d'achever la ruine de notre nature; c'est renverser la religion qu'il a fondée pour la rétablir; c'est se con

damner à voir l'homme spirituel de saint Paul 1, dans la hideuse grossièreté du moyen âge, le triomphe de la vertu dans celui du vice, qui dévorait les nations chrétiennes, la perfection évangélique dans les débordements de cette lamentable époque, débordements tels que le paganisme.en offrit à peine de semblables dans ses temples les plus affreux; c'est s'abîmer dans la folie.

Vous frémissez! Secouez donc, secouez les étroits préjugés qui vous aveuglent, osez fixer le regard de votre pensée libre sur le vaste but du Christ, sur l'état où il trouva l'humanité, qui s'était fait une seconde nature de sa corruption, et sur les voies qu'il lui fallut suivre pour déraciner en elle cette nature perverse, et y faire repousser la bonne; et vous comprendrez comment le christianisme n'a point encore régné, mais seulement préparé son règne, et vous aurez des idées dignes de la sagesse de son auteur.

* L'INDIVIDUALISME VRAI ET LA FAUSSE FRATERNITÉ.

En imaginant qu'elle doit établir la société sur la ruine de l'individu, M. Louis Blanc dénature la révolu– tion, règne de l'individualisme, non tel que, d'après les abus, l'auteur se le forge, individualisme sauvage, qui

4. Cor., II, 9 et suiv.

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prend l'homme en dehors de la société, le rend seul juge de ce qui l'entoure et de lui-même, lui donne un sentiment exalté de ses droits, sans lui indiquer ses devoirs, l'abandonne à ses propres forces, et pour tout gouvernement, proclame le laissez faire; » mais l'individualisme qui élève intérieurement l'homme à Dieu, place dans l'amour divin et dans la raison divine le principe et la règle suprême des actions, et qui marche appuyé sur les deux maximes: Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait; Fais-leur ce que tu veux qu'ils te fassent 1. Cet individualisme est dans le fondement de la société actuelle; chaque jour, bien que trop lentement sans doute, il en pénètre quelque partie, et il gagnera la vie tout entière, par les croyances chrétiennes épurées et le sacerdoce ramené à son institution originelle.

Telle est la fraternité réelle qui embrassera l'univers. Telle fut celle de Grégoire et des autres montagnards; seulement les déistes écartaient comme moyen le sacer

1. Par individualisme l'auteur entend ici le système des droits naturels, inhérents à l'individu comme être doué de raison, et dont la fraternité elle-même fait partie; et il établit avec beaucoup de fondement que l'union avec Dieu est la condition absolue d'un pareil individualisme. Mais le mot pourra paraître employé d'une manière insolite. Dans le Règne social je désigne par là l'erreur opposée à celle du communisnie ou de ce que l'auteur appelle ici fraternisme. J'observerai que ces pages ont été écrites sur la fin du règne de Louis-Philippe. Au reste, la doctrine est indépendante des mols. ÉD.

doce. N'est-ce pas en présence de la déclaration des droits naturels que leurs décrets organisateurs furent rendus? Jamais on ne pensa à la fraternité destructive de l'individu, cette fraternité de néant.

Quelques membres, comme Robespierre, dont le Contrat social de Rousseau était l'oracle, la rêvèrent et prétendirent follement imposer à la France l'éducation commune de Sparte. Ne comprenant point le mouvement libéral qui emportait les générations, épouvanté de la dissolution du moyen âge, dissolution lui-même du monde ancien, Rousseau, nourri de la politique de la Grèce et de Rome, et aussi pauvre philosophe que grand écrivain, s'égara jusqu'à donner à la société moderne le fondement de la société antique, niant ainsi qu'après avoir vécu dix-huit siècles sous l'Évangile l'homme pût mieux user de la raison pour se conduire, mieux trouver en elle le droit et le devoir, que sous le paganisme.

« Le passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très-remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C'est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l'impulsion physique, et le droit à l'appétit, l'homme qui jusque-là n'avait regardé que luimême, se voit forcé d'agir sur d'autres principes et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants; >>

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