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PREMIÈRE PARTIE

PHILOSOPHIE

DE

BORDAS-DEMOULIN

PREMIÈRE PARTIE

PHILOSOPHIE

QU'EST-CE QUE PHILOSOPHER?

PHILOSOPHER, RAPPELER LA PENSÉE A SOI.

Le christianisme religieux et civil suppose que l'homme, par la raison, communique intérieurement, immédiatement avec Dieu; le paganisme et le judaïsme, qu'il ne communique avec Dieu qu'extérieurement, par les révélations vraies ou fausses. Au moyen âge, l'Église ayant été judaïsée, paganisée, elle s'est conduite sur le principe du judaïsme et du paganisme. Le culte intérieur a péri dans le débordement des céré

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Les titres précédés d'un astérisque n'appartiennent pas à (Note de l'Éditeur.)

l'auteur.

monies, la morale dans celui du monachisme. Les laïques, les prêtres, les évêques ont perdu leurs droits au gouvernement ecclésiastique; le pape en est devenu le maître absolu, et son pouvoir a été ou censé être purement surnaturel. La superstition et le despotisme mystique ont absorbé l'Église on prétend que tel doit être son véritable état. Alors le christianisme ne serait qu'une modification du paganisme et du judaïsme. Examinons donc laquelle de ces deux communications, intérieure ou extérieure, est fondée. Voici comment j'ai été poussé à le découvrir, ou à philosopher, ou rappeler la pensée à soi.

Étant au collége, il me tomba dans les mains le discours où Rousseau cherche à prouver que les sciences, les arts, corrompent les mœurs et tuent les empires. Je fus saisi de terreur sur le sort de l'Europe. Je croyais sentir mon être se dissoudre avec elle, et, dans la plus sombre tristesse, je me roulais violemment d'idée en idée pour échapper à cette destruction imminente. Mais toujours je me trouvais en présence des causes que j'imaginais la produire : partout je voyais les progrès des lumières, de l'industrie, et l'amour sans cesse croissant des nouveautés; partout ce qui avait emporté les anciens États et même les peuples se développer avec une puissance inouïe, et les modernes prendre un essor dont l'antiquité resta à l'infini. Si non-seulement les Grecs et les Romains, mais les

Perses et les Égyptiens, qui à peine goûtèrent du fruit de l'humaine pensée, ont péri, quelle destinée attend les nations européennes qui s'en gorgent? D'un autre côté, le christianisme me semblait répudier la culture de l'esprit, fuir les choses de la terre, se plaire à l'ignorance, à la pauvreté. Depuis plusieurs siècles, il déclinait, en même temps que l'instruction, l'aisance, la richesse, se multipliaient. Cependant je ne pouvais me résoudre à condamner la civilisation, qui me paraissait témoigner la grandeur et la dignité de notre nature. Tout ensemble donc je la jugeais bonne et fatale. Je me procurai quelques volumes de Locke, Condillac, Malebranche, Descartes; mais ils ne m'éclairaient point sur la question formidable.

On me préparait pour l'École polytechnique; mais l'algèbre et la géométrie analytique ne me touchaient que secondairement. Otez celles de leurs notions premières qui tiennent à la philosophie, les mathématiques n'ont d'importance et d'attrait que parce qu'elles servent à exprimer les lois et à prédire les phénomènes de l'univers. Je comprends le dégoût, le dédain qu'inspiraient à Descartes ses découvertes en analyse, quoiqu'elles soient les plus grandes d'un seul esprit. Sans le calcul différentiel, qui les complète, elle ne peuvent aider à connaître la nature. Ayant ouï parler de ce calcul comme d'un prodige, je fis venir le Traité de Lacroix et les Réflexions de Carnot. Voilà que le besoin

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