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faible, et que ces préceptes ne peuvent lui convenir, maintenant qu'elle est parvenue à la vigueur de l'âge parfait. Mais comment n'ont-ils pas honte de mettre cette étrange différence entre l'Église naissante et l'Église devenue forte et robuste? Quand Jésus-Christ nous dit: Je vous envoie comme des brebis, et quand il nous avertit que la patience et la fuite sont nos seules ressources contre l'injuste persécution des magistrats, il veut que nous interprétions ainsi sa pensée : Fuyez jusqu'à ce que vous soyez assez forts pour vous défendre! N'opposez que la patience à l'injustice des gouvernements et des rois, tandis que vous êtes faibles et sans vigueur; mais quand le temps de votre force sera venu, secouez le joug! De brebis et de colombes que vous étiez autrefois, métamorphosez-vous alors en lions rugissants! Élevez-vous avec intrépidité contre les puissances légitimes qui, semblables à des loups, voudraient exercer sur vous leur cruauté! Quoi! quand les apôtres faisaient un devoir de conscience d'obéir à des princes barbares, leur intention était de dire: Nos préceptes ne sont pas pour toujours! Soumettez-vous jusqu'à ce que l'Église ait acquis assez de force... En vérité, est-ce obéir pour plaire à Dieu, et par un devoir de conscience, que d'attendre qu'on ait assez de force pour s'élever impunément et prendre les armes contre ceux qui nous commandent? » Rien de plus vrai du fidèle, rien de plus faux du citoyen. Tant que les chrétiens

n'avaient point la force, qu'ils ne pouvaient représenter les peuples de l'empire romain, ils devaient obéir politiquemen de même que religieusement; mais lorsque les nations entières ou l'immense majorité des multitudes fut convertie, qu'elle eut le pouvoir, le devoir changea; non, je le répète, quant à l'existence même des institutions, mais quant à leur forme et aux magistrats.

Saint Thomas, d'Oresme, évêque de Lisieux, Gerson, Major, Estius, Æneas Sylvius, depuis Pie II, soumettent le prince au jugement de la nation.

Tout à coup, au XVII° siècle, les gallicans changent de langage, et ne parlent que de soumission. Il faut l'attribuer sans doute à l'abus que la Ligue et le protestantisme avaient fait du principe de la révolte. Si Pascal proscrit ce principe, il appelle les guerres civiles le plus grand des maux.

« Les principes que Buchanan établit sont si horribles, dit Arnauld, que si les peuples en étaient une fois infatués, ils se croiraient tous supérieurs à leur roi, qu'ils ne regarderaient plus que comme leur officier, qui ne pourrait les gouverner qu'à leur fantaisie, et qui devrait, quand il leur plairait, leur rendre compte de ses actions. » Ce ne peut être que l'horreur des guerres civiles qui fait paraître à Arnauld une chose si équitable, horrible.

N'est-ce pas la crainte des guerres civiles qui fait

dire à Bossuet : « L'État est en péril, et la république n'a plus rien de ferme, s'il est permis de s'élever pour quelque cause que ce soit contre les princes! »>

Les gallicans ne nient pas du reste que la puissance ne vienne du peuple en un sens. «La puissance temporelle, dit Fénelon, vient de la communauté des hommes qu'on nomme nation. La puissance spirituelle vient de Dieu, par la mission de son Fils et des apôtres1. » «Nous ne nous arrêterons point, dit Bossuet, à ce que l'anonyme dit fort au long pour prouver que la puissance des rois ne vient pas tellement de Dieu qu'elle soit tout à fait indépendante des peuples personne ne lui dispute ce point 2. »>

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Examiner Nicole, Traité de la grandeur, Ire partie, chapitre л ; Duguet, Institution d'un prince, Ire partie, chapitre ; Quesnel, voir La vraie Doctrine de l'Église, IIe partie, p. 284, ou La Souveraineté des rois défendue contre Leydecker. La crainte des guerres civiles est surtout manifestée dans le xe chapitre de l'Essai sur le gouvernement civil de Ramsai ou de Fénelon, t. XXII de l'édition de Versailles; discuter ce chapitre.

SUR LOUIS XIV.

Si Louis XIV disait : L'État c'est moi, on pouvait également dire: Lui c'est l'État. Autant il absorbait la

1. OEuvres, t. XXII, p. 583, éd. de Versailles.

2. Déf. de la Déclar., liv. iv, ch. xxi.

nation, autant il se fondait en elle. Nul gouvernant, si ce n'est la Convention, ne fut aussi public, ni aussi révo– lutionnaire ou progressif. Charlemagne sembla tirer les Gaules et l'Europe du chaos, mais elle y retomba aussitôt. Il ne présenta qu'une halte superbe au milieu d'une décadence qui se poursuivit après lui. Napoléon affermit les fondements de la société nouvelle, en jeta par la guerre les fondements sur le continent; du reste, il marcha rétrograde. Louis XIV recueillit, féconda l'une par l'autre, exalta toutes les forces du génie moderne, encore dans la vieille société, et posa la France guide et initiatrice des nations. Il était si plein de cette prééminence, qu'il allait soutenir et glorifier les hommes supérieurs chez elles, comme, en quelque lieu qu'ils vécussent, relevant naturellement de lui.

PONTIFICAT, ROYAUTÉ.

Le pontife fait des choses saintes (potnios); le roi, des choses droites (recta agit). La royauté et le pontificat sont originairement inséparables, et ne se séparent point dans la nature. En se séparant dans le surnaturel, le roi, la puissance publique aide le sacerdoce et réciproquement.

Melchisédech était roi et pontife; Abraham l'était aussi à sa manière. Le vrai pontife, comme le vrai

roi, c'est Jésus-Christ, la raison souveraine. Lui seul opère des choses droites, agit selon la loi, la raison, lui qui est la raison, la loi même, celle qui règne en Dieu. Cette loi qui règle tout dans l'être divin, c'est-àdire dans la puissance, et qui par conséquent lui est égale, forme sa sainteté. Quelle que soit la racine du mot sainteté, la sainteté, c'est la santé, l'état sain de l'être; elle vient de ce qu'il est ce qu'il doit être.

Comme le Fils a sa racine dans la puissance, et en dépend, il offre au Père cette sainteté, cet ordre qui l'égalent, qui répondent à tout ce qu'il est, qui sont dignes de lui. Il est roi parce qu'il est la raison, l'ordre, et il est pontife parce qu'il est encore la raison, l'ordre.

EST-IL PERMIS D'HONORER LE PLUS GRAND BIENFAITEUR DE L'HUMANITÉ?

Au XIXe siècle de l'ère chrétienne et chez un peuple chrétien une pareille question doit étonner. Cependant on la fait, puisqu'on la résout négativement. Qui donc? Est-ce Voltaire ressuscité, lui qui nommait JésusChrist l'infâme? Est-ce quelqu'un de ses disciples incorrigibles ou incorrigés? Non. Ce sont des catholiques ou soi-disant tels, ce sont les mêmes gens qui depuis un demi-siècle ne cessent de considérer le christianisme humainement.

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