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tant plus impartial que les querelles ne l'intéresseront pas personnellement.

J'entends: au lieu de se constituer ainsi l'inter

prète de l'Église, qu'on la consulte elle-même. Mais chaque côté n'a-t-il pas la prétention d'être l'Église? Saint Paul et les Nazaréens, premier nom des chrétiens, prétendaient être l'Église; le grand-prêtre Ananie et les sénateurs demandant la mort de saint Paul prétendaient également être l'Église, c'est-à-dire la vraie société religieuse. Les adversaires de Paul de Samosate prétendaient être l'Église; ses partisans le prétendaient aussi. Au xvII° siècle, ceux qui niaient qu'on pût ériger en article de foi un fait non révélé prétendaient être l'Église; ceux qui soutenaient qu'on le pouvait prétendaient de même être l'Église. Les opposants à la bulle Unigenitus, plus tard les adhérents à la constitution civile du clergé, prétendaient être l'Église; les adhérents à la bulle Unigenitus et les opposants à la constitution civile du clergé ne prétendaient pas moins être l'Église. Tenez-la donc assemblée en concile permanent, si vous voulez qu'elle s'explique elle-même sur les innombrables contestations où le pouvoir est sans cesse obligé d'intervenir. Que dis-je ? lorsque les conciles combattront les conciles, comme au temps de l'arianisme, que fera le pouvoir? Voici un cas bien plus simple. Au fond d'une campagne, un prêtre traite de concubinaire un homme

ou une femme à l'agonie, qui s'est marié suivant la loi civile, mais qui n'a pas reçu le sacrement institué pour sanctifier cette union. Le concile siégeant à deux cents, six cents, à trois mille lieues de là, faut-il que le maire lui expédie un courrier et attende la réponse, qui n'arrivera peut-être que dans six mois, afin d'obliger ce prêtre à reconnaître la légitimité de ce mariage? Ne dites pas qu'on peut s'adresser à l'évêque, car je le suppose aussi ignorant ou aussi fanatique que le curé, lequel n'agit d'ailleurs que d'après lui.

« Si le juge ecclésiastique peut se tromper, dit Frayssinous, le juge séculier est-il donc infaillible? » Non, le juge séculier n'est pas plus infaillible dans les matières religieuses que dans les matières civiles; mais, quoique faillible, il doit prononcer dans les unes comme dans les autres. Je le répète, toutes les fois que les débats de l'Église n'affectent ni les lois, ni la tranquillité publique, le pouvoir ne décide point en son nom; il ne fait que prêter son appui aux contendants qui le sollicitent. « Lui appartient-il, par exemple', ajoute Frayssinous, de décider si un prêtre doit être ou ne pas être approuvé par son évêque pour exercer le saint ministère ? » Assurément cela lui appartient, si ce prêtre est refusé uniquement parce qu'il professera telle ou telle doctrine qu'il plaira à l'évêque de condamner follement.

Toute jurisprudence qui, sur ces matières (les

articles que j'ai cités plus haut), dépouillerait l'Église de ses droits, serait abusive. » Locution bizarre. Elle ne serait pas abusive, elle serait destructive. Il ne s'agit ni d'envahir les droits de l'Église, ni seulement d'y toucher, mais de maintenir à certains de ses mem- ' bres leurs droits, dont les autres veulent les dépouiller : par conséquent, de maintenir les droits mêmes de l'Église, identiques au fond aux droits de toutes les personnes qui la composent 1.

DROIT DU CITOYEN A L'ÉGARD DU CLERGÉ 2.

Le laïque, considéré simplement comme homme civil, n'a rien à démêler avec le clergé, pourvu que l'Église ne soit point contraire à l'État, et que le clergé

1. Les opposants à la constitution civile du clergé n'avaient pas tort de soutenir que la puissance séculière était incompétente pour l'établir. Mais elle agissait au nom des laïques, ou plutôt c'étaient les laïques eux-mêmes. Si l'on veut que ce soit le pouvoir civil, puisque le roi l'a sanctionnée, le pouvoir agissait comme protécteur des canons. Pour le nier, La Luzerné est forcé de dire que, même à ce titre, il ne pouvait rétablir les canons; qu'ils avaient été abrogés par l'Église, et le concordat fait par elle, le pape la représentant; que, dans le cas où on l'aurait aboli, il fallait remettre les choses en l'état qui précédait immédiatement. Qui donc avait détruit les élections? Le pape. Ainsi les laïques sont exclus. Par là, par leur exclusion seulement, on arrivera à condamner l'Assemblée constituante. (Extrait d'un fragment sur le même sujet.)

2. Le manuscrit porte en tête : Chapitre III. Voir la note au commencement de l'article précédent.

ÉD.

ne sorte point de l'Église. Or, voilà ce qu'on attend encore, quoique ce soit la condition véritable...

Sous les empereurs idolâtres, le clergé au dehors respecte le citoyen, mais l'Église l'attaque dans les âmes, puisqu'elle élève intérieurement l'homme à Dieu, ne le fait souverainement dépendre que de lui, tandis qu'il ne doit dépendre souverainement que de l'État. Qu'on ne cherche point ailleurs la cause principale des persécutions qui décimèrent tant de fois les chrétiens.

Voltaire croit la trouver « dans le combat naturel de

l'esprit républicain qui anima les premières Églises contre l'autorité, qui hait les résistances en tout genre. Les assemblées secrètes, qui bravaient d'abord dans les caves et les grottes les lois de quelques empereurs, formèrent peu à peu un État dans l'État; c'était une république cachée dans l'empire 1. » Selon Rousseau, << l'idée nouvelle d'un royaume de l'autre monde n'ayant jamais pu entrer dans la tête des païens, ils regardèrent toujours les chrétiens comme de vrais rebelles qui, sous une hypocrite soumission, ne cherchaient que le moment de se rendre indépendants et maîtres, et d'usurper adroitement l'autorité, qu'ils feignaient de respecter dans leur faiblesse 2. » — « La politique romaine, dit Bossuet, se croyait attaquée dans ses fondements quand on méprisait ses dieux. Rome se vantait d'être

1. Siècle de Louis XIV, chap. Calvinisme.

2. Contrat social, liv. IV, ch. VIII.

une ville sainte par sa fondation, consacrée dès son origine par des auspices divins, et dédiée par son auteur au dieu de la guerre. Peu s'en faut qu'elle ne crût Jupiter plus présent dans le Capitole que dans le ciel. Elle croyait devoir ses victoires à sa religion. C'est par là qu'elle avait dompté et les nations et leurs dieux; car on raisonnait ainsi en ce temps de sorte que les dieux romains devaient être les maîtres des autres dieux, comme les Romains étaient les maîtres des autres hommes. Rome, en subjuguant la Judée, avait compté le dieu des Juifs parmi les dieux qu'elle avait vaincus le vouloir faire régner, c'était renverser les fondements de l'empire, c'était haïr les victoires et les conquêtes du peuple romain. Ainsi les chrétiens, ennemis des dieux, étaient regardés en même temps comme ennemis de la république. Les empereurs prenaient plus de soin de les exterminer que d'exterminer les Parthes, les Marcomans et les Daces : le christianisme abattu paraissait dans leurs inscriptions avec autant de pompe que les Sarmates défaits. »

:

Ni Voltaire, ni Rousseau, ni Bossuet ne vont au fond. Si Caton, si les deux Brutus, dont l'un chassa les Tarquins et l'autre conjura la mort de César, fussent revenus au monde, ou si le christianisme avait paru de leur temps, ils l'auraient persécuté comme les empereurs. Ce n'est pas tant parce qu'il créait un État dans l'État qu'il excitait la haine, que parce qu'il anéan

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