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barbarement civilisés comme les Indiens, les Chinois et tous les Asiatiques, tous ces grands mouvements ne vont-ils pas à cet établissement universel ?

Ainsi qu'à la venue du Messie, il est aujourd'hui des esprits grossiers, des chrétiens charnels, comme alors des juifs, qui ne peuvent s'élever au-dessus du moyen âge, comme ces juifs au-dessus de la loi écrite, des âmes ensevelies sous les éléments de ce monde, que l'orgueil et l'intérêt fascinent, qui non-seulement ne voient pas, mais qui seraient désolés de voir la lumière dissipant leur fantastique existence. Telles sont les premières causes d'un aveuglement funeste. Néanmoins, il en est une autre qui égare les esprits cultivés, ceux qui s'avisent de raisonner. Ce sont les faux systèmes de philosophie, qui toujours apparaissent pour appuyer l'erreur, et qui, en renversant l'humaine nature, semblent inventés exprès pour justifier et éterniser un régime qui est ce renversement même.

Déjà, on a pu le remarquer, la communication intérieure avec Dieu, fondement du christianisme, est aussi le fondement de la philosophie, et la détruire c'est détruire la philosophie comme le christianisme. Nous allons l'examiner ici en particulier.

La philosophie consiste dans la connaissance du moyen de connaître; le moyen de connaître, ce sont les idées qui constituent notre entendement et leur dépendance intérieure des idées qui constituent l'enten

dement divin. Voilà, dans sa plus simple expression, la théorie des idées, dont on a tant parlé et qu'on n'a pas toujours clairement présentée. Elle remonte à Platon, en qui la philosophie a pris naissance; elle est suivie par Philon le Juif, Plotin, saint Augustin, Hugues de Saint-Victor, Henri de Gand, Descartes dans ses Méditations, Bossuet, Leibnitz.....

Ce que nous venons de dire se fonde sur ce que nous communiquons intérieurement avec Dieu ou la raison divine par notre raison. Anéantissez cette communication, tout est renversé. On peut la détruire de trois manières : ou en niant dans la pensée la raison divine et n'y reconnaissant que la raison humaine, ou en niant la raison humaine et n'y reconnaissant que la raison divine, ou en niant l'une et l'autre et y mettant la sensation.

Ne reconnaître dans la pensée que la raison divine, c'est au fond n'y reconnaître que la sensation. Si nous ne pensons que par la raison divine, c'est Dieu qui pense en nous, qui est notre substance, et qui, pour lors, est la substance de toutes les créatures, des corps comme des esprits : ce qui revient à dire qu'il n'y a point d'esprit, que tout est corps, ou que la sensation remplit la pensée.

Ne reconnaître que la raison humaine, c'est ravir à la pensée les vérités nécessaires, éternelles, qu'elle ne trouve essentiellement que dans la raison divine; et

comme elle ne peut s'élever à ce qui passe les sens que la vérité éternelle, c'est l'assujettir à la domination des sens.

par

Qu'il n'y ait dans la pensée que la sensation, ou que la sensation domine la pensée; que l'homme, par sa nature, n'ait point une raison en propre, ou qu'il en ait une, mais si faible qu'il n'en puisse faire usage pour se conduire, et que les sens l'emportent, il est clair qu'il ne saurait être livré à lui-même ou s'appartenir dans l'État, et le christianisme n'a point dû changer le fondement de l'ancienne société, juive ou païenne... Les peuples sont plus maltraités par Bonald, Maistre et Lamennais, que par Platon.

Bonald et Lamennais ont supprimé la raison humaine, non pour laisser intérieurement, immédiatement, la raison divine en nous, mais pour l'y faire venir extérieurement, au moyen de la parole ou de la révélation... Dieu, après avoir créé l'homme, lui parla; en lui parlant, lui communiqua la parole, et, avec la parole, la raison, mais une parole, une raison, incomplètes ou en germe. Pour les développer, il lui parla de nouveau plusieurs fois, comme on le voit par les révélations faites à Noé, aux patriarches, à Moïse, enfin par la révélation de Jésus-Christ, la dernière et le complément des autres. A son tour, le père parle à l'enfant, chaque génération à la génération suivante, et ils communiquent la parole et la raison.

De cette doctrine il résulte que la société étant dépositaire de la raison pour l'individu, l'individu, privé naturellement de raison, appartient à la société, dont il reçoit la raison, fondement du droit et de la propriété. Le pouvoir, représentant de la société, représente la raison, et, par là, se trouve maître de l'homme, le sacerdoce dans l'ordre religieux, le gouvernement dans l'ordre civil. Afin d'écarter les divisions, soit entre les membres du sacerdoce, soit entre les membres du gouvernement, divisions inévitables et qui ruineraient le pouvoir, la société et la raison, M. de Bonald est conduit à la monarchie absolue dans l'Église et dans l'État. Il oublie cependant que le chef de l'Église et le chef de l'État se diviseraient aussi, et que, pour maintenir l'unité, il faut soumettre le monarque au pape. Telle est la conclusion que M. de Lamennais a justement tirée, et qui couronne l'œuvre.

Maistre paraît admettre en l'àme la raison humaine et la raison divine; mais il croit que notre raison fut dégradée par la chute jusqu'à ne conserver de force que pour s'égarer, et il soutient que le sacerdoce doit l'enchaîner et la remplacer 1; ce qui revient au fond à supposer, comme les deux auteurs précédents, que nous n'avons point de raison naturellement, et que la révélation nous fait raisonnables.

1. Soirées de Saint-Pétersbourg, 2o entretien.

D'autres, comme Duvoisin, la Luzerne, Boyer, Tabaraud, Frayssinous, qui appelle sauvage la déclaration des droits de l'homme, excluent la raison divine de la pensée, et n'y voient que la raison humaine, d'après la théologie scolastique, introduite par saint Thomas. Ne poussant point à l'extrême cette doctrine, reconnaissant à la raison quelque force, ils admettent toutes les formes de gouvernement, des libertés civiles et politiques, mais concédées par le prince ou par l'État, et non venues de la nature. Prêtres ou laïques, on les appelle gallicans, les autres, ultramontains: ils s'étaient ralliés tardivement à la Charte, tandis que Bonald, Lamennais, Maistre, la condamnaient.

Entre le pape et le peuple sont les évêques et les prêtres, qui exercent les fonctions sacrées; entre le roi et le peuple est la noblesse, qui exerce les fonctions civiles et militaires. L'autorité des évêques et des prêtres émane de celle du pape, l'autorité de la noblesse, de celle du roi. Le clergé et la noblesse enseignent, jugent, commandent et jouissent; le peuple croit, obéit, travaille et souffre.

Le pape et le clergé sont tout dans l'Église, le roi et la noblesse, tout dans l'État. Le peuple n'est rien, ne peut rien. La condition du peuple n'est guère que celle des esclaves dans la république de Platon. La théorie sociale de l'ancien régime revient à celle du paganisme.

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