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grés, sans jamais cependant arriver à se pleinement comprendre; comme il en est des autres sciences, qui, parties de l'état le plus infime, s'avancent continuellement et indéfiniment. Ceci parle à l'imagination, mais est absurde.

La pensée, l'intelligence est tout entière en tout. Dès l'instant qu'elle entre en exercice, elle possède toutes les notions fondamentales. Qu'une seule vînt à lui manquer, elle serait anéantie. Ces idées de l'être, de l'unité, du nombre, de la substance, de l'accident, du vrai, du faux, du bien, du mal, de la raison, de la force, de la faiblesse, de la cause, de l'effet, de grandeur, de petitesse (idées de rapport); ces idées, dont quelques-unes entrent dans tout jugement, et les autres dans quelques-uns seulement, sont toutes nécessaires à l'intelligence; car en elle tout s'enchaîne, et chaque idée appelle, suppose toutes les autres. Point de jugement possible sans l'idée d'être, d'unité, de nombre; mais l'idée d'être suppose celle de substance, d'accident; l'idée d'unité, celle de grand, de petit; les trois ensemble ou le jugement, celles de vrai, de faux, de cause, d'effet, puisque l'acte de juger suppose la volonté, cause, et cet acte, effet. Ainsi du reste. Peu importe que l'intelligence ne s'en rende pas compte, elles y sont. Point d'autres différences essentielles entre le simple bon sens qui emploie les idées, et la métaphysique, sinon que le premier les emploie sans s'en rendre

raison, et que la dernière le fait. C'est pourquoi la fausse métaphysique comme la vraie renferme ces notions, principe de l'intelligence et des sciences. L'école écossaise, le malebranchisme, le sensualisme, cherchent à les expliquer comme le platonisme.

Ainsi cette absence de progrès dans la métaphysique, loin d'être un défaut, en fait la perfection. Portant les principes de l'intelligence et des sciences, que deviendraient l'intelligence et les sciences si la métaphysique changeait? Elles n'auraient aucun fondement, les hommes ne s'entendraient pas, car ils n'auraient rien de commun.

Les révolutions qui restaurent la métaphysique ne font que rappeler la pensée à elle-même, à la vue immédiate de ses idées essentielles, afin de porter la lumière dans les sciences aussi bien que la vigueur. L'esprit, par faiblesse, et par suite du développement de chaque science, se perd dans les détails et dans les mots, et ne s'entend plus lui-même. Voilà ce qui est arrivé avant Socrate, qui rappela à lui-même l'esprit perdu dans l'école d'Ionie, dans celle d'Italie, celle d'Élée; ce qui est arrivé dans le moyen âge avec la scolastique, avant Descartes, qui fit comme Socrate; et ce qui est arrivé maintenant, du moins dans les sciences morales.

C'est parce que l'esprit humain est aujourd'hui éloigné de ses idées constitutives, ou de lui-même,

c'est-à-dire parce que nul ne pénètre à ces idées fondamentales, qu'on enfante tant de systèmes absurdes.

* SUR LES IDÉES INNÉES, OU LA RÉALITÉ DES IDÉES

EN NOUS.

La raison est constituée par les idées qu'on appelle innées, et qui sont les propriétés qu'a l'âme de représenter les choses. Voici comment M. de Bonald les attaque :

Qu'est-ce, dit-il, que les idées innées présentes à notre esprit et qui précéderaient toute instruction? Si Dieu les y gravait lui-même, comment l'homme parviendrait-il à les effacer? Si l'enfant idolâtre naissait, comme l'enfant chrétien, avec des notions distinctes d'un Dieu unique, comment ses parents pourraient-ils le faire croire à une multitude de dieux? D'où vient qu'il y a des matérialistes et des athées, si nous apportons en naissant des idées innées de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme? Si les hommes apportent tous en naissant les mêmes idées, pourquoi tant de variété dans les opinions? Il y a donc des idées innées et des idées acquises, et comment les idées acquises font-elles oublier les idées innées 1? >>

Comme Locke dans le premier livre de son Essai

1. Législation primitive, Disc. prélim.

sur l'entendement humain, livre consacré à combattre les idées innées, M. de Bonald confond l'idée avec la perception.

L'enfant naît avec une idée qui lui représente Dieu; mais, pour voir cette représentation, il faut un retour de la pensée sur elle-même; et selon qu'elle se replie bien ou mal sur soi, elle aperçoit bien ou mal cette représentation, elle peut même ne pas l'apercevoir du tout, et par suite l'enfant avoir la notion d'un seul Dieu, l'avoir de plusieurs ou ne l'avoir d'aucun, et être théiste, polythéiste ou athée.

M. Cousin oppose un argument plus sérieux : « Si la raison est personnelle, dit-il, il s'ensuit que toutes les conceptions qu'elle me suggère sont personnelles aussi, que toutes les vérités qu'elle me découvre sont purement relatives à notre manière de concevoir, et que les objets prétendus réels, les choses, les êtres, les substances, dont cette raison révèle l'existence, ne reposant que sur ce témoignage équivoque, ne peuvent avoir qu'une valeur subjective, c'est-à-dire relative au sujet qui les aperçoit, et nulle valeur objective, c'est-à-dire réelle et indépendante du sujet 1.

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Je l'avoue; mais la raison personnelle exclut-elle de la pensée la raison impersonnelle ou divine? Voir la vérité en nous empêche-t-il de la voir en Dieu ?

1. Fragments philosophiques, préface de la 2o édit., p. 15.

Sans une raison propre, avec quoi entrerionsnous en rapport avec la raison souveraine pour découvrir la vérité? N'est-il pas aussi impossible de percevoir le vrai avec une raison étrangère, que de voir les couleurs, d'entendre les sons, de digérer les aliments, avec les yeux, les oreilles et l'estomac d'autrui? S'il n'y a point de raison personnelle, que signifient les mots je, tu, il, nous, vous, ils? Comment puis-je les prononcer et m'entendre, si je n'ai pas une raison qui soit mon être et par laquelle je voie qu'elle est montrée? Effacez donc des langues ces mots vides de sens, ou avouez la raison humaine, dont par leur seule présence ils vous dénoncent la réalité.

* L'UNION INTÉRIEURE AVEC DIEU, CONDITION ESSENTIELLE

DE LA RELIGION COMME DE LA PHILOSOPHIE ET DE LA CIVILISATION CONTRE MM. DE BONALD, DE LAMENNAIS ET DE MAISTRE.

.....

Voilà comment l'intelligence du christianisme nous le montre achevant de s'établir par la Révolution française. Quoi de plus manifeste, de plus éclatant? La rénovation sociale que la civilisation moderne étend à tous les peuples, le retour des juifs, dont cette rénovation dissout l'institution, les missionnaires même protestants, qui évangélisent les peuples sauvages, ou

1. V. J. de Maistre sur la Société biblique.

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