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tendre des biens éternels les passages que les millénaristes citent sur les biens temporels...

Le millénarisme peut être regardé comme une protestation contre la direction exclusive vers les biens du ciel dans la rénovation religieuse. Au surplus, les millénaristes trouvent dans la rénovation sociale tout ce qu'ils attendent, si ce n'est la visibilité de JésusChrist... Si les juifs reviendront dans leur pays, c'est une question peu importante. D'un côté il semble qu'ils devraient le faire; de l'autre, qu'ils devraient se fondre avec les peuples où ils se trouveront, en prenant leur culte comme leurs lois. Sans doute Jésus-Christ ne paraîtra visiblement qu'à la fin des siècles pour juger les vivants et les morts; mais n'est-il pas vrai cependant que la société libre, où les hommes ne relèvent essentiellement que de la raison souveraine, est le règne temporel de Jésus-Christ?... Rien d'aussi clairement annoncé que le Messie de la terre et les grandeurs de la terre...

La partie cérémonielle du judaïsme, le temple, les autels, les sacrifices, les solennités, c'est-à-dire le culte, périt à la prise de Jérusalem, aussitôt que parut le culte chrétien; mais l'institution sociale s'est maintenue jusqu'à la société chrétienne, qui commence à la Révolution française. Alors, en France, elle a péri; les juifs se sont fondus avec les Français. De même elle le fera chez les autres peuples avec la liberté et l'éga

lité. Que restera-t-il du mosaïsme? Un pur matérialisme, un panthéisme, le sadducéisme, pour ceux qui s'attachent à la lettre, comme M. Salvador; ou bien la religion naturelle, pour ceux qui s'élèvent à l'esprit de la loi, et quelques vaines cérémonies, c'est-à-dire un simple théisme, en attendant le culte évangélique...

La dissolution du judaïsme coïncide avec la rénovation sociale, parce qu'alors seulement il a atteint son but, et parce qu'il ne peut être détruit que par la proclamation des droits naturels.

IV

CLERGÉ ENVAHISSANT LES BIENS DE LA TERRE.

Qu'est-il arrivé du dédain et de l'éloignement pour les biens de la terre? C'est que le clergé, non-seulement les a gardés pour lui, mais il a mis tout en œuvre pour s'en emparer. Il a trafiqué des choses saintes. La religion entre ses mains est vraiment devenue la pierre philosophale, qu'on cherchait tant sous sa domination, et qu'on avait si tort de chercher, puisqu'on pouvait clairement la voir en lui. Les ministres de celui qui voulut naître dans une étable pour foudroyer les richesses, et mourir sur une croix pour foudroyer les plaisirs et la domination, ont fait de la croix l'étendard de l'orgueil, de la domination et de l'avarice. On a pu sans exagération citer l'auri sacra fames du poëte,

et traduire la soif cléricale de l'or. Parcourez les temps et les pays, vous ne découvrirez rien de pareil à ce qui s'est passé en Europe depuis la naissance de l'Église... La terre devient la proie de ceux qui introduisent au ciel. L'avarice et l'ambition, qui ont tant contribué aux abus, se sont toujours opposées à la réforme: comme dans les grands conciles, de même dans l'Assemblée constituante.

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Je n'ignore pas que ces richesses et cette autorité commencèrent de la manière la plus respectable : communauté des biens sous la direction des apôtres et de leurs successeurs; intervention des évêques comme arbitres dans les affaires, et parce que toutes tiennent à la conscience, et parce que les évêques étaient équitables. Cette expropriation du monde, et les biens mis en commun dans l'Église, où ils n'appartiennent à personne et sont à tous pour le besoin. de chacun, sont une chose en soi admirable et propre à tuer l'homme civil de la société juive et païenne. Sous la féodalité, lorsque les églises deviennent des seigneuries, il fallait qu'elles vécussent par leurs propres ressources.

Mais ces richesses appartenant à un état transitoire, à la destruction d'un ordre de choses antichrétien, le clergé s'est persuadé qu'elles faisaient partie de sa condition véritable...

V

ALLIANCE DES BIENS DU CIEL ET DES BIENS DE LA TERRE 1.

Inséparabilité des uns et des autres dans les peuples; les uns périssant toujours avec les autres. Ceci tenant à la nature humaine, qui a des besoins naturels dans cette vie, qu'il faut satisfaire.

Avant le mosaïsme, les patriarches, leurs richesses et leur sainteté; Adam dans l'Éden, biens des deux sortes. Le genre humain réparé, retrouvant par le travail, l'industrie, créant lui-même les biens que la terre lui fournissait de soi-même.

Jésus-Christ aux noces de Cana, approuvant la multiplication du genre humain. Vin, symbole de la fécondité. La guérison des maladies naturelles, la paralysie, la surdité, la cécité, figure sans doute de la guérison des maux analogues de l'âme, mais aussi de ceux du corps. Paralysé, l'esprit humain ne pouvait pénétrer la nature ni féconder la terre; ainsi des autres. Multiplication des pains, figure de celle des biens dans la société libre. Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, le reste sera donné. Magnificence de ces biens, figurée par celle des lis des champs, que Dieu habille et nourrit. « La piété est utile à tout; et c'est

1. Ce dernier chapitre ne se compose plus que de simples notes Je les donne pour marquer la suite des idées. ÉD.

elle qui a les promesses de la vie présente et de la vie future. » Citer saint Augustin, tableau des biens qu'il oppose à celui des maux. Combien le premier a grandi pour les modernes !

Fuite des biens terrestres : abus effroyables de ces biens par le clergé et par les grands. Recherche légitime de ces biens, usage raisonnable.

*

DE LA DÉCADENCE ET DU RENOUVELLEMENT DU

CATHOLICISME.

Cent textes de l'Écriture déclarent que l'Église s'étendra aux nations les plus éloignées, et qu'elle durera jusqu'à la fin des siècles. Dans l'antiquité, on put imaginer que le premier événement était accompli, puisque l'Église couvrait le monde alors connu, et que le second allait s'accomplir, c'est-à-dire que le monde, que l'on confondait avec l'empire romain, finirait bientôt avec lui, opinion qu'énonce Tertullien. Les temps modernes, en montrant d'un côté tant de peuples nouveaux, et de l'autre une diminution continuelle de l'Église, ont pu suggérer aussi qu'elle avait rempli sa destinée dans l'ancien monde, qu'elle n'offrait plus qu'une longue agonie, et que maintenant elle expire. Ainsi, par consommation des âges, l'Ecriture aurait

4. I Tim., IV, 8. Ps. IV.

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