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l'esprit humain 1. Ces rénovations, les mêmes au fond, diffèrent dans les développements. La création fut connue de Platon, mais il admit des génies intermédiaires créant l'homme et lui étant des providences particulières; saint Augustin supprima les génies créateurs et providentiaux, mais laissa l'âme du monde.

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* AUTRE FRAGMENT SUR LE MÊME SUJET.

Toute opinion revient donc aux systèmes posés. Il ne peut s'en former aucune en dehors. Pour le fond, il faut toujours qu'elle tienne aux idées, sans quoi elle serait étrangère à la pensée. Eh bien! ou elle les suppose nulles, voilà le sensualisme; ou réelles, mais n'ayant de relation qu'avec l'âme ou elles-mêmes, voilà l'écossisme (l'aristotélisme) 2; ou n'ayant de relation qu'avec Dieu, voilà Zénon; ou ayant rapport à l'un et à l'autre, voilà Platon. Il n'est point d'autre hypothèse possible: il faut que les idées soient nulles ou réelles; si réelles, qu'elles n'appartiennent qu'à nous ou qu'à Dieu, ou à l'un et à l'autre. L'école écossaise doit nier les idées en Dieu, ou, ce qui revient au même, les regarder comme un effet de sa volonté, ainsi que Des

1. Socrate, Platon : morale, beau; saint Augustin: religion vraie ; Descartes physique, vrai dans l'univers matériel; maintenant politique, justice. (Ajouté en marge.)

2. Dans le manuscrit, les deux mots sont écrits l'un au-dessus de l'autre, comme si l'auteur se fût réservé de choisir.

ÉD.

cartes, Régis, Arnauld, sans doute; mais quand elle les soutiendrait existantes d'elles-mêmes dans l'entendement divin qu'elles constitueraient, si elle niait que les idées en nous dépendissent intérieurement, immédiatement des idées en Dieu, c'est comme si elle les laissait indépendantes. (Saint Thomas admettait les idées en Dieu...)

Les philosophes sûrs du vrai système n'errent jamais sur les principes, et montrent une vigueur unique. Ils ne sont pas seulement des hommes de génie, ils sont le génie même de l'homme. A eux seuls il est donné de renouveler les sciences. Ils font voir en eux toutes les forces de l'esprit humain, et leur influence mesure les périodes des révolutions philosophiques. Ils viennent élever l'esprit humain à de nouveaux ordres de vérités, dont il éprouve le secret besoin. Platon lui découvre Dieu, la création, la Providence, l'immortalité de l'âme, les récompenses et les peines futures. Plotin et saint Augustin1 expliquent la nature divine ou la trinité, en montrent l'image dans l'homme, traitent de l'intimité de l'âme avec Dieu. Descartes attaque la connaissance de la nature, que son école poursuit; Bossuet met le christianisme en rapport avec l'état des esprits. Main

1. Saint Augustin, plutôt que Plotin, vrai rénovateur de la philosophie, rappelant la pensée à soi, et puis s'élevant à Dieu, l'étudiant, le prouvant, le comprenant. (Note extraite d'un autre manuscrit.)

tenant il faut mettre le genre humain dans ses vrais rapports avec la société nouvelle.

L'esprit d'indépendance et de curiosité de la Grèce amena les recherches et suscita Platon1; la révolution opérée par l'établissement du christianisme, Plotin et Augustin; le retour intérieur à Dieu dans le moyen âge, Descartes.

Pour Platon, il s'agissait d'expliquer Dieu et l'homme comme préparation au christianisme; pour Plotin, Augustin, de les expliquer pour son établissement; pour Descartes, il s'agit d'expliquer l'univers; pour nous, la société. A toutes les époques de rénovation universelle, il s'élève un ou plusieurs hommes, en qui se recueillent les forces de l'esprit humain.

La pensée qui éclate en eux dans sa puissance se mutile aussitôt, même sous leurs yeux : Aristote, Zénon, Épicure, après Platon. L'essor extraordinaire communiqué par le christianisme et l'arrivée du moyen âge ne permirent point à la pensée de tomber directement en philosophie; mais elle le fit en théologie : manichéisme, pélagianisme. Régis, Arnauld, Spinosa, Locke, Malebranche, après Descartes, Leibnitz, Bossuet.

1. La philosophie incompatible avec l'immobilité des anciens États de l'Orient, de l'Égypte, et de leur domination sacerdotale. Point chez les Juifs. « La philosophie indienne, dit Heeren, paraît avoir suivi une marche pareille à la philosophie scolastique du moyen âge. » (Écrit en marge.)

* RÉFLEXIONS GÉNÉRALES SUR LA MÉTAPHYSIQUE

I

COMMENT ON EST CONDUIT A PHILOSOPHER.

C'est en voulant résoudre le problème si connu de Pappus sur les lignes proportionnelles, que Descartes rencontre la géométrie analytique. C'est en cherchant les différences des quantités, que Leibnitz trouve le calcul différentiel 1. Comment Kepler arrive-t-il à l'ellipticité des orbites et à refondre l'astronomie? C'est pour faire disparaître une erreur de huit minutes 2. Bouillaud découvre la loi de l'attraction, en voulant prouver contre Kepler que l'attraction n'existe pas. Les découvertes grandes et vraiment neuves viennent des efforts pour résoudre quelque problème. On ne les cherche point directement.

Ceci n'est pas moins vrai de la philosophie ou du rappel de la pensée à soi-même. Quand on l'y rappelle, on le fait sans le savoir, car on ignore ce qu'elle est, on y est poussé par le besoin de surmonter quelque difficulté.

4. Lettre à la comtesse Kilmansegg, Op., t. III, p. 456.

2. Delambre, t. I, p. 421.

II

SUR L'ABSENCE DE PROGRÈS DANS LA MÉTAPHYSIQUE.

Tandis que les autres sciences ont des commencements faibles et croissent par progrès indéfinis, la métaphysique est d'abord ce qu'elle doit toujours être, et si le temps change la manière dont elle se présente, il ne lui apporte ni vérités, ni erreurs nouvelles. C'est que cette science est toute intuitive, immédiate, résultant d'un regard de l'esprit sur lui-même, au lieu que les autres ne le sont que dans leurs principes. La métaphysique donc, ou les quatre systèmes qui se la disputent, sont aujourd'hui et seront toujours infailliblement ce qu'ils ont été jusqu'ici; c'est si bien reconnu qu'en général on accuse cette science d'être stérile et vaine, parce qu'elle ne fait, sous d'autres noms, que reproduire les mêmes erreurs et les mêmes vérités, et n'enseigne rien de nouveau. On voudrait qu'elle avançât, donnant d'autres principes. Comme elle est le compte que la pensée se rend à elle-même de ses idées essentielles, c'est-à-dire de soi-même, on voudrait que, dans un temps, elle ne se comprît qu'à demi, ou plutôt que, commençant d'abord par ne se comprendre qu'infiniment peu, elle se comprît de plus en plus par de

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