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cieuses. Déjà dans Roger Bacon, dans Colomb et dans la formation des communes, on sent l'homme purgé du régime de la chute, revenu à Dieu et à soi, placé dans la condition de la force réelle, pénétrant l'univers matériel, fondant la liberté sociale et produisant la moderne civilisation.

Faute de remonter ainsi à Dieu, et de ce retour voir couler la civilisation moderne ou les communes en qui la civilisation moderne s'annonce, on a pris pour cause première les événements dont j'ai déjà parlé et qui ne sont que des occasions 1...

DES RAPPORTS DU CHRISTIANISME SOCIAL AVEC LE

MOSAÏSME.

I

LE MOSAÏSME FIGURE LE CHRISTIANISME SOCIAL COMME LE CHRISTIANISME RELIGIEUX 2.

On oppose l'un à l'autre les deux Testaments; on dit que le Nouveau ne lègue que les biens éternels, l'Ancien,

1. L'auteur réfute ensuite les opinions de MM. Guizot, Thierry, Raynouard, etc., sur l'origine des communes : il cite favorablement MM. d'Ekstein et Benjamin Guérard. Mais cette fin n'est pas achevée, et on en retrouve les principales idées dans les Mélanges philosophiques et religieux.

ÉD.

2. Ces morceaux, réunis par l'auteur, devaient former sans doute autant de chapitres de quelque ouvrage, peut-être de celui qu'il avait médité sous le titre de : Qu'est-ce que philosopher?

ÉD.

que les biens temporels, et l'on ajoute que les biens temporels figurent les biens éternels. Il est vrai, l'Ancien ne donnait que les biens de la terre; mais il est faux que le Nouveau ne donne que les biens du ciel, il donne aussi les biens de la terre; et ceux que l'Ancien dispensait, les figurent comme les biens du ciel.

Examinez le régime de Moïse, et vous verrez qu'il représente également la religion et la politique chrétiennes. L'objet du christianisme étant de relever l'homme tombé, cette religion consiste à le ramener à Dieu, et cette politique à lui rendre la liberté, l'égalité, l'aisance que la chute lui ravit. Dans sa dégradation, ne pensant qu'avec les sens, l'homme, sans être longuement préparé, ne pouvait avec la raison s'unir à Dieu, ni avoir la liberté, l'égalité, l'aisance, qui résultent de cette union. Le mosaïsme, qui le forme à ces biens, lui en fournit l'image. Puisque l'homme est incapable de s'élever intérieurement à Dieu et de le posséder, Dieu n'est point personnellement son bien; mais il prend un tel soin de lui, que l'homme trouve dans ce soin un simulacre de la possession de Dieu. Or pour être son souverain bien même de cette manière imparfaite, il faut qu'il soit tout-puissant et présent partout; le judaïsme ne respire donc que la suprême grandeur de Dieu avec sa présence aux Hébreux pour les conduire, et, comme effet, que la fraternité et le bien-être de ceux-ci.

Tout ce qui y porte atteinte, le décalogue, fondement de l'institution juive, l'interdit en principe.

La présence avec la toute-puissance éclatent dans la vie surnaturelle du désert pendant quarante ans, où les Hébreux sont nourris de la manne venue du ciel, et désaltérés par l'eau miraculeusement tirée du rocher avec la verge. Détachés de tout, suspendus à Dieu, ils ne vivent que par lui. A la sortie d'Égypte, il commande aux éléments de les servir; de même, à l'entrée de la terre promise, le Jourdain remonte à sa source. Dieu règle toutes les circonstances de la vie, intervient dans toutes. Les Hébreux ressemblent à l'enfant sous la main de sa nourrice et puisant la vie dans son sein. Cette présence extérieure, ce concours par lequel Dieu agit continuellement avec les Hébreux et infiniment plus qu'eux, répond à l'action intérieure qu'il exerce dans le christianisme...

Les deux tables sur lesquelles Dieu même écrit la loi sont renfermées dans l'arche, où il se déclare plus particulièrement présent par ses oracles. L'arche est placée dans le sanctuaire du temple, et avant que le temple soit construit, dans celui du tabernacle, temple portatif et modèle du temple fixe. Seul le grand prêtre peut y entrer, mais une seule fois chaque année et avec du sang. Celui-ci vient de la destruction d'un animal, marquant, et celle que l'homme doit opérer en lui par la pensée en s'anéantissant devant l'être divin, et celle

qu'il devrait subir réellement dans tout son être comme punition de son péché primitif et actuel, et qu'il subit corporellement à la mort; de son péché, dis-je, surtout de l'orgueil, le premier et le principe de tous les autres, puisqu'il attaque directement la souveraineté divine. De là ces continuelles immolations de boucs, de béliers, de taureaux. Bien plus, il faut que l'homme porte sur soi et à la source de la vie une empreinte permanente de destruction. Les premiers-nés, qui doivent être réservés pour le culte de Dieu et auxquels est substituée la tribu de Lévi; les douze pains de proposition, placés sur la table et à l'entrée du sanctuaire, présentant les douze tribus; les noms de celles-ci, inscrits sur l'éphod que le grand prêtre porte, en ayant six sur chacune des deux épaules, inscrits sur le pectoral ou rationnel, qu'il porte sur la poitrine; enfin, beaucoup d'autres usages signifient de même la souveraineté de Dieu et son attention au peuple élu...

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Descendants de Jacob, leur ancêtre commun, tous les Israélites sont frères, c'est-à-dire libres et égaux par leur origine; ils le sont encore par la loi, qui établit pour chacun les mêmes droits et les mêmes devoirs. « Point de ces flétrissantes distinctions de castes, établies chez les Égyptiens et les Brachmanes, s'écrie Guénée, ni de ces outrageants mépris d'un ordre pour un autre, ni de ces règlements barbares qui réunissaient ailleurs dans une partie de la nation les priviléges et

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l'autorité, et rassemblaient sur le reste des habitants les calamités et l'infamie. »> « Chez les Juifs, dit Calmet, il n'existait point de ces différences de condition, de nobles et de roturiers1. » — « Il n'y avait ni hommages ni censives, ajoute Fleury; ni toutes ces espèces de sujétions qui chez nous sont si ordinaires 2. » D'après M. Salvador, « il y avait des serviteurs, des servantes, mais point d'esclaves comme on l'a cru 3. La terre était divisée par égales portions, la qualité compensant l'étendue et réciproquement 4. L'agriculture véritable, depuis longtemps presque perdue en France et retrouvée par M. Dezeimeris, qui par l'assolement continu l'a encore perfectionnée, la vraie agriculture fut celle des Hébreux. Les troupeaux couvrant leur pays, et le fertilisant par les engrais qu'ils créaient, leur donnaient en blés, en légumes et en chair, une nourriture abondante et substantielle. La loi des successions, des ventes, le jubilé, ne permettant point l'accumulation durable des biens, conservaient ou rétablissaient l'égalité primitive, en bannissant l'opulence et la pauvreté.

Exclue du partage des terres, la tribu de Lévi est payée par les autres,qui lui donnent le dixième de leur

4. Calinet, Comment. litter., Genèse, 11, 49.

2. Fleury, Mœurs des Israelites, art. 33.

3. Institut. de Moïse, liv. VII, ch. v.

4. Nombres, xxvi, 53; xxxIII, 54.

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