Page images
PDF
EPUB

AU MÊME.

Paris, 12 novembre 1858.

Le passage que vous citez est entortillé, mal écrit. Cependant on voit que M... reproche à Descartes d'avoir fait un syllogisme...

Sans doute, pour constater son existence, il fallait que Descartes existât; mais il n'avait aucun besoin de le présupposer, parce qu'il ne posait point comme un principe la présupposition de son existence. Il saisissait son existence sur le fait même de cette existence, lequel fait était l'acte de sa pensée; et l'acte de sa pensée se trouvait l'acte de son existence, et l'acte de son existence était le fait de son existence.

[ocr errors]

Montaigne, ajoute M..., pensait avec raison qu'on ne pouvait abstraire l'être pour prouver l'être, parce que pour prouver il faut être. »

Il est vrai, Descartes ne pouvait faire abstraction de son être pour prouver son être. Mais, encore un coup, Descartes ne voulait point prouver son être par une démonstration syllogistique; ce qui était impossible, comme M... le dit fort bien; mais Descartes voulait se saisir, se prendre existant. Je suis en plein jour, je ne prouve point l'existence de la lumière; son existence est établie de cela seul que je vois. En faisant que je vois, la lumière me déclare son existence et m'assure que cette existence est réelle. Pareillement, l'existence de

Descartes lui est déclarée, assurée, par cette existence même qui fait que lui, Descartes, pense.

A la page 27, M... dit que « Descartes ne comprenait pas, ou ne voulait pas comprendre qu'en pensant, qu'en se recherchant, il s'affirmait déjà lui-même en tant que cherchant » Oui, il s'affirmait. Que conclure de là, sinon que l'existence est tellement dans la pensée, que nous ne saurions penser sans poser par là même que nous existons?

Plus bas, M... distingue la parole intérieure de la pensée; ce qui est faux. La parole intérieure, c'est la pensée. Il dit que Descartes touchait au monde extérieur. Peu importe, Descartes a toujours maintenu que les idées sont indépendantes des mots. Jamais Descartes n'a prétendu trouver en soi la raison complète de son être. Toujours il a cherché en Dieu la raison dernière de soi et de tout, et uni inséparablement la connaissance de nous-mêmes à celle de Dieu.

Le rationalisme n'est point l'idéalisme. On entend par rationalisme ce qui s'appuie sur la raison, au lieu de s'appuyer sur la révélation. Ainsi il y a un rationalisme bon et un rationalisme mauvais. Le bon, c'est celui qui est opposé au traditionnalisme. Le traditionnalisme prétend que l'homme par sa raison est incapable d'avoir aucune vérité, et que Dieu, après l'avoir créé, a dû lui communiquer la vérité avec la parole. Le bon rationalisme soutient au contraire que l'homme

a été créé avec une raison capable de vérité par sa nature même, et même qu'à l'origine sa raison était pleine de puissance et de lumière.

Le rationalisme mauvais, c'est celui qui rejette la révélation chrétienne et qui prétend que la raison toute seule suffit.

APPENDICE

A LA PREMIÈRE PARTIE

NOTES DE L'ÉDITEUR

NOTE I

Après de longues discussions sur le libre arbitre avec Bordas, et pour l'amener à s'expliquer plus nettement, je lui avais remis une note intitulée: Doutes philosophiques sur la liberté. J'y faisais le personnage d'un déterministe. Bordas me répondit de vive voix, et j'écrivis immédiatement, et en quelque sorte sous sa dictée, les remarques qu'on va lire : elles reproduisent fidèlement sa pensée, et en grande partie ses paroles : « Oui, l'amour et la volonté sont deux facultés distinctes...

« La liberté ou pouvoir de choisir reste dans l'homme, alors même que la force de pratiquer lui fait défaut (cette force étant quelquefois aussi désignée sous le nom de volonté): Video meliora proboque, deteriora sequor, je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal. Le proboque

est l'effet du choix, le deteriora sequor est l'indice de la faiblesse de la volonté. Ou, si l'on veut, la volonté, encore assez forte pour choisir le bien, ne l'est pas assez pour le pratiquer effectivement.

« Toutes les subtilités ici étalées rétrécissent les idées, et ne laissent pas subsister la simple et droite notion de liberté : c'est un pouvoir de se modifier à chaque instant; il ne faut lui imposer aucune chaîne, aucune limite. L'esprit a essentiellement ce pouvoir de choisir, il l'a dans tous ses actes; mais il n'a pas en tout état la même étendue des objets de son choix, ni surtout la même force pour l'exécution.

Dans ces exemples 1, et en particulier celui d'Adam, il n'est pas possible de limiter si exactement un pouvoir de sa nature essentiellement variable. Le patriote et Adam même peuvent dire: Il est infiniment probable que nous agirions de même; mais ils ne peuvent pas dire absolument I impliquerait contradiction que nous ne fissions pas les mêmes choses. Il faut laisser tout cela dans un plus grand mystère. Quant à Dieu lui-même, il n'y a pas lieu davantage à affirmer; on

1. J'avais introduit dans ma note Adam, replacé par la toutepuissance divine dans les mêmes dispositions intérieures et les mêmes circonstances extérieures qu'avant son péché; un grand et austère patriote, qui a repoussé toutes les faveurs du pouvoir et qui repasserait identiquement par les mêmes épreuves; enfin Dieu lui-même, anéantissant la création actuelle et ayant de nouveau à décider s'il créera ou ne créera pas.

« PreviousContinue »