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nous parlons était innée en nous, il serait étonnant que nous possédassions sans le savoir la plus puissante des sciences. » On voit ici la même méprise que dans Locke, qui s'imaginait que la science, que les propositions sont innées.

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DE LA RELIGION DANS LE SYSTÈME ARISTOTELICIEN
OU ÉCOSSAIS.

Voilà ce que fait le sensualisme appliqué à la religion. Voyons dans cette même application l'école écossaise (aristotélicienne), qui se dit l'adversaire du sensualisme et se vante de le combattre victorieusement. Contre lui, en effet, elle soutient que nous avons en nous l'origine des idées générales, et que ces idées sont étrangères aux sens. Mais elle veut aussi que ces idées soient indépendantes, et n'aient pas besoin pour se soutenir d'être unies à des idées analogues existant en Dieu; en sorte qu'elles renferment en elles-mêmes toutes les propriétés ou vérités éternelles, qu'on rencontre dans les mathématiques, dans la philosophie et en général dans les principes de toutes les sciences. L'idée de Dieu, qui se trouve parmi ces idées, je veux dire l'idée d'un être infini, incréé, parfait, etc., n'implique point son existence hors de l'âme, et ne prouve pas qu'il soit quelque chose hors d'elle. Ainsi entre cette idée de Dieu et la réalité de Dieu est un abîme.

Cependant l'école écossaise veut arriver jusqu'à Dieu, et elle y monte par l'induction de l'effet à la cause. Il serait aisé de lui couper cette route. Puisque les idées ne s'attachent à rien hors de l'âme, et que l'âme n'est point un être nécessaire, évidemment elles ne fournissent le droit de conclure rien de nécessaire, ni par conséquent de soutenir que l'univers suppose nécessairement un Dieu qui en soit le créateur. Au reste, Kant l'enseigne. Mais passant sur cette difficulté et concédant à l'école écossaise le droit de s'élever à Dieu par l'induction de l'effet à la cause, établirait-elle, mieux que le sensualisme, un rapport religieux entre l'âme et Dieu? Non, car cette induction n'est qu'un raisonnement, et ne rend point Dieu présent à l'âme substantiellement; elle laisse l'âme séparée de Dieu d'une distance infinie de même que le raisonnement que nous ferions ici sur la rondeur de la terre pour en conclure les deux pôles nous laisserait à la même distance de ces deux pôles.

Ainsi l'école écossaise ne nous rapproche pas plus de Dieu que le sensualisme, et ne diffère elle-même du sensualisme qu'en ce qu'elle regarde comme réalités ce que le sensualisme tient pour des abstractions : elle laisse l'âme ensevelie dans ses réalités, comme le sensualisme la laisse dans ses abstractions.

Ce système, plus propre à faire illusion que le sensualisme, est plus dangereux. C'est lui qui a produit la

scolastique du moyen âge, lui-même ayant été produit dans l'Occident par des circonstances toutes particulières; il a amené cette surnaturalité jetée comme un pont entre l'âme et Dieu, de sorte que l'homme aurait été créé dans un état d'ignorance et de dénûment, et puis élevé surnaturellement à l'état de lumière et de bonheur. Par cette séparation entre l'âme et Dieu, il a relevé le paganisme au moyen âge, et provoqué, par ces abus et d'autres qui en étaient la suite, les hérésies et le schisme du xvI° siècle.

DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE ET DE BACON'.

La méthode expérimentale, si ce mot est tolérable, n'est possible que par la méthode philosophique, c'està-dire que, pour étudier les corps par l'observation, il faut avoir étudié déjà les idées, s'être observé intérieurement; car l'esprit ne sera amené à une véritable expérience extérieure qu'autant qu'il aura pratiqué l'intérieure. Les idées, après tout, sont le principe et la règle de toute recherche. Cela est évident à priori; cela a lieu à posteriori, se passe dans l'histoire. Avant Socrate, qui avait le premier étudié l'esprit, on n'a point connu la véritable méthode d'observer, et on n'a fait que des

1. Note qui me fut remise par Bordas à une époque où je m'occupais d'un travail sur Bacon. ÉD.

hypothèses. Ce qui ne veut pas dire que ces hypothèses ne renferment des germes, des débris de vérités; mais elles ne peuvent former un corps de science dont l'esprit puisse se rendre compte, puisque la considération préalable de lui-même n'y entre pas. Et puis cette manière de procéder ne peut réussir qu'aux puissants penseurs et n'est point une voie ouverte à tout le monde. A Socrate commence la méthode expérimentale et les progrès dans les sciences. Aristote s'en sert pour l'étude de la nature, l'histoire des animaux, pour la politique, et la déserte en quelque sorte pour l'étude de lui-même. Périssant avec la scolastique, cette méthode ne renaît qu'avec Descartes, qui la vante sans cesse, l'applique souvent, mais, emporté par son génie et par le besoin de l'époque d'expliquer sur-le-champ jusqu'aux choses inexplicables, se jette trop dans l'à priori. Mais non, car ses plus grandes vues appartiennent à cette audace: par exemple, ses lois du mouvement, qui, en partie, sont vraies, et conduisent à la vérité très-facilement; la loi de la force centrifuge, qui aurait échappé longtemps à l'expérience, etc. C'est que la méthode expérimentale pour la physique, non-seulement dépend de la connaissance que l'esprit humain a de lui-même et ne vient jamais qu'après celle-ci, mais toute seule elle est impuissante à donner ces découvertes qui changent la face de l'esprit humain.

Bacon parle de méthode, et ne fait que des nomencla

tures; tous ses ouvrages ne sont que divisions et subdivisions. Ce qu'il dit n'est, ou que l'écho de l'opinion dominante alors, ou, s'il y a quelque chose de lui, c'est tellement vague et perdu dans les généralités, que cela ne conduit à rien.

La méthode expérimentale ne s'enseigne que par l'exemple, du moins par le premier qui la crée ou la fait revivre.

Bacon n'a guère découvert que la compressibilité de l'eau.

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