ble de se représenter l'état dans lequel elle se trouva réduite en ce moment. Elle eut d'autant moins de peine à se persuader qu'elle étoit en péché mortel, et en état de damnation éternelle, qu'elle aimoit plus parfaitement son Dieu, et que, connoissant mieux combien il est aimable, elle sentoit qu'elle ne l'aimoit pas assez; qu'elle se reprochoit, de puis long-temps ses ingratitudes, et ses prétendues infidelités. Dans de pareilles circonstances, de quoi n'est pas capable une imagination échaufée ? toute sorte de pensées se présentent à son esprit, et se succédant sans cesse les unes aux autres, elles ne lui laissent plus la liberté de juger sainement sur les objets de sa crainte, quoiqu'en toute autre occasion, et à l'égard des autres, elle raisonne avec une justesse admirable. Telle fut la situation de la Sœur Bourgeois. Elie ne se regarde plus que comme une réprouvée au milieu de ses Sœurs; elle n'ose quasi plus leur parler, ni même lever les yeux devant elles. Elle sent une répugnance extrême pour s'approcher des Sacremens, qu'elle se croit désormais inutiles, et dont elle craint la profanation par dessus toutes choses. Dans cet état un confesseur habile est obligé d'examiner les momens de la grace; et tantôt de lui ordonner la Communion, d'autres fois de la lui défendre, quelquefois de les lui règler avec discrétion; et de les lui permettre suivant son attrait. Il paroit en effet que c'est sur ces principes qu'ont été fondées les différentes règles de conduite qu'on observoit à son égard, pendant tout le temps de cette grande peine. Pour elle, toujours obéissante, elle se sanctifioit de plus en plus, par la soumission de son esprit. Il y avoitdéjà environ un an qu'elle languissoit dans cet état d'humiliation et de souffrance, lorsque Monseigneur de St. Vallier vint à Montréal, en 1690, pour la première fois. Elle n'eut pas de peine à lui faire confidence de sa situation. "Je lui ai dit mon malheur, dit-elle elle même, et comme depuis bien du temps mes Sœurs "avoient perdu la confiance en moi,et moi la liberté de leur parler; comme je n'étois pas capable de gouverner la maison, ma négligence et mon ignorance étant ex"trêmes en ce point; je l'ai prié en conséquence de mettre une autre Supérieure en ma place, et que tout "se feroit plus-parfaitement." Cependant Monseigneur de St. Vallier, pour cette fois ne consentit pas à cette déposition, dans l'espérance que cette peine extrême ne dureroit pas long-temps: mais étant revenu à Montréal encore plus de deux autres années après, c'est-à-dire en Septembre, 1693, et trouvant toujours les choses dans le même état, il consentit enfin à une prémière élection dans la Congrégation, qui se fit alors, et dans laquelle la Sœur Marie Barbier dite de l'Assomption, fut élue Supérieure, au grand contentement de toute la communauté; et surtout de la Sœur Bourgeois elle-même, qui se voyant déchargée de la Supériorité, espéra de retrouver bientôt le calme intérieur qu'elle sembloit avoir perdu depuis long-temps, quoiqu'elle n'eût jamais cessé de posseder son âme dans une soumission parfaite. En effet peu de temps après cette déposition, c'est-à-dire, au commencement de Janvier, 1694, ou, comme elle le disoit elle-même, cinquante mois après qu'elle avoit été avertie pour la première fois de son état de damnation, elle eut tout à coup comme une vue intérieure qui lui annonçoit sa réconciliation avec Dieu, et que toutes ses peines de damnation étoient entièrement passées. Cependant cette consolation parfaite ne fut pas de longue durée, et si elle se croyoit reconciliée avec Dieu, elle ne s'en croyoit que plus étroitement obligée de travailler à procurer sa gloire, et de soutenir la régularité de sơn institut. Dans les élections qui avoient été faites, elle avoit été mise, au moins par honneur, au nombre des conseillères, et cette qualité ne cessa jamais de l'inquieter, parce qu'elle se reprochoit toujours, etne pouvoit pas oublier l'idée qu'elle s'étoit formée, que c'étoit par sa faute, et pour ses péchés, qu'elle ne trouvoit pas dans la maison toute l'ancienne sévérité, que dès le commencement on y. avoit pratiquée. On ne laissoit pas d'avoir pour elle toute sorte de ména. gemens, qui sans doute lui étoient plus à charge qu'agréa-. N bles. Pour tranquiliser son esprit, autant que pour ménager ses forces dans un âge avancé, on avoit jugé qu'il seroit à propos de la dispenser des exercices publics de la communauté, et de la mettre à l'infirmerie, où on pourroit lui donner quelque petit ouvrage pour l'amuser: elle obéit sans réplique: mais sa peine l'accompagnoit toujours. Voici comment, environ quatre ans après, en 1697, elle s'explique elle-même sur cette espèce d'exil. Quoique chargée conjointement avec mes Sœurs, de veiller au bon ordre de la maison, je ne sais plus la conclusion d'aucune affaire. II ya près de quatre ans, qu'occupée seulement à quelque peu de couture, je ne sors presque plus de l'infirmerie, j'y couche, et j'y prends mes repas, à cause de mon grand age, dit-on, et pour faire compagnie à ma Sœur Crolo, qui ne peut pas aller au réfectoire. Je ne parle à aucune de nos Sœurs, et ne sors même que rarement pour aller à l'Eglise, pouvant aisément entendre la Messe de l'endroit où nous vivons. Dans cet état, toujours agitée, je ne savois à quoi me dé terminer; car j'avois toujours dans la pensée, que Dieu éxigeoit de cette communauté plus de perfection que je n'y en voyois. Envain pour me consoler, me disoit-on de me tenir tranquile, et que je ne répondrois de rien: je ne pouvois ime le persuader, ni me dissimuler à moi-même, que ce ne fût ma négligence et ma mauvaise conduite, qui étoient la seule cause de tous les relâchemens que je voyois. Dans cet état de perplexité, de peine et d'humiliation, il n'est pas aisé de se représenter tout ce qu'elle avoit à souffrir. Il y avoit plus de quatre ans qu'accablée d'ennui et de tristesse, elle gémissoit dans cette infirmerie, lorsqu'il plut à Dieu de lui ouvrir le chemin à une paix parfaite, dans laquelle elle pût se livrer aux sentimens d'une dévotion tendre, et par la pratique fidèle des règles communes et ordinaires, sanctifier le peu d'années qui lui restoient à passer sur la terre. Voici comment elle raconte ce fait. La nuit du quatre au cinq de Juillet, 1697, comme elle méditoit sur les moyens de réparer les fautes dont elle se croyoit coupable, il lui vint tout à coup une forte pensée, et comme une voix, qui lui faisoit entendre qu'il falloit qu'elle fût le Jonas de la Congrégation, et qu'au. péril d'être jettée dans la mer, elle devoit dire simplement, et librement sa pensée sur tout ce qu'elle croyoit appercevoir dans la communauté de moins conforme à la plus grande gloire de Dieu. A cette voix elle n'eut point d'autre réponse à faire que de s'offrir de sa part, à faire en tout la volonté de Dieu; l'inspiration dans ce moment ne la poussa pas plus avant. Mais la nuit suivante, dit-elle, la même pensée redoubla de la même force que la première fois. Elle comprit alors qu'il étoit temps de renoncer à ces idées de perfection, qui l'avoieut silong. temps tourmentée, et qu'une soumission aveugle à ses Directeurs seroit son unique remède. Pleine de cette nouvelle idée, elle n'a rien de plus pressée que d'ouvrir entièrement son cœur aux Prêtres les plus respectables qui fussent alors à Montréal, Mr. Caille, Curé de la Paroisse, et Mr. de Valens, Confesseur de la communauté: et l'un et l'autre, par une même réponse, la renvoyèrent à la Supérieure, à qui elle rendroit compte de ses peines et de sesidées, pour se reposer ensuite uniquement sur elle de tout ce qu'il conviendroit de faire pour le bon ordre de la communauté. La Sœur docile fit alors ce qui lui étoit commandé; et pour le faire d'une façon plus précise et plus utile, elle prit le parti de mettre la main à la plume; et c'est ce qui nous a produit une grande partie de ces belles instructions que nous lisons dans le recueil qu'on nous a donné de ses maximes. Son cœur ainsi déchargé, elle se trouva comme sur le champ, et pour toujours, entièrement délivrée de toutes les peines qui l'avoient si long-temps tournentée, et n'eut plus qu'à donner par son exemple, pendant environ trois ans qui lui restoient de vie, le modèle des vertus domestiques et régulières, qu'elle avoit si dignement enseignées pendant plus de 50 ans. Cependant quoique cette peine, dont nous venons de parler, ne fût jamais que pour elle seule; (car, à la Communion près, dont elle ne s'approchoit que rarement et avec peine, elle veilloit à tout, et ne se dispensa jamais d'aucun de ses devoirs :) au milieu de ses plus grandes souffrances, elle pensoit à se démettre de la Supériorité, dont-elle se jugeoit indigne. Il y avoit long-temps même avant la tribulation dont nous venons de parler, qu'elle avoit eu cette idée, Dès l'année 1680, avant de partir pour le troisième voyage qu'elle fit en France pour aller chercher des règles, en prenant les arrangemens qu'elle jugeoit nécessaires pour le bon gouvernment de sa communauté pendant son absence, et pour se décharger d'un fardeau qu'elle trouvoit audessus de ses forces, elle avoit projetté, de proposer à ses Sœurs de faire parmi elles élection d'une Supérieure en sa place. Et les ayant assemblées pour cela, à la première proposition qu'elle leuren fit, elle fut bien surprise de les entendre tontes, comme d'une seule voix, et sans qu'elles se fuesent rien communiqué auparavant, s'écrier toutes ensemble, qu'elles choisisscient la très Ste. Vierge pour leur première Supérieure, leur institutrice, leur fondatrice, et leur bonne mère, pour le tempset pour l'éternité; et qu'elles prioient la Sœur Bourgeois de continuer à gouverner la Congrégation sous les auspices et la protection de cette mère commune, et ce fut en conséquence de ce choix, que la Sœur Bourgeois, en se prosternant avec toute la communauté, devant l'image de la très Ste. Vierge, lui adressa sur le champ, la prière suivante: 46 66 66 "O très Ste. Vierge, voici la plus petite troupe de "vos servantes, qui se sont consacrées au service de Dieu sous votre conduite, lesquelles souhaitent de vous suivre, comme des filles bien nées suivent leur " mère et leur maîtresse, et qui vous regardent comme " leur chère institutrice et leur première Supérieure; "dans l'espérance que notre bon Dieu agréera notre élec "tion, et vous donnera le domaine de cette petite communauté, qui est votre ouvrage. Nous n'avons rien qui soit digne d'être présenté à Dieu: mais nous espérons obtenir par votre moyen, les graces nécessaires pour notre salut, et la perfection de notre état. Vous " savez mieux nos besoins, et ce que nous devons vous demander, que nous-mêmes; ne nous refusez pas votre assistance. Aidez-nous par vos puissantes intercessions, à recevoir les lumières et les graces du "St. Esprit, afin de pouvoir travailler à la bonne édu 66 66 66 ८. |