« EST D'AVIS que la loi sur l'expropriation est applicable aux locataires, lorsque l'immeuble occupé << par eux est déjà la propriété de la ville qui poursuit l'expropriation, et que, dans l'espèce, il y a lieu de donner suite au projet d'arrêté joint au << rapport. » On voit que la question, nettement posée, est nettement résolue. « cédé à la démolition des pavillons établis sur le L'avis constate, d'abord, que le but de la loi est d'écarter les obstacles d'intérêt privé qui s'op-« poseraient à l'exécution de travaux déclarés d'utilité publique; de là, une voie uniforme de procéder à l'égard de l'intérêt privé et de ses divers droits; mais lorsque l'immeuble est déjà la propriété de l'administration, et que par cela même la procédure d'expropriation est inutile quant à l'immeuble, comment pourra-t-elle dégager cet immeuble du bail qui ne lui permet pas d'en disposer pour sa destination? « L'avis décide que la loi de 1841 ¡ui prête son secours, et, suivant ses propres termes, « que l'ad-propriés. » miuistration doit agir vis-à-vis de son locataire << comme elle aurait agi vis-à-vis du propriétaire et « des locataires dans le cas où elle n'aurait pas été « elle-même propriétaire de l'immeuble. » « Doctrine évidemment applicable aussi bien au cas où l'administration devient propriétaire de l'immeuble en vertu d'une cession amiable postérieure à la déclaration d'utilité publique, que dans celui où cet immeuble lui appartient déjà en vertu d'un titre antérieur. Et de même que l'arrêt du 18 août 1849, ce mémorable avis donne au réclamant le juge spécial institué en matière d'expropriation par la loi du 3 mai 1841. Après avoir constaté l'état de la jurisprudence du conseil, passons à l'examen de l'affaire dans laquelle est intervenu l'arrêt du 14 sept. 1852, arrêt que MM. Dufour el Devilleneuve considèrent comme étant contraire aux précédents. «L'arrêt, comme on le voit, prend le soin de constater d'abord que la source du dommage n'est pas dans une mesure d'expropriation pour cầuz d'utilité publique; il reproduit ensuite la déclaration du préfet portant que la question de reconstruction des pavillons n'est pas encore résolue, c'est-à-dire que, dans l'état, le bail subsiste. Si le rétablissément des pavillons est opéré, le preneur reprendra ☎ jouissance indépendamment du dédommagement qu'il aura obtenu de l'autorité administrative. « Lorsque deux espèces diffèrent si profondément P'une de l'autre, il ne peut exister de contrariété dans les décisious. L'arrêt du 14 sept. 1852 ne rêpudie donc pas la doctrine de l'avis du 24 janv. 1849 et de l'arrêt du conseil du 18 aout suivant. Mais nous comprenons qu'on ait pu penser le contraire. « En effet, l'arrêt du 14 sept. 1852, si juridique dans ses deux premiers motifs, émet une proposition dans un troisième motif, qui s'harmonise difficilement avec la jurisprudence antérieure du conseil. Ce motif est celui-ci :-« Considérant que, d'après la loi du 3 mai 1841, les tribunaux civils et le jury spécial me « connaissent des dommages résultant de l'exécution « de travaux publics, qu'autant qu'il s'agit d'expropriation d'immeubles; et que même, dans ce cas, le règlement des indemnités dues aux locataires « ne peut avoir lieu devant cette juridiction qu'ac «cessoirement à celui des indennités atférentes aut propriétaires expropriés. » « L'administration avait prescrit par mesure de sûreté publique la restauration du Pont-Neuf à Paris, et ces travaux exigeaient la démolition des pavillons édifiés anciennement sur les culées du pont. Un de ces pavillons avait été loué pour un certain nombre d'années à une dame Trémery. Troublée dans sa jouissance locative, cette dame fit assigner le préfet de la Seine devant le tribunal civil, en paiement d'une somme de 12,000 fr., pour indemnité du préjudice que lui avait causé la démolition du pavil.on.-Sur un déclinatoire proposé par le préfet, « La première partie du considérant énonce une le tribunal retint la cause, par le motif que l'objet de proposition incontestable dans sa généralité, c'est l'instance n'était pas une indemnité due pour un pré- que la loi du 3 mai 1841 n'autorise que l'expro judice passager, mais pour cause d'expropriation.-priation des immeubles; chaque mot de la loi fait Mais, en fait, la démolition du pavillon avait été la foi de cette vérité; les expressions situation des conséquence nécessaire des travaux de restauration biens, immeubles, plan parcellaire, servitudes, hypoentrepris dans l'intérêt de la sûreté publique et aux-thèques, fermiers, locataires, etc., déterminent d'are quels la loi d'expropriation était demeurée étran- manière précise le but unique de la loi. C'est un gère; dès lors, le dommage éprouvé par le locataire point constant de jurisprudence, qu'une chose mo ne dérivait réellement pas d'une expropriation.-bilière, soit un contrat, soit une œuvre scientifique Aussi, la dame Tremery ne demandait-elle pas à être renvoyée devant le jury; c'est la juridiction civile ordinaire qu'elle avait saisie de sa demande en indemnité. ou littéraire, soit un instrument, de quelque utilité qu'en soit la possession pour l'Etat, ne peut re enlevée au propriétaire sans son consentement. La loi n'admet pas d'expropriation pour cette nature de propriété ; et on n'accusera pas la loi d'être incomplète, ou ses interprètes d'en limiter la juste portée, si l'on songe que l'expropriation n'a pas d'autre but que d'écarter les entraves que la résistance d'un propriétaire pourrait apporter à l'esecution de travaux d'utilité publique. « C'est dans la deuxième partie du considérant Lois et Décisions diverses. que se trouve le germe de la contradiction signalée par les deux honorables jurisconsultes. Or, cette deuxième partie est-elle, en droit, aussi irréprochable que la première? Est-il vrai que le règlement de l'indemnité due à un locataire ne peut avoir lieu devant le jury qu'accessoirement à celui des indemnites afférentes au propriétaire? Existe-t-il entre le droit du propriétaire et celui du locataire un lien assez étroit, pour que l'un ne puisse être apprécié sans l'autre, et que le prétoire du jury soit fatalement fermé au locataire, quand il n'est pas besoin de l'ouvrir au propriétaire? Dans la plupart des cas, le règlement des deux indemnités est fait par le même jury et par un même verdict. On peut même admettre que la demande du locataire est incidente à l'égard de la demande du propriétaire, puisque c'est à celui-ci que la loi impose l'obligation d'appeler et de faire connaître à l'expropriant les locataires de l'immeuble exproprié, sous peine de rester chargé envers eux des indemnités qui pourraient leur être dues.-La raison de cette prescription légale, c'est que le propriétaire connaît mieux que l'administration les droits dont sa propriété est grevée. Aussi, n'est-ce pas seulement le locataire ou le fermier qu'il doit faire connaitre, mais encore ceux qui ont des droits d'usufruit, Mais, si le d'habitation, d'usage et de servitude. propriétaire de l'immeuble exproprié omel, par une raison quelconque, de les signaler à l'administration, est-ce qu'ils en seront réduits à se contenter de l'action que la loi leur donne contre un propriétaire qui peut être insolvable? Nullement; la Cour de cassation a jugé que « tous les intéressés peuvent inter<< venir devant le jury, à l'effet d'y faire valoir leurs « droits (arrêt du 16 août 1852, S-V. 53.1.16). C'est un point de jurisprudence civile bien établi aujourd'hui. L'intervention suppose une instance pendante, dit-on, et, aux termes des art. 13 et 14 de la loi du 3 mai 1841, le jury n'est convoqué que lorsque l'administration n'a pu s'entendre avec le propriétaire; mais si l'accord existe, il n'y a pas lieu de convoquer le jury, et, dès lors, point d'instance, dans laquelle le locataire soit appelé ou puisse intervenir. La loi, dans les art. 13 et 14, s'occupe, en effet, tout d'abord de l'immeuble, qui est l'objet principal et quelquefois unique de l'expropriation; mais, comme le fait observer avec raison M. Dufour, ses dispositions à cet égard « ne sont pas limitatives, cor, il faut, sans conteste, ajouter aux pro«.priétaires, les usufruitiers, les usagers et tous ceux « qui ont des droits de servitude sur les terrains • et bâtiments à acquérir. » porte cet arrêt, que l'ordonnance susvisée du 16 « juill. 1845 a déclaré d'utilité publique pour l'exécution de travaux de fortifications, l'acquisition des « terrains appartenant aux sieurs Poulet et consorts, a et sur lesquels existait une servitude de passage << au profit de la propriété de la dame Nouvellet; « que si, par un acte de cession amiable postérieur « à cette ordonnance, l'administration de la guerre « a pu acheter lesdits terrains sans être obligée « d'accomplir, à l'égard des propriétaires, les for«malités de la loi du 3 mai 1841, relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique, cette cir<< constance ne pouvait la dispenser de remplir lesdites « formalités à l'égard des parties auxquelles appar« tenaient, sur l'immeuble vendu, quelques-uns des << droits prévus par les art. 21 et 39 de la loi préci « tée, et qui ne consentaient pas à l'abandon vo«lontaire de ces droits ;-Considérant qu'aux ter«mes de l'art. 41er de la même loi, l'expropriation « pour cause d'utilité publique s'opère par autorité a de justice; qu'ainsi, c'est avec raison que le conseil « de préfecture du Rhône s'est déclaré incompétent « pour régler l'indemnité due à la dame veuve Nouvellet. (Rec. gen. des lois et arrêts Devill. et Car., tom. 50, 2o part., pag. 302.) « Cette décision, que n'a point arrêtée l'objection tirée des art. 13 et 14 de la loi du 3 mai, est rendue à l'occasion d'une servitude; mais l'art. 24 visé par l'arrêt met le bail, quant au règlement de l'indemnité, sur la même ligne qu'un droit de servitude, et l'art. 39, également visé, prescrit au jury de prononcer des indemnités distinctes pour les propriétaires, locataires, usufruitiers et autres intéresses. « N'est-il pas évident que si l'indemnité doit être distincte, c'est que le droit de bail, au lieu de s'unir à la propriété, comme l'accessoire au principal, en demeure distinct, et cela par la raison que ces deux titres sont indépendants l'un de l'autre ? d'où il faut conclure que le titre bail n'est pas plus que le titre servitude dans la dépendance du titre propriété, ou l'accessoire de ce titre. « A la vérité, ia servitude elle-même a été quelquefois considérée comme un accessoire de l'immeuble et on a décidé que l'expropriation ne pouvait porter sur un simple accessoire immobilier. Une commune (Notre-Dame-des-Conuers, Isère) avait demandé une déclaration d'utilité publique qui lui permit d'acquérir, malgré le refus du propriétaire, une servitude consistant à placer sous le sol d'un champ des tuyaux de conduite pour les eaux d'une fontaine ; elle prétendait, qu'ayant la faculté de demander l'expropriation complète d'une bande de terrain sur tout le parcours des tuyaux, elle pouvait, a fortiori, se borner à demander la servitude du « La théorie de l'arrêt du 14 sept. 1852 serait trefonds de cette bande, et elle invoquait l'art. 24 donc applicable nou-seulement au droit dérivant de la loi du 3 mai 1841.-Le conseil d'Etat n'acd'un bail, mais encore à tous les droits qui grèvent cueillit pas cette prétention; il décida que la comun immeuble; or, supposons qu'un fonds assujettimane devait demander l'expropriation de la bande à une servitude ait été acquis à l'amiable et que la de terrain. servitude fasse obstacle à la destination d'utilité pu blique; comment procédera-t-on à l'égard du propriétaire du fonds dominant? Prétendra-t-on, parce que l'indemnité pour servitude se règle le plus souvent incidemment ou latéralement à celle afferente à la propriété, que si le propriétaire désintéressé n'a rien connaître à demander au jury, le jury n'aura pas de l'indemnité relative à la servitude? « Cette prétention a, en effet, été soutenue, mais elle a été condamnée par un arrêt du conseil d'Etat qui porte la date du 19 janv. 1850:- Considérant, « Voici la décision rendue, le 28 août 1844, en assemblée générale des comités du conseil d'Etat : « Considérant que le droit de recourir à l'expropriation pour l'exécution de travaux entrepris dans « un intérêt communal, établi par la loi du 3 mai 1841, doit s'entendre de l'acquisition de la pleine « propriété après une indemnité préalable;-Que la loi de 1841 doit être, dans l'application, restreinte « aux cas spéciaux expressément prévus par le légis«lateur, et qu'on ne pourrait l'étendre, sans aggra « ver d'une manière fàcheuse pour la propriété les Mais on voit qu'il n'y a aucune analogie entre cette espèce et celle que nous examinons.-Ce que cet avis décide, c'est que l'expropriation doit porter sur la pleine propriété et non sur un simple démembrement de ce droit: « le domaine plein et | « absolu, tel que l'exige l'utilité publique, doit être « acquis par l'Etat », avait dit un autre arrêt du conseil d'Etat du 17 mai 1844 (Rec. des arr. du cons., p. 278).-Dans un cas, la commune voulait acquérir une servitude pour en grever un immeuble. Dans l'autre cas, il s'agissait de supprimer une ser- | vitude qui grevait un immeuble appartenant à l'ex- | propriant. Maintenant, qu'au lieu d'une servitude, il s'agisse d'un bail, et la solution devra être la même : le bail ne pourra pas être exproprié isolément, si la propriété n'est pas elle-même affectée à une desti- | nation d'utilité publique, ni comme chose mobilière, puisque la loi du 3 mai ne s'applique qu'aux immeubles, ni comme droit réel, parce que l'expropriation doit avoir pour objet la pleine propriété. « Mais quand l'immeuble affecté à une destination d'utilité publique appartient déjà à l'expropriant, induire de cette doctrine que le règlement de l'indemnité due au locataire, à l'usufruitier, etc., ne peut être fait qu'accessoirement au règlement de l'indemnité afférente au propriétaire, c'est en forcer les conséquences. On ne peut pas dire que, dans ce cas, il y a démembrement de la propriété, puisque la pleine propriété se trouvera dans les mains de l'expropriant. | | fait, en vendant son immeuble, qu'user de son droit; que la somme qu'il a reçue est le prix de sa chose: que l'expropriant est substitué à son lieu et place pour tous ses droits actifs et passifs, etc. «Si le locataire proteste contre l'éviction en s'ar mant de son bail, quel sera le juge de sa réclametion? «S'il s'agit d'un droit de servitude, quel sera le juge de la suppression de ce droit et de l'indemnité ? « Invoquera-t-on la loi du 28 pluv. an 8, pour déférer à l'autorité administrative la résiliation du bail et la suppression de la servitude? Mais il est élémentaire que les conseils de préfecture n'ont, en pareille matière, aucune juridiction. Citer la loi du 16 sept. 1807, ce serait oublier que les dispositions de cette loi touchant l'expropriation (et celles-là seulement) ont disparu de la législation, sous le juste anathème dont elles ont été frappées par l'auteur de la célèbre note de Schenbrunn, du 29 sept. 1809, et qu'aujourd'hui la loi unique d'expropriation est la loi du 3 mai 1841, dans laquelle ont été fondues les dispositions des lois précédentes (1). « Que si, donc, l'administration veut avoir raison d'une résistance fondée sur un droit, mais resistance qui doit céder devant un acte du souverain déclarant l'utilité publique, c'est à la loi du 3 mai 1841 qu'elle doit nécessairement recourir, et la doctrine, non de l'arrêt du 14 sept. 1852, qui, nous l'avons déjà di”, est parfaitement juridique, mais du considérant sărérogatoire qui le termine, lui refuserait ce recours dans un grand nombre de cas! Tout se lie et se coordonne, au contraire, dans le système de la jurisprudence du conseil d'Elat établie par l'avis du 24 janv. 1849 et les arrêts des 18 août 1849 et 19 janv. 1850. De la proposition générale que la loi du 3 mai 1841 dispose exclusiExaminons maintenant les conséquences de la vement en vue de la propriété immobilière, il résulte, doctrine de l'arrêt du 14 sept. 1852. Si, au lieu de 1o que la propriété mobilière ne saurait être l'objet le renfermer dans son espèce, on lui donnait toute sa d'une expropriation pour cause d'utilité publique; portée apparente, cette doctrine n'aurait pas seu- 2° que l'expropriant doit faire l'acquisition de la lement le tort de méconnaître des droits que la loi pleine propriété; 3° que les droits grevant un imde 1841 couvre d'une même protection; elle tour-meuble, dont la cession est reconnue nécessaire, sont nerait contre l'administration elle-même. soumis comme l'immeuble même aux dispositions de • Que si, en effet, le règlement des indemnités la loi du 3 mai pour le règlement des indemnités; el dues aux locataires (et, encore une fois, ceux d'u-il n'y a pas lieu de distinguer si l'Etat est devenu sufruit et de servitude sont compris comme ceux de location dans les art. 24 et 39) ne peut avoir lieu devant le jury d'expropriation qu'accessoirement à celui des indemnités afférentes aux propriétaires expropriés, quelle sera la situation de l'expropriant, devenu propriétaire, en vertu d'une cession amiable, d'une maison louée ou d'un terrain grevé de servi tude? Il sera réduit à l'impuissance de les employer à l'exécution du projet d'utilité publique! Dira-t-il au locataire de s'adresser, pour se faire indemniser, à son ancien propriétaire, vendeur de l'immeuble? Mais le vendeur répondrait qu'il n'a propriétaire avant ou après le décret déclaratif de l'utilité publique, parce que l'affectation que l'immeuble en reçoit, dans quelques mains qu'il soit placé, enveloppe tous les droits auxquels il est assu jetti, droits de location, d'usufruit, de servitude, et les convertit en un droit à une indemnité qui doit être réglée par le jury d'expropriation. » X. (1) Le décret-loi du 26 mars 1852 crée un cas nouveau d'expropriation en dehors de la question qui nous occupe. FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE. DU VOLUME PUBLIÉ EN 1858 1° TABLE Indicative des Articles des Codes sur lesquels il y a Arrêt ou Décision. 2° TABLE Chronologique des Arrêts, Jugements et Décisions du Conseil d'Etat. 3° TABLE Alphabétique des Noms des Parties entre lesquelles il y a Décision. 4° TABLE Alphabétique des Matières sur lesquelles il y a Arrêt ou NOTA. Décision. - Pour les Lois, Décrets, ArrêtÉS, ETC., de 1858, voir la 3a partie de ce Recueil (LOIS ANNOTÉES) et la Table annale qui la termine. |