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GAZETTE NATIONALE OU LE MONITEUR UNIVERSEL.

No 337.

Samedi 3 Décembre 1791.

BULLETIN

DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE Législative.

PREMIÈRE LÉGISLATURE.
Présidence de M. Lacepède.

SUITE DE LA SÉANCE DU JEUDI 1er DÉCEmbre.

L'agitation recommence. Plusieurs membres demandent à parler contre le décret qui vient d'être rendu.

M. LE PRÉSIDENT: Il s'élève des doutes sur le décret que vous venez de rendre. Pour éviter toute espèce d'équivoque, je vais remettre aux voix la question de savoir si M. Becquet sera entendu.

Plusieurs voix : Non, non. L'ordre du jour.

M. le président recommence l'épreuve, et l'Assemblée décide que M. Becquet ne sera pas entendu. (Les applaudissements des tribunes recommencent.)

M. VERGNIAUD. Toutes les fois qu'on ôte la parole à un opinant, on doit au moins lui demander sa conclusion. (On murmure.) La discussion qui vient d'avoir lieu, n'a d'autre cause que l'insuftisance de la loi sur la formation de la haute cour nationale, insuffisance qui laisse une entière incertitude sur l'état de l'accusé, entre le moment de sa détention et celui de la réunion de ses juges; je demande que pour prévenir désormais toute espèce de discussion sur cette matière, le comité de législation soit chargé de vous présenter incessamment un projet de loi qui complète celle qui existe déjà et qui est insuffisante.

L'Assemblée décrète cette proposition.

M. LE PRÉSIDENT : Avant de passer à l'ordre du jour, qui est le rapport du comité colonial, je demande si l'Assemblée veut entendre à l'instant les députés de Saint-Malo qui viennent vous parler sur le même objet.

L'Assemblée décide que les députés de Saint-Malo seront introduits sur-le-champ à la barre.

M. ***: Vous avez décrété que le directeur de l'imprimerie royale ferait parvenir à M. Baudouin le nombre d'exemplaires in-quarto des lois, décrets et réglements qui y ont été imprimés, nécessaires pour être distribués aux différents membres de l'Assemblée nationale. Quelques doutes se sont élevés à cet égard on a dit que cela devait s'entendre de tout ce qui a été imprimé à l'imprimerie royale pendant l'Assemblée constituante; cependant je ne crois pas qu'il soit dans votre intention d'occasionner a la nation une dépense de trente-cinq mille sept cents soixante livres, pour faire un présent aux membres de l'Assemblée; ce serait donner aux législatures suivantes un exemple dangereux. Je propose donc à l'Assemblée de décréter que la livraison à faire à M. Baudouin, par le directeur de l'imprimerie royale, n'aura lieu que pour ce qui a été imprimé depuis le 1er octobre dernier, et pour tout ce qui sera imprimé pendant la législature actuelle.

Cette proposition est décrétée.

On introduit les députés de Saint-Malo.

L'ORATEUR DE LA DÉPUTATION: MM. les commissaires de l'Assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue vous ont présenté hier le tableau des malheurs épouvantables qui ont désolé cette partie de l'empire français. La cause de l'incendie 2 Série, Tome I.

3o année de la Liberté.

est toujours existante, la France connaît ceux qui ont emprunté le langage affectueux de l'humanité, pour détruire sur la surface de la terre les bases de tout gouvernement. Le nord de Saint-Domingue a été teint du sang des blancs et des noirs. Si les amis de ces derniers avaient pu faire réussir leurs vœux et leurs projets, nous aurions vu se renouveler les scènes sanglantes des antropophages. L'Assemblée constituante avait mis les Colonies et leurs propriétés sous la sauvegarde de la nation; ce bouclier ne les a pas garanties; aujourd'hui leurs commissaires viennent vous demander des consolations et des secours. Les citoyens de Saint-Malo n'ont point été séduits par les illusions d'une fausse philantrophie ni par les abstractions d'une philosophie mensongère : ils ont vu dans les habitants des Colonies des hommes doués d'un grand courage et d'une grande industrie; ils ont vu que les officiers qui y commandent ont été guidés par la justice et l'intérêt bien entendu des Colonies. Six millions de Français n'existent que par les Colonies; si elles périssent, comme le vœu en a été formé dans l'Assemblée nationale, (On interrompt.)

....

M. LECOINTRE-PUYRAVAUX : C'est une inculpation, c'est une calomnie contre l'Assemblée. Les représentants de la nation se manqueraient à eux-mêmes, ils manqueraient à leurs commettants s'ils entendaient plus long-temps les pétitionnaires.

M. LACROIX: Je demande que M. le président rappelle les pétitionnaires au respect qu'ils doivent à l'Assemblée, et qu'ils continuent leurs pétitions.

Après quelques moments d'agitation, l'Assemblée ferme la discussion, et M. le président rappelle les pétitionnaires au respect dû à l'Assemblée.

LES PÉTITIONNAIRES : C'en est fait de la France, l'affreuse banqueroute se montre avec toutes ses horreurs. (On murmure.) Le premier besoin de SaintDomingue est la paix, il faut y établir une force suffisante pour ramener et maintenir la tranquillité. Si la patrie ne vient pas à son secours, sa ruine absolue est inévitable. Votre sagesse indiquera les moyens de la parer; nous ne demandons qu'à seconder les mesures que vous prendrez.

M. LE PRÉSIDENT: L'Assemblée a entendu avec le plus douloureux intérêt le récit des malheurs qui ont désolé les Colonies. Quelle que soit la distance qui les sépare de nous, l'Assemblée n'en aura pas moinsde zèle et de courage pour les secourir, et des regards perçants pour découvrir la source de leurs maux.

L'Assemblée vous invite à assister à la séance. (On applaudit.)

M. ***: Vous avez entendu et les pétitions et les pétitionnaires, et les commissaires des Colonies; il est très-instant, il est du devoir de l'Assemblée de presser la décision de leur sort. Il nous importe de prouver à la France que notre intention n'est pas de les abandonner. Je sais qu'il y a un foyer dans cette ville; c'est de ce foyer que partent les calomnies.

M. LACROIX: Je demande que l'Assemblée s'occupe, toute affaire cessante, de celle de la Colonie.

M. VERGNIAUD: Il est impossible que le Comité colonial nous fasse aujourd'hui son rapport. Les commissaires de Saint-Domingue vous ont lu hier une très-longue pétition que vous avez renvoyée à votre comité, c'est un surcroit de travail qui doit nécessairement retarder son rapport. Il a encore été

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obligé d'employer beaucoup de temps à faire le dépouillement des papiers qui lui ont été laissés par l'ancien comité colonial; il lui vient des renseignements de toutes parts. Je vous demande moi-même la permission de lire une pétition individuelle qui a rapport aux Colonies.

M. Vergniaud lit une pétition de plusieurs passagers qui, arrivant dans la rade du Cap-Français, dans l'intention d'exercer leurs talents et leur industrie, ont été arrêtés sans égard pour leurs passeports, et détenus dans un hôpital très-mal sain, après avoir été quarante-huit heures sans nourriture, après un voyage pénible et une longue traversée. Ils se félicitent d'être renvoyés bientôt dans leurs foyers, et d'y respirer l'air pur de la liberté.

M. BRISSOT J'ai pris l'engagement solennel de dénoncer, au premier décembre, les auteurs des troubles des Colonies. Je suis prêt à parler : je demande si l'Assemblée vent m'entendre. ( On applaudit.)

L'Assemblée décide à l'unanimité que M. Brissot sera entendu.

M. LE PRÉSIDENT: On fait la proposition d'ajourner à dix jours le rapport du comité colonial.

M. : J'ai l'honneur de vous assurer que ce rapport est un ouvrage long, difficile, pénible, et qui a besoin d'être mûri avec sagesse dans le comité. Je demande que vous l'autorisiez à se procurer auprès du ministre de la marine, tous les avis officiels que ce dernier a pu recevoir relativement aux troubles des Colonies.

M. GARRAN-COULON: Je ne m'oppose pas à un délai quelconque, mais je demande qu'il soit trèscourt. Le rapport a été fixé à aujourd'hui. Les renseignements que vous avez renvoyés à votre comité n'ont pas dû beaucoup déranger son travail: cinq jours peuvent suffire pour le mettre en état de vous le présenter. D'ailleurs, l'Assemblée constituante ayant rendu un décret qui abroge celui du 15 mai, et les colons du Port-au-Prince ayant fait avec les hommes de couleur un concordat sur les bases de ce dernier, si les Colonies veulent exécuter le décret qui abroge celui du 15 mai, le feu va se rallumer dans les Colonies. Il est donc instant, pour prévenir de nouveaux désordres, d'y envoyer promptement le décret que votre sagesse vous suggèrera.

M. VERGNIAUD: Je dis que si vous n'accordez que cinq jours au comité pour faire son rapport, il viendra au bout de ce terine vous demander encore cinq jours, peut-être même davantage; je crois que vous devez décider qu'il vous présentera son rapport du dix au quinze.

M. GRANGENEUVE: Je demande que la discussion soit fermée.

L'Assemblée ferme la discussion, et décrète que le comité présentera son rapport le 10 décembre.

M. BRISSOT : Un événement affreux vient de jeter SaintDomingue dans la consternation; la révolte des noirs la plus considérable qu'on ait encore vue, s'est formée toutà-coup. De lentes précautions ont laissé à un camp le temps de s'établir, aux révoltés le temps d'accroître leur nombre; enfin, quand le danger a été imminent, Saint-Domingue a invoqué le secours des puissances étrangères, et, après quelques combats, qui seraient à peine des escarmouches en Europe, les coupables ont demandé grâce, et le calme s'est rétabli. Mais un grand nombre de sucreries et de caféteries avaient été dévastées, cinq à six mille nègres tués ou pendus, cinq à six cents blancs massacrés : résultat affligeant, malheur désastreux, dont le contre-coup se fera sentir dans la balance du commerce et dans les fortunes particulières. Je veux chercher la source de ces maux, je veux en découvrir la cause, en signaler les au

teurs.

Après trois ans de décrets faits et défaits, et de rapports contradictoires, on ignorait encore l'état de nos iles; c'est que le secret était entre les mains de ceux qui tenaient le fil de toutes les conjurations. Enfin la vérité va paraître : je dirai, avec Juvénal, qu'ils pàlissent, ceux dont l'âme est glacée par le souvenir de leurs crimes! cui frigida mens est criminibus; mais on ne verra point ici les teintes de la partialité. Le législateur ne doit point épouser, et il n'épousera pas les querelles de l'individu. Le législateur peut être, comme la Divinité, injurié dans son sanctuaire; mais, comme elle, il doit dédaigner l'injure, et s'en venger en continuant à faire le bien.

Il faut enfin déchirer le voile; ce n'est pas une révolte de noirs seulement, mais c'est encore une révolte de blancs qu'il faut punir, de blancs qui voulaient, en se rendant indépendants, s'affranchir tout à la fois, et des lois de l'égalité si contraires à leur orgueil, et de dettes qui gênaient leur goût pour les dissipations; voilà ce qu'il s'agit de prouver.

La population de Saint-Domingue est composée de quatre classes d'individus, des colons blancs, des petits blancs, des gens de couleur et des esclaves. Les colons blancs sont de deux espèces; ceux qui n'ont pas de dettes, parce qu'ils ont mis de l'ordre dans leurs affaires, sont attachés à la France, et aiment les gens de couleur, qu'ils regardent comme le boulevard de la Colonie. Les colons dissipateurs, qui ont une existence fastueuse et insolvable, n'aiment ni les lois de la France ni les gens de couleur. Ils n'aiment pas les lois de la France, parce que le régime de la liberté ne connaît ni lettres de repit, ni arrêts de surséance. Ils n'aiment pas les gens de couleur, parce que ceux-ci, sans dettes, réguliers dans leurs affaires, feront exécuter les lois. Ainsi, les ennemis des gens de couleur seraient les ennemis de notre constitution, quand bien même l'égalité n'en serait pas la base; quand même, en renversant tous les despotismes, elle aurait conservé le despotisme de la peau blanche. Cette espèce de colons blancs, pour perpétuer chaque tyrannie, et se débarrasser de ses dettes, dirigeait donc les Colonies vers l'aristocratie indépendante. Voulez-vous que je vous les fasse connaître d'un seul trait; voici le mot de l'un d'entre eux au roi : Sire, votre cour est toute créole; il avait raison, il y avait entre eux et les courtisans parenté de vices, d'aristocratie et de despotisme. (On applaudit.) Cette classe de colons a une trèsgrande influence sur les petits blancs qui sont la lie de l'Europe, qui n'ont d'espoir que dans le pillage des propriétés des gens de couleur. Les gens de couleur, dont les réclamations inspirent tant d'intérêt, sont des hommes immédiatement nés de blancs et d'Africaines. Ils forment le tiers-état des Colonies. Cette classe utile et laborieuse est composée de propriétaires et d'hommes industrieux, amis de l'ordre et des lois, voulant vivre sous leur empire, parce que l'empire des lois ne se fait pas sentir à des hommes qui ne sont mus que par des inclinations pures. La dernière classe est celle des esclaves. Je ne vous peindrai pas le double supplice de l'esclavage et de la barbarie. Le nègre avait entendu le mot enchanteur de liberté, et il s'était ému: car le cœur d'un noir bat aussi pour la liberté. (On applaudit.) Eh bien! l'esclave était resté paisiblement dans les fers, et il n'aurait pas cherché à les rompre sans l'instigation d'hommes affreux que vous apprendrez à connaître.

Les propriétaires et les gens riches qui désiraient un bon gouvernement colonial, ont aimé la révolution. Les gens de couleur, que le dogme sacré de l'égalité enflammait d'un juste espoir, ont aimé la révolution. Les colons dissipateurs ont au contraire abhorré la révolution. Comme ces hommes que nous avons vus valets de la cour, valets du peuple, ils ont pris, quitté, repris, les signes du despotisme et les couleurs nationales. A la nouvelle de la révolution, l'administration de Saint-Domingue persécuta les gens de couleur, et mécontenta les militaires. A la Mar tinique, on se conduisit avec plus d'adresse. Toutes les classes furent en même temps excitées les unes contre les autres, et la contre-révolution s'opéra à l'aide de mulâtres séduits et égarés. A Saint-Domingue, les blancs l'ont diri gée. A la Martinique, ils en ont été les instruments. Partout une populace effrénée était à la solde des colons dissipa teurs seulement, car les honnêtes gens n'achètent personne

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Hs payèrent à Saint-Domingue leur troupe, prétendue patriotique, 8 liv. 5 sous, argent des Colonies. On conçoit comment ce parti est parvenu, malgré sa minorité, à dominer les villes qui maitrisaient les campagnes. Ils maîtrisaient les villes par le moyen des baïonnettes qu'ils avaient à leur solde. Tel est le parti auquel nous devons attribuer les malheurs des Colonies. Les contre-révolutionnaires de France faisaient cause commune avec lui. Les uns voulaient arracher les Colonies à la France, les autres les enlever à la révolution; chacun poussait à la révolte, parce que le désordre était le but de l'un et de l'autre.

Le dernier projet était celui de l'indépendance. On voulait se séparer de la métropole; on devait être favorisé par la révolte des nègres. C'était la tyrannie indépendante que recherchaient les factieux, parce que la tyrannie fait leur joie, et que l'indépendance pouvait solder leurs dettes. Je vais établir ces propositions par des faits.

Saint-Domingue jamais conquis, jamais acquis, jadis indépendant..... Saint-Domingue souverain, improprement appelé Colonic, et qui est un véritable royaume.....

Telles sont les expressions qu'on trouve dans toutes les pièces publiées par cette députation illégale qui se présenta aux états-généraux, et qui, plus illégalement encore, dirigea les opérations de l'Assemblée nationale à l'égard des Colonies. Suivez leur conduite à cette époque. Dans la lettre du 12 août 1789, qui a commencé tous les troubles, l'un d'eux écrivait: On est ivre ici de liberté; il faut attacher les hommes de couleur: attacher, il voulait dire enchaîner. Du sein de Paris, ces députés dictaient des arrêts de mort fidèlement exécutés par les comités formés aux Colenies. Ils conseillaient de ne permettre à aucun homme de couleur de s'embarquer pour la France, d'ouvrir et d'intercepter leur correspondance. C'est toujours dans leur même esprit d'indépendance que, craignant la puissance du ministère, ils s'opposaient à ce qu'on envoyat des troupes dans les Colonies; ils engageaient les colons à en empêcher le débarquement s'il en arrivait. C'est dans le même système que, pour empêcher le ministère de s'attacher les gens de couleur, ils conseillaient de leur accorder l'état de citoyen pour leurs propriétés. Quelque bien qu'il y ait à faire, il faut, disaient-ils, qu'il se fasse par nous. Si l'on doutait de ce but secret d'indépendance, il suffirait de rappeler leurs démarches. Ils conseillent aux comités et aux assemblées coloniales de changer à leur gré la constitution qui leur serait donnée. Faites, écrivaient-ils encore, que les assemblées coloniales l'emportent en influence sur le pouvoir exécutif. Enfin ils suivaient, avec une adresse perfide, un système de terreurs dont ils frappaient l'Assemblée nationale, et qui enfantaient des troubles en les prophétisant. Vous rappellerai-je le fameux décret de l'assemblée de Saint-Marc, du 28 mars 1790 ? Vous rappellerai-je les combats de ces deux assemblées qui, rivales en conjuration contre la métropole, n'ont pas eu le même sort? L'une a été punie et abandonnée, l'autre a été louée et récompensée, parce qu'on voulait un parti, et qu'on avait la maladie des statues. (On applandit.)

Partout les colons menaçaient d'une scission, disaient hautement qu'ils ne voulaient communiquer qu'avec le roi, qu'ils ne recevraient de l'Assemblée nationale que des lois commerciales qui ne pourraient encore être mises en vigueur, qu'après avoir été communiquées aux Colonies. Ainsi la France aurait employé des millions pour protéger des colons avides et dissipateurs, des maîtres insolents et barbares, qui se jouaient de l'humanité en déchirant des esclaves. Bientôt ils se seraient emparés des relations commerciales même; ils les auraient transportées où ils auraient voulu, et cependant ils auraient privé des secours du commerce et de l'industrie ces six millions de Français qu'ils semblent vouloir associer à leur sort. Non, jamais le sort de la France libre, ne dépendra des Colonies : il dépendra d'elle, et d'elle seule.

La même conduite était suivie à la Martinique, et MM. Moreau de Saint-Méry et Dillon, élus par acclamation, c'est-à-dire illégalement, par une assemblée illégale, ne disaient pas à l'Assemblée nationale que la Colonie ne voulait mulle autre communication avec le roi que pour se ménager la ressource du veto, suivant les expressions de M. Dubuch, président de l'assemblée coloniale. Voyez

l'arrêté de cette assemblée qui ouvre tous ses ports aux étrangers. Voyez ces colons qui voulaient mettre la ville de Saint-Pierre en cendres pour ensevelir sous ses débris tous les titres de la métropole. On ne peut se dissimuler ce concert qui, en dernière analyse, tendait à l'affranchissement et à l'indépendance.

Le décret du 12 octobre 4790 avait trouvé les Colonies prêtes à s'enflammer. Une force publique existait, elle embarrassait les factieux. On attendait de nouveaux soldats qu'on espérait égarer plus aisément. Le patriotisme n'était nulle part, ni dans l'assemblée de Saint-Marc, ni dans le cœur des Mauduit et des Peynier, ni parmi les membres du comité de l'Ouest. Les agitateurs indépendants en prirent un instant le masque; les bataillons de Normandie et d'Artois furent égarés; Mauduit perdit la tête, l'assemblée de Saint-Marc reprit une grande influence, et le système d'indépendance augmenta ses espérances et ses moyens. Dans le décret du 12 octobre, on sacrifiait l'assemblée de Saint-Marc à de petites vengeances, et les gens de couleur à l'assemblée de Saint-Marc.

Le comité colonial croyait, par un préambule ambigu, satisfaire les deux partis, il n'en satisfit aucun. Enfin, le décret du 15 mai 1791, donna les droits de citoyens actifs aux gens de couleur. Dans leur ressentiment frénétique, les colons appelèrent l'Angleterre et ses vaisseaux contre nos îles les uns furent à Londres, les autres partirent pour les Colonies, et ils laissèrent échapper dans nos ports un emportement qui décélait leurs projets. Les députés à l'Assemblée nationale s'abstinrent de ses séances, et la lettre qu'ils signèrent alors, n'était-elle pas un acte de scission? Le comité colonial déclara lui-même qu'il suspendait ses fonctions, mais il conserva sa dangereuse influence sur le ministère, pour le paralyser. Le ministre et la faction qui le gouvernait, crurent avoir assez fait en envoyant dans les iles le Postillon par Calais, tandis qu'on faisait partir d'énormes cargaisons de libelles qui commandaient la scission.

Un mulâtre généreux avait quelque temps habité en France, où les colons avaient surveillé toutes ses actions. Dénoncé par eux au comité du Cap, il part dans le moment où l'arrêt de sa mort était prononcé; il part pour aller éclairer ses frères, dont il apprend tous les malheurs en débarquant dans la partie espagnole de Saint-Domingue. Là, il s'unit à un petit nombre d'entre eux : il écrit au gé néral qu'il respectera la paix, si l'on exécute la loi. Cette lettre paraît une déclaration de guerre; il est poursuivi, vaincu réfugié chez les Espagnols, les Espagnols le livrent à ses bourreaux. Une sentence odieuse déclare Ogé et ses complices coupables de vols, d'assassinats et d'incendies il faut bien prêter des crimes à celui qu'on veut assassiner avec le glaive de la justice. Ogé est mort, martyr de la liberté et de la loi; car tout était pour lui, hu manité, justice, décret. Le concordat l'a vengé, l'infamie ne flétrit plus son nom; qu'elle flétrisse à jamais celui de ses tyrans! (On applaudit. )

Tous les mulâtres devaient éprouver les sentiments de la plus vive horreur, leur fureur devait être prévue : elle le fut; on les maltraita, on les désarma, on les rendit odieux et vils aux yeux mêmes de leurs esclaves. Le décret du 15 mai arriva le 2 juillet, inséré dans le Moniteur universel; il consterna les blancs, et les mulâtres ne se livrerent pas sans crainte à la joie que devait leur inspirer une justice tardive, dont ils savaient bien qu'on allait leur faire un crime. Les blancs firent retentir Saint-Domingue de leurs cris, de leurs menaces, de leurs blasphemes contre la constitution: la motion fut faite dans les rues de fusiller les hommes de couleur, qui se sauvèrent de la ville et se réfugièrent dans les campagnes, dans les habitations de leurs amis et dans les bois. Enfin, une proclamation les rappela; mais on leur imposa la loi de jurer respect et soumission aux blancs. Ils revinrent pour être témoins de violences nouvelles on faisait alors hautement la motion de pendre les capitaines des vaisseaux français; on arrêtait de demander des secours à l'Angleterre; on arborait la cocarde noire; on faisait des dispositions pour s'opposer aux troupes, aux gardes nationales, qu'on disait devoir arriver de France avec la mission d'assurer l'exécution du décret ; on espérait quinze vaisseaux de ligne anglais; cette chimère fut détruite, et le gouverneur de la Jamaïque rẻ

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