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que la place était forte et de grande importance pour la ville, et se plaignait fort des Auxerrois qui demandaient à être secourus, mais ne voulaient rien donner aux troupes. Sa lettre, malgré son style soldatesque, n'est pas sans intérêt pour l'histoire :

« Nous sommes ici, disait-il, en ung lieu de grande chierté, mesme " pour gens de chevaulx, et n'avons aultre chose de nos hostes que les chambres mal garnyes. Disant que ne leur avez escript qu'ils "nous dussent accommoder d'autres choses, et encore qu'ils ayent "foing et avenne de munition, ilz ne nous en ont jamais voulu ayder « pour argent, ou faire vers les villaiges qu'ils nous en eussent « fournis, comme aussi de bois pour argent, mais nous ont enchéri « vivres. En quoy vous supplie très humblement, monsieur, me « vouloir favoriser, aultrement ne seroit possible que les poures soldatz ne despendent beaucoup du leur avec la soulde. Aussi que « il vous plaira vous ferez tant de bien que nous ordonner faire "monstre, car je vous asseure bien que le capitaine et ses soldatz << sont bien dépourveuz de monnoie (1).

Etant si mal payée et encouragée au désordre par l'exemple de la population, cette troupe se mit à piller à son tour, par excès de zèle, dit Lebeuf, les maisons des huguenots, et même à les abattre pour en brûler les bois. Le château d'Avigneau fut ainsi dépouillé de tous ses meubles, quoique la dame du lieu l'habitât encore, et quand le capitaine qu'y avaient mis les les Auxerrois se retira, il crut ne devoir rien épargner de ce qu'on y avait laissé, et, afin que le seigneur huguenot ne pût y rester, il emporta jusqu'aux châssis et aux fenêtres (2).

(1) Mss. Delamarre, 9484,f° 46.
(2) Prise d'Auxerre, p. 97.

Ce qui se passa sur ces entrefaites à Entrains (1) ne contribua guère à rassurer les Auxerrois. Cette petite ville avait depuis longtemps déjà une église protestante. Au mois de juin de cette année 1562 elle fut occupée par un capitaine catholique appelé Chevenon, qui, par ses menaces, contraignit le plus grand nombre des huguenots d'en sortir. Il n'y restait guère que les vieillards, les femmes et les enfants, qui, pour conserver leur vie, retournèrent à la messe et parurent faire quelquefois profession de la religion catholique. Ces marques extérieures de conversion ne suffirent pourtant pas pour rassurer le parti opposé. Les sanglantes immolations de Sens, d'Auxerre et de tant d'autres villes, et les prédications furieuses qui exaltaient ces exemples de zèle, avaient partout répandu un esprit de vertige et de frénésie, et les catholiques d'Entrains complotèrent l'extermination de tous ceux dont la foi leur était suspecte. On ajoute qu'un prêtre, appelé Etienne Blondelet, était venu à Auxerre dans les premiers jours de décembre pour se concerter avec les chefs du parti et s'assurer sans doute, la coopération de la bande de Jacques Creux et Bougault. Mais, le 12 de ce mois, Entrains fut surpris par le capitaine protestant Louis Blosset, parti avec sa compagnie de la ville forte de la Charité (2). Il avait pris ses mesures pour arriver à la pointe du jour, et, lorsqu'il ne fut plus éloigné que d'une portée de mousquet, il envoya en avant son lieutenant et son trompette qui, enve

(1) Entrains, petite ville du canton de Donzy, département de la Nièvre, à 25 kil. de Clamecy.

(2) La Charité, chef-lieu de canton du département de la Nièvre, arrondissement de Cosne.

loppés de leurs manteaux, se glissèrent dans la ville à l'ouverture du guichet, et, suivis aussitôt de cinq autres soldats, arrachèrent les clefs au gardien. N'apercevant alors ni guet, ni corps-de-garde, ils donnèrent promptement le signal au reste de la troupe qui arriva en toute hâte. Les catholiques, épouvantés, ne firent aucune résistance. Quelques-uns se cachèrent comme ils purent. D'autres sautèrent par-dessus les murailles pour s'enfuir. D'autres, enfin, demandèrent miséricorde en révélant le complot d'extermination. Le prêtre Blondelet fut accusé d'avoir médité et préparé cet affreux coup de main. Les vainqueurs le condamnèrent à être pendu et arquebusé à une des portes de la ville, avec un sergent (de Thou dit un bedeau) qu'on appelait le dangereux. >> De Bèze dit que Blondelet avoua les faits qu'on lui reprochait et Lebeuf paraît croire à l'exactitude de cette assertion. Pour nous elle semble douteuse et nous ne pouvons voir, dans le meurtre de ces deux malheureux, qu'une horrible réponse aux massacres de Sens et d'Auxerre. Ainsi les vengeances sanglantes appelaient de sanguinaires représailles, qui devaient elles-mêmes susciter des vengeances nouvelles. Peu après un gentilhomme franc-comtois, appelé de Trouan, qui était venu guerroyer dans l'auxerrois pour le parti catholique, tenta de reprendre cette place, mais il fut repoussé avec perte de plusieurs de ses gens, et quelques jours plus tard, un des officiers de Blosset, appelé le capitaine de Blannay, le tua de sa main dans une rencontre. Blosset établit le capitaine Beaumont pour gouverneur d'Entrains, qui devint et resta jusqu'à la fin de cette guerre le quartier général des huguenots du centre de l'Auxerrois. Le culte catholique, qui y fut suspendu, n'était pas encore rétabli quatre ans après, quand Charles IX, venu dans ce pays,

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ordonna que la messe y fût de nouveau célébrée (1). La garnison, recrutée sans cesse de nouveaux combattants, faisait des courses qui la rendaient redoutable jusqu'à une très longue distance. Elle alla jusqu'à Bar-sur-Seine (2), reprendre cette ville sur les catholiques qui, pour venger les dévastations impies que les protestants avaient, commises dans l'église pendant une occupation de quelques jours, y avaient exercé des cruautés furieuses et dont quelques-unes seraient si horribles que, malgré le témoignage de l'histoire, on hésite à les croire. «Ils coupaient, dit l'historien << de Thou, les enfants en morceaux, leur ouvraient le ventre, en arrachaient le cœur et poussaient la, rage et la fureur << jusqu'à le manger. Le procureur du roi, appelé Ralet, « plus barbare et féroce que les bêtes, y avait fait pendre

son propre fils. Déchiré ensuite de remords et accablé de «chagrin, ce misérable cherchait à s'étourdir par les sup«plices et la mort qu'il faisait endurer aux autres. Les << soldats venus d'Entrains le pendirent à une solive de sa << maison et le tuèrent à coups d'arquebuse (3). »

A l'extrême sud-ouest du diocèse d'Auxerre, les réformés étaient depuis longtemps, comme nous l'avons déjà dit, en majorité dans la ville de Gien, qui, dès les premiers bruits de guerre, s'était déclarée pour le prince de Condé. Là fit ses premières armes un gentilhomme protestant d'Auxerre, Jehan de la Borde, seigneur de Serin, qui s'y était réfugié après le saccagement de cette ville et dont le nom reparaîtra

(4) Lebeuf, Prise d'Auxerre, p. 255.

(2) Bar-sur-Seine, ville chef-lieu d'arrondissement du départe. ment de l'Aube.

(3) De Thou, Hist. universelle, liv. XLII.

plus tard dans notre récit. Il avait levé dans les environs de Gien une compagnie avec laquelle il servit pendant toute cette campagne. Une troupe indisciplinée de soldats huguenots, qui fut envoyée ensuite dans cette place, s'y livra à de grands excès. Cette garnison fit sans résultat une tentative sur Cosne et se retira devant l'armée du roi, quand celle-ci, vers la fin de la campagne, eut pris Bourges. Les troupes royales, composées de régiments italiens, enivrées de leur victoire, se ruèrent sur le petit nombre d'habitants qui étaient demeurés à Gien, et on vit là se répéter des scènes de carnage indescriptibles, et si l'on en croit quelques relations, les mêmes actes de férocité frénétique qu'on avait vus à Barsur-Seine s'y reproduisirent. Et pourtant, cette fois, le grave de Thou ne les raconte que sous forme dubitative. « On << assure, dit-il, que les Italiens qui étaient au service du « roi, animés par la haine et la rage qu'ils avaient conçue <«< contre les protestants, ouvrirent le ventre d'un pauvre << enfant encore en vie et mangèrent son foie encore palpi<< tant. (1) »

A peu de distance de là, la Charité avait été aussi, dès l'origine, occupée par les huguenots, et le riche prieuré de cette ville avait été saccagé. Diverses tentatives pour la reprendre avaient échoué. Une petite armée commandée par le grand-prieur d'Auvergne et par le seigneur de la Fayette, << lieutenant et gouverneur du pays de Nivernais, » y réussit par une capitulation dont ils violèrent ensuite toutes les conditions, et les soldats s'y livrèrent à toutes sortes de cruautés. La place fut surprise plus tard, non sans de sanglantes représailles, même contre les prêtres du prieuré, dont six furent

(1) De Thou, liv. XLII.

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