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plein de détails précis, qu'il doit avoir été emprunté à la relation de quelque témoin oculaire. «< saisi cette dame, après lui avoir arraché bracelets, chaîne d'or et autres habits, la « menèrent à la rivière, jetant cris épouvantables, blessée de « plusieurs coups de dague aux reins et aux cuisses, la dé« pouillèrent, et de la levée d'un grand bateau la précipitè<< rent au fil de l'eau, auquel se débattant, parce qu'elle était jeune et forte, elle fut assommée par un batelier, de sorte que l'eau était rouge de son sang. Encore ne leur fut-ce pas assez, car son corps tout nud fut mis en spectacle de <ces bourreaux infâmes, prenant plaisir à choses si déshonnêtes, qu'elles ne se peuvent décrire. Et s'étant alors trouvé << un pauvre homme apportant un linceul pour la couvrir et << ensevelir, encore en fût-il empêché, et fut contraint de l'inhumer aux champs toute nue. » Puis vint le tour de deux prisonniers qui étaient détenus dans la prison de l'évêque. L'un était le juge de la seigneurie de Corbelain (1), et <«<l'autre, dit de Bèze, « un pauvre drapier drapant. » Tous deux avaient été arrêtés comme hérétiques. L'official eut la barbarie ou la lâcheté de les livrer à la fureur des émeutiers qui les mirent en pièces et firent subir à leurs restes les mêmes outrages. Ce fut une terreur universelle parmi tous ceux que la rumeur publique soupçonnait d'étre favorables à la réforme. Chacun d'eux s'empressa de fuir, désertant ses affaires et sa maison. Et leurs habitations furent, aussitôt après leur départ, pillées et saccagées par cette multitude en fureur. Ils n'étaient pas revenus à l'époque des vendanges et leurs récoltes furent la proie des pillards. Les catholiques,

(1) Corbelain, bourg du canton de Varzy, département de la Nièvre.

selon l'expression que Lebeuf a sans doute prise dans une relation du temps, vendangèrent pour eux. Puis les exaltés voulurent organiser, à l'exemple des pieds-nus de Sens, une colonne mobile pour aller dévaster au dehors les refuges des huguenots. L'avocat Bougault commandait cette bande, qui alla d'abord à la Chesnault, près de Charbuy (1), à trois lieues de la ville, piller la maison d'un gentilhomme de ce nom qu'ils ne trouvèrent pas chez lui. L'avocat du roi Etienne Sotiveau fut moins heureux. Ils le frappèrent de tant de coups qu'ils le laissèrent pour mort. Ces victimes furent bientôt vengées par leurs co-religionnaires, et Dieu permit, dit Lebeuf à qui nous empruntons tout ce récit, que la violence fût repoussée par la violence. Marraffin de Guerchy, seigneur d'Avigneau, qui avait le grade d'enseigne dans la compagnie de l'amiral de Coligny, se mit en route avec une vingtaine de cavaliers pour arrêter ces brigandages. Quand il approcha d'Auxerre, une populace de catholiques (2), se fiant à son nombre, sortit pour l'attaquer. Il y eut alors une véritable bataille aux portes de la ville, et les catholiques furent repoussés avec une perte de quatorze hommes tués et plusieurs autres blessés. Quelques jours après, le même officier escortait un gentilhomme qui venait d'Allemagne et était passé près de Saint-Bris (3), apportant au prince de Condé des dépêches de d'Andelot. Les guetteurs des villages voisins les aperçurent au moment

(1) Charbuy, bourg du département de l'Yonne, à 10 kil. d'Auxerre, La Chesnault, ancienne résidence seigneuriale dans la commune de Charbuy.

(2) Expression de Lebeuf, Prise d'Auxerre, p. 93.

(3) Saint-Bris, petite ville du département de l'Yonne, à 8 kii. d'Auxerre.

où ils traversaient l'Yonne au gué de Vaux (1) et sonnèrent le tocsin. A ce signal les paysans de ces villages, troupe nombreuse, mal armée et marchant sans aucun ordre, accoururent avec plus de courage que de discernement pour disputer le passage à l'ennemi. Mais seize d'entre eux restèrent sur la place, beaucoup d'autres furent blessés et le reste prit la fuite. Ainsi maîtres de la campagne, les huguenots interceptaient les communications, arrêtaient les approvisionnements et tenaient en grande anxiété les magistrats d'Auxerre, qui avaient affaire au dehors à un ennemi actif et entreprenant, et en dedans à une population turbulente et séditieuse. Le gouverneur Champlemy était sans soldats et sans argent pour en lever. Le comte de Tavannes avait autorisé l'établissement d'une taille, mais les habitants refusaient de la payer. Les murailles de la ville étaient en partie tombées et l'on craignait que l'ennemi ne vînt la surprendre. L'inquiétude des magistrats se peint dans une lettre qu'écrivait, le 20 octobre, le lieutenant-général du bailliage, Pierre Le Bryois, au comte de Tavannes (2):

Par la lettre que mes compagnons et moi vous escripvions du ⚫ jour d'hier vous verrez le piteux état auquel nous sommes constituez ⚫ en cette ville. Cela se continue et sommes en grande captivité. L'on " s'accorde à nous roigner vivres et à chasser et piller ceux qui nous ■ en amènent, mêmes des bleds dont vous sçavez que ce pays a grande faulte, d'aultre côté on pille aux villaiges les maisons des habitants de cette ville et eulx avec, quant on les trouve. La présente est " pour vous redoubler de ma part la supplication que tous ensemble

(1) Vaux-sur-Yonne, bourg du département de l'Yonne, à 6 kil. d'Auxerre.

(2) Bibl. imp., Mss. Delamarre, 9484, fos 44 et 45.

Sc. hist.

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☐ ment vous avons faite de nous secourir. S'il y a des-ordre d'un ⚫ costé, d'aultre costé celuy de la ville est bien petit; car aujour

dhuy le petit peuple ne veult obéyr à chose qu'on luy commande, "et ne fait ung chacun que ce qui luy plaist. De façon que la puis"sance de commander, soit par la justice ou aultre chose, est hors ❝ de nos mains. Vous ayez commandé de lever un emprunt de taille de III livres. La plus grande partie du peuple ne veult point payer. Disent les ungz que la taille se fait pour aultres causes que « celle contenue en vostre commission, et en parle chacun à sa vou«<lonté et d'estranges façons, ferment les buyz à ceux qui les veua lent exécuter, s'assemblent les ungs avec les aultres en petites ☐ troupes, tellement que les collecteurs ou sergents ne peuvent faire ■ exécution. M. de Champlemy, qui a été envoyé par Monseigneur "d'Aumalle, fait tout ce qui luy est possible; mais il n'y a point de « forces pour réprimer la voulonté des particuliers. Quant aux off❝ ciers ordinaires, vous savez quelle puissance ils peuvent avoir. Ledict sieur de Champlemy, voyant l'urgente nécessité, a commandé au receveur du roy qui est commis pour faire recepte de ladicte « somme de III livres, de luy en bailler une partie pour lever et a mettre quelque nombre de gens de pied pour servir à la deffence de luy et empescher les tumultes du peuple; il en a ja faict

« délivrer jusques à cent escuz. Il vous en escrit. Cela a bien petit " effet parce que ledit sieur n'a pas encore recouvert vingt ou vingtcinq hommes. Il est de besoing que vous mandiez vostre voulunté "et ordonnance tant aux officiers que eschevins de la ville. Les bons a citoyens désireroient fort qu'il vous pleust permettre que ceste « somme qui se lève fust employée aux affaires de ceste ville, mesme « à réparer nos murailles qui sont tombées. Je leur ay promis vous << en faire supplication, vous en ordonnerez comme il vous playra. Il me déplaist de vous faire telz advertissements et bien fort du "piteux estat auquel est nostre ville; il sera fort difficile de la con"server sans forces. Les officiers sont chascun jour en armes, mais « vous savez quels moyens ils ont en telz affaires. Si vous ne nous "pouvez donner forces, nous désirerions fort que vous eussiez envoyé " par deça quelques gentilshommes pour nous conseiller et commander avec ledict sieur de Champlemys ce que nous debvons faire. "J'ay bien grand peur qu'en peu de temps nous soyons surprins;

☐ nous n'attendons que l'heure que nous soyons investys de nombre ❝ d'hommes. Je me tiens assuré que votre providence sçaura bien « donner ordre partout. En attendant de voz nouvelles que je désire estre bientost, Monseigneur, je supplierai le créateur estre vostre garde et me tenir en vostre bonne grâce à laquelle je me recommande très humblement. D'Auxerre, le XX octobre 1562.

Votre très humble et obéissant serviteur. »

P. LE BRIOYS.

Tavannes, qui n'avait en ce moment que six enseignes de gens de pied dont il ne pouvait se démunir, écrivit au maréchal de Saint-André pour le prier, en raison de la grande importance d'Auxerre, d'y envoyer des troupes (1). Cependant Marraffin d'Avigneau s'étant éloigné, les Auxerrois reprirent courage; ils allèrent s'emparer de son château situé à trois lieues d'Auxerre et y mirent une garnison de vingt soldats sous les ordres d'un gentilhomme appelé de la Mothe de Culon. Mais, ne recevant pas de solde régulière et manquant de poudre, les soldats étaient sur le point d'abandonner la place, lorsque le capitaine Jehan Lallemand, envoyé avec la compagnie du maréchal de Saint-André, après avoir parcouru le pays jusque dans l'Avallonnais, et mis en état de défense le château de Pisy (2), vint les approvisionner et ranimer leur zèle (3). Il écrivait à Tavannes, le 27 décembre,

(1) Mss. Delamarre, 9484, fo 74.

(2) Pisy, ancien château fort dans la commune de ce nom, canton de Guillon, à 21 kil. d'Avallon.

(3) M. Chardon, au tome jer de son list. d'Auxerre, p. 310, a dit à tort que le maréchal de Saint-André avait alors séjourné à Auxerre. Il était allé droit à Sens, d'où il gagna ensuite l'armée du roi. C'est sa compagnie de gens d'armes seulement qui, par son ordre, était venue tenir garnison à Auxerre, et quand elle arriva dans cette ville, le maréchal avait déjà péri à la bataille de Dreux.

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