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assemblée ou suite d'icelles, au cas que, contre les édictz du roy et deffenses ci-dessus conformes à iceulx, elles se «fassent ou attentent à se faire; et, entérinant à cet égard la <requeste qui présentement a été faicte par Me Noël Mon

court, avocat du roy, seront faictes deffenses sous l'aucto«rité du roy, par les carrefours de la ville de Sens, de porter dans ladicte ville et fauxbourgs armes et bastons, si ce ne << sont les personnes auxquelles il est permis d'en porter par les édictz du roy sur ce faicts et dernièrement publiés à Sens, le tout sous les peines y portées. »

Ainsi, plus de deux mois après la promulgation de l'édit de paix, et quand depuis plusieurs semaines déjà le parlement, non sans résistance, il est vrai, avait enregistré cet édit, l'échevinage de la ville de Sens déclarait ne pas le connaître, niait même son existence et s'opposait aux assemblées des réformés. Ceux-ci, se fondant sur l'autorité de la loi, crurent alors pouvoir passer outre, et le 29 mars ils inaugurèrent leur salle. Leur assemblée ne comprenait pas moins de six cents personnes, tant de Sens que des environs. Hémard avait fait dès le matin fermer deux des trois portes par lesquelles on pouvait aller au prêche, et des personnes apostées à la porte commune, la scule qui fut restée ouverte, pouvaient prendre les noms de tous ceux qui s'y rendaient. L'office se termina sans désordre; mais, à la sortie, des habitants de la petite ville de Courtenay (4), qui y étaient venus au nombre de vingt-cinq, avaient été, sur l'instigation sans doute de certains émissaires, attaqués par les mariniers du faubourg d'Yonne, qui les avaient poursuivis jusqu'au

(1) Courtenay, chef-lieu de canton du département du Loiret, à 26 kil. de Sens.

petit village de Paron, distant d'une lieue de la ville, et les avaient tenus assiégés dans une maison jusqu'à l'arrivée de quelques gentilshommes venus en armes à leur secours (2). Ils portèrent en justice une plainte sur laquelle on ne voulut pas même informer.

Dès le lendemain, Hémard, avec un délégué du chapitre et un conseiller du bailliage appelé Tolleron, allèrent trouver à Melun le cardinal Louis de Guise. Les instructions qu'ils en rapportèrent sont restées secrètes. Les protestants ont dit que c'était l'ordre de les exterminer comme à Vassy. Selon le récit des catholiques, au contraire, c'étaient des lettres qui faisaient espérer que l'on suspendrait, à Sens, l'exécution de l'édit du 47 janvier qui, malgré les ordres réitérés du roi, n'y avait pas encore été publié. Au retour de ces envoyés, les protestants en corps se présentèrent au bailliage pour réclamer la publication trop retardée de l'édit. Mais, sur l'insistance d'Hémard qui y vint de son côté avec une grande multitude de gens du peuple, il fut sursis une fois encore à la publication, « pour avertir, disait-on, le roi, afin de savoir plus cer<«<tainement ses intentions. » Le prêche n'en tint pas moins le dimanche suivant, quoique l'on eût fait fermer toutes les portes de la ville, même la porte commune, dont seulement on avait tenu un guichet ouvert, ce qui permettait de compter et signaler tous les adhérents. Alors Hémard, dont les passions violentes étaient stimulées par l'impunité du massacre de Vassy, et qui obéissait peut-être à de hautes suggestions venues du dehors, conçut le projet de couper court à ce

(1) Mém. d'un Protestant, dans l'Essai historique de M. le docteur Crou (année 1562), et dans le Recueil de divers écrits sur la ville de Sens, Ms. de M. Quantin, p. 248 et suiv.

qu'il considérait comme de monstrueuses impiétés, en déchainant les fureurs populaires et en exterminant dans un massacre général tout ce qui, à Sens, avait trempé activement dans le parti de la réforme. Il réunit secrètement dans la maison du conseiller Tolleron trois échevins, savoir: Baptiste-Pierre Grenetier, Pierre Polangis, dit bon marchand, et Joachim Dubourg; le procureur de ville Etienne Garnier, et Balthazar Taveau, procureur de la communauté. Ce dernier, si l'on croit le Mémoire d'un protestant, était l'un des plus ardents et des plus actifs parmi ceux qui avaient coutume d'exciter les passions haineuses de la populace contre les protestants. Le projet d'extermination fut discuté et arrêté entre ces sept magistrats et l'on fit choix, pour en diriger l'exécution, de deux hommes déterminés appelés Biard et Cayer, l'un de robe longue, dit le manuscrit déjà cité, et l'autre de robe courte, qui furent chargés de recruter un certain nombre de sicaires, que l'on devait payer, selon Th. de Bèze (1), à un teston par jour non compris ce qu'ils pourraient piller. Le protestant auteur du mémoire (2), donne les noms de soixante-quatre personnes qui adhérèrent les jours suivants à ce complot et des cinquante-deux plus apparents parmi ceux qui le mirent plus tard à exécution

(1) Hist. des Egl. réf., t. II. p. 241-247.

(2) Cet auteur, dont le manuscrit original est aujourd'hui perdu, comme tant de documents sur l'histoire de Sens qui existaient encore il y a quarante ans, paraît être, selon l'Essai historique manuscrit de M. le docteur Crou, Antoine Cartault, ministre calviniste, réfugié à Londres en 1574. Ce n'est qu'en 1723, qu'un bourgeois de Sens, appelé Pierre Dufour, le découvrit et le fit connaître. Il paraît avoir produit une très grande sensation parmi les personnes, nombreuses alors, qui dans la ville de Sens s'intéressaient à l'histoire du pays.

en compagnie de tous les mariniers et de tous les bouchers de la ville. De Bèze raconte que les chefs de ces bandes allèrent marquer d'une croix les maisons que l'on devait seulement piller et de deux croix celles dont on devait égorger les habitants. Il ajoute que le clergé avait fourni les fonds pour équiper trois cents bandits que l'on devait mettre en œuvre. L'auteur du mémoire dit que « tous les <«< chanoines firent venir leurs sujets des villages voisins pour

ayder ceux de la ville à faire le saccagement et massacre.»> Cependant la sécurité des protestants était si complète que le capitaine qu'ils avaient pris à leur solde avec quelques hommes pour garder leur salle d'assemblée, s'étaient absentés de Sens, où ils ne revinrent que le soir du dimanche 12 avril.

Dès le vendredi 10 avril 4562, il y eut un commencement d'attaque. Trois huguenots furent assaillis chez eux, et l'un d'eux, un imprimeur appelé Richebois, tellement battu qu'il fut laissé pour mort sur la place. Le dimanche suivant, 12 avril, une procession solennelle, préparée avec grande publicité, à l'église de Saint-Savinien, avait attiré une grande affluence, tant de la ville que du dehors. Quand les fidèles furent rentrés dans l'église, un moine jacobin appelé Begneti y prêcha avec une violence extrême contre les huguenots et, selon les expressions de de Bèze, sonna le premier la trompette. Son appel ne fut que trop bien entendu. La foule sortit exaspérée de l'église et, se ruant en armes sur le temple où les protestants se trouvaient réunis pour leur office, les attaqua avec furie, en tua et blessa un grand nombre et, après avoir contraint les autres à fuir, se mit à démolir avec des pieux et des leviers dont elle s'était munie, l'édifice religieux et deux maisons qui y étaient attenantes, et à arracher la vigne et les arbres du jardin. Tels étaient le nombre et la

rage des assaillants que cette œuvre de destruction fut accomplie en peu d'instants. Aussitôt après, au son du tocsin de la cathédrale, la foule entra dans la ville et se mit à saccager et à piller les maisons des principaux protestants. Le premier chez qui l'on pénétra était le conseiller Hodoart, personnage éminent et considéré, neveu du fondateur du collège de la ville, que l'on se contenta de conduire dans les prisons de l'archevêché; puis on passa à celles des conseillers Boulenger, Michel Boucher et Maslard, du prévôt Claude Gouste, de l'élu de la ville Jean Michel, de l'avocat Aubert, du procureur Balthazard, de l'imprimeur Richebois, du médecin Ithier et de quelques autres encore. Les malheureux habitants de ces maisons s'enfuient et se cachent pour la plupart. Richebois, retenu dans son lit par les blessures qu'il avait reçues l'avant-veille, est égorgé ainsi que sa femme, qui était sur le point d'accoucher. La femme du médecin Ithier est, après d'affreux outrages, massacrée avec l'une de ses filles (1). Un autre médecin, appelé Landry, est précipité des fenêtres de sa maison et reçu sur les pointes des hallebardes (2). Pendant ce temps, un certain nombre de huguenots, poursuivis par la multitude en fureur, s'étaient réfugiés, sous la conduite d'un gentilhomme appelé de Mombaut, dans une maison-forte, comme on en trouvait alors quelques-unes dans l'intérieur des villes, et ils s'y défendirent avec énergie jusqu'à ce qu'on amenât des pièces d'artillerie pour forcer les portes. Ils font alors une sortie et tous sont massacrés, à l'exception d'un seul qui parvint à s'échapper. Les corps de toutes ces victimes. furent traînés nus à la rivière à travers les rues de la ville,

(1) Th. De Beze, Hist, des Egl. réf., II, p. 247.

(2) Martyrologe de Crespin, p. 584.

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