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personnes des deux sexes restèrent mortes sur la place et plus de deux cents furent grièvement blessées. Davila, qui donne presque toujours son approbation aux mesures extrêmes, et qui n'est pas suspect en cette circonstance de partialité contre le duc, lui attribue d'avoir dit, en mettant la main sur la garde de son épée, ce mot caractéristique contre l'édit de tolérance << Patience, cet édit, dont l'attache est si forte, << passera bientôt par le tranchant de celle-ci ! (1) »

Cet odieux massacre, en même temps qu'il suscita un cri d'horreur, non seulement parmi les protestants, qui, à cette nouvelle, s'emparèrent aussitôt d'Orléans comme place de sûreté, mais parmi tous les hommes chez lesquels les passions religieuses n'avaient pas éteint tout sentiment d'humanité, excita à un degré inoui l'ardeur de ceux, malheureusement bien nombreux alors, à qui leur exaltation persuadait qu'il n'y avait de salut pour la France que dans l'extermination des hérétiques. Les mœurs de ce siècle, violentes et brutales, avaient acquis un nouveau degré de férocité par l'influence de la législation intolérante et sanguinaire promulguée par tant d'actes et appliquée par tant de supplices dans les quarante dernières années. La ville de Sens contenait un trop grand nombre de ces hommes inexorables, aux yeux de qui tout huguenot était digne de mort, et dont la sombre énergie ne reculait pas devant la pensée d'un assassinat en masse de ces odieux novateurs. Dans cette malheureuse ville, agitée alors des plus violentes passions, qu'entretenait peut-être de son château de Vallery le maréchal de Saint-André, et qui, selon d'autres récits, étaient surtout échauffées par les agents du cardinal-archevêque

(1) Histoire des guerres civiles de France, 1. III, p. 192.

Louis de Guise, devait s'accomplir une sanglante catastrophe, dans le récit de laquelle nous écouterons successivement les témoignages contradictoires des deux partis. Voici d'abord le récit des écrivains protestants.

Le lieutenant criminel du bailliage, Robert Hémard, qui était en même temps bailli particulier, tant du cardinalarchevêque, que du maréchal de Saint-André seigneur de Vallery, et qui depuis deux ans joignait à ses fonctions judiciaires celles de maire de la ville, s'était déjà signalé par la rigueur inflexible de ses sentences contre les hérétiques. L'aversion qu'il ressentait contre eux s'était sans doute fortifiée de toute la haine que leur portaient les personnages puissants dont il était le préposé et le pensionnaire, et les huguenots lui étaient devenus d'autant plus odieux, qu'ils s'étaient efforcés, aux élections dernières, de l'écarter de la mairie, et qu'ils avaient été sur le point d'y réussir. Ceux-ci, pour se conformer à l'édit qui ne permettait leurs assemblées qu'en dehors des villes, avaient acheté hors de l'enceinte. des fortifications de Sens un terrain pour y construire une vaste salle à leur usage. Les maire et échevins, apprenant leur dessein, avaient résolu d'échauffer contre ce projet les passions populaires, pour en empêcher l'accomplissement. Une délibération qu'ils avaient prise le 22 février (1), por

tait :

Pour ce que plusieurs personnes en la ville de Sens sont << non seulement infectées de l'hérésie luthérienne et opinions

(1) Le registre des délibérations, que nous avons vainement cherché dans les archives de la ville, y`existait encore il y a peu d'années. Heureusement M. le docteur Crou avait pris copie autrefois des docu. ments les plus importants, que nous citerons d'après ses manuscrits.

<< nouvelles, mais seroient dans l'intention de planter publi<«<quement, pour prédications qu'ils veulent faire en ung lieu << qu'ils y ont destiné, un parloir fermé hors de la ville à ung << endroit appelé le Marché aux pourceaux, a été advisé que <«<les frères prescheurs des Jacobins seront priés de la part <«< de la ville d'employer ce qu'ils pourront, comme ils ont <«<fort bien commencé, à résister et prescher contre........... <«<et leur sera à la fin du caresme, baillé à chascun d'eux la << somme de dix livres tournois, dont sera baillé mandat à << prendre sur les patrimoniaux. »

(

Cette tentative d'opposition violente échoua. L'édifice entrepris par les réformés avait été construit avec tant d'activité, qu'avant la fin de mars il était en état d'être occupé. Alors, ils adressèrent au maire Hémard une requête, signée de deux avocats et de deux procureurs, pour l'informer de la prochaine ouverture de leur prêche, afin qu'il pût, si bon lui semblait, y assister pour s'assurer que tout s'y passerait conformément aux lois. A défaut de cette pièce, qui n'existe plus, nous pouvons citer le texte de la réponse qu'y fit Robert Hémard (1). Elle éclaire d'une vive lumière la situation. On y voit d'une part la résistance décidée du magistrat aux édits du roi, et les appréhensions, ou plutôt les menaces d'agitations populaires qu'il oppose aux instances des réclamants, et d'autre part les reproches qu'il leur adresse, reproches qui se résument à alléguer que leur culte n'est qu'une nouveauté téméraire. Il est remarquable, du reste, qu'il ne leur impute ni brisement d'images, ni insultes au culte catholique ni aucun de ces actes d'impiété ou d'in

(1) Réglements de l'Hôtel-de-Ville, d'après la copie de M. le docteur Crou.

tolérance qui, ailleurs, n'avaient été que trop familiers aux protestants, et dont, sans doute, ceux de Sens avaient eu le bon esprit de s'abstenir.

Réponse de maitre Robert Hémard, lieutenant-criminel et maire de la ville de Sens, à Mes Claude-Aubert, Pierre « Guyot, avocats, Jehan Balthazar et Pierre Jamard, pro«cureurs de iceulx qui se disent fidèles de l'église réformée <de Sens ;

« Que ne trouvons et n'y auroit non plus expédient plus certain et mieux assuré pour le repos public de la ville de << Sens et entretenement de la paix et tranquillité, que les suppliants confessent par leur requête y avoir été continuée jusqu'à ce jour, que s'abstenir de faire assemblée et presches dans ladicte ville et fauxbourgs d'icelle, deffendus par « les édicts et ordonnances du roy et inaccoutumez audict Sens, et au contraire que, en y introduisant et faisant nou«veaux presches par les non envoyez ès lieux où elles ne

furent oneques faictes ni reconnues, on blessera le repos «public, on ne prestera l'obéissance due au roy, et il y a <«< crainte de mettre la ville en péril et dangers par les inconvénients qui peuvent en subvenir; que si les supplians « entendent que aucun d'eux se mettent en teste que par un << dernier édict du roy il leur soit tolli faire et innover tels presches, ils doivent avoir patience que ledict édict soit vu <que par publication de la cour de parlement venue jusqu'à «nous, cependant se contenter de recevoir la parole de Dieu « qui leur a esté donnée et à leurs prédécesseurs purement .... sincèrement, et la vérité annoncée jusqu'à ce jour par ceux qui en ont la charge et y ont été appelés selon « l'observance de l'église catholique, sur laquelle les roys de «France se sont de tout temps religieusement réglés et heu

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Sc. hist.

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<< reusement conduitz au repos de leurs sujectz. En ce faisant <«< ne sera la condition des supplians pire que celle des roys, <«<<et non pas, comme ils le disent au commencement de leur <<requeste, pire que celle des bêtes brutes.

<< Partant les requérons, et faisant néanmoins justice, leur « faisons deffense de s'assembler et faire ni souffrir faire nouveaux presches, leur enjoignant d'attendre et de sus«pendre l'exécution de leur entreprise première non auto« risée, jusqu'à ce qu'ils entendent certainement de nous <«< aussi ce qu'il aura plu au roy par édict qui sera publié en << la cour de parlement, arrêté et ordonné sur le différend de <«< la religion et repos public et sous les peines portées par <«<les édictz du seigneur roy sur ce faicts et reçus, par les<«<quelz nous ne devons nous trouver aux presches et assem<< blées nouvelles mentionnées en ladicte requeste, d'aulta nt << qu'elles sont prohibées et deffendues. Leur déclarant qu'au «< cas où il adviendrait inconvénient, nous nous adresserions << par voie de justice aux principaux et plus apparents de la «< compagnie, les rend'cions responsables de tous ceux y << allans sous leur ombre et indue auctorité, ferons doré<«<navant entier devoir et de toutes partz ferons cesser << toute émotion de quelque part qu'elle procède, et, comme <«< nous sommes avertis qu'à la première émeute qui se fera <«<< au nom des suppôts et adhérens à la religion des supplians, << s'y doivent trouver secrètement à leur suite et y sont pré« parés, qu'ils nous haïssent, qu'ils doivent nous occire à <«<leur suite et saccager nos maisons, que oultre la sureté «que nous, comme juge établi par la Majesté du roy, notre <«<souverain seigneur, nous devrons maintenir à l'encontre de <«<tous autres, déclarons d'abondant que nous nous mettons << en la garde de tous ceux qui se pourront trouver à cette

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