Page images
PDF
EPUB

la maison où ils se réunissaient, et au commencement de cette année, un d'entre eux y fut assassiné. On n'osa pas excuser l'auteur de ce meurtre, qui expia son crime sur l'échafaud (1).

Cependant un nouvel édit rendu le 31 juillet avait modifié en quelque chose celui du mois de janvier. Tout en portant amnistie pour toutes les choses provenant du fait de la religion et en maintenant la liberté de conscience, il ne tolérait, jusqu'à décision du concile prochain, les assemblées religieuses des réformés qu'autant qu'elles ne seraient pas publiques. Il enjoignait, au reste, à toutes personnes de vivre en union et amitié; il recommandait la modération aux prédicateurs, et défendait de faire violence, sous quelque prétexte que ce fût, de religion ou autre, et ce sur peine de la hart.

De ce jour les réformistes durent renoncer provisoirement à tenir des réunions publiques, comme ils avaient commencé à le faire. A cette époque ils étaient déjà nombreux et organisés en associations dans la plupart des villes de nos contrées. A Auxerre, ils avaient pour appuis, non publiquement déclarés encore, mais déjà secrétement affiliés, plusieurs personnages puissants, et notamment trois magistrats; Jacques Chalmeaux, homme renommé pour sa grande science et son intégrité, alors prévôt du comté et qui, en 4563, devait devenir lieutenant-général ou président du bailliage (2), Louis Girardin, conseiller au bailliage, et Etienne Sotiveau,

(1) Arch. de la ville, Essai historique manuscrit du D' Crqu.

(2) La vénalité des charges avait été abolie par des édits de 1559 et 1561. Les corps judiciaires présentaient pour remplir les places vacantes trois candidats entre lesquels le pouvoir royal choisissait. En 1567, on revint à la vénalité. On peut apprécier la considération dont jouissait Jacques Chalmeaux, par l'élection qui le porta de la prévôté, à

avocat du roi près ce siége. A Sens, ils comptaient dans leurs rangs quatre conseillers au bailliage, Hodoard, Boulenger, Maslard et Pailly, le procureur du roi Penon, l'avocat du roi Gibier, le prévôt Claude Gouste; trois avocats, Châlons, Maurin et Royer; plusieurs gentilshommes et personnes investies de fonctions publiques et un grand nombre de bourgeois et marchands. Ils avaient ce qu'ils appelaient des églises à Avallon, à Villeneuve-le-Roi, à Noyers, à Cravant, à Vézelay, à Toucy, à Entrains, dans les villes riveraines de la Loire, Gien, Cosne, Briare et la Charité, et enfin dans beaucoup de villes ou bourgs de moindre importance. L'église de Noyers envoyait en 4562 une adresse à celle de Genève. Et le trésorier de la cure de Toucy réclamait cette année là une réduction de 200 livres, « pour la diversité de la religion, attendu qu'ils sont tant de la ville, fauxbourgs, que de la « paroisse, plus de 120 tant hommes que femmes, plusieurs enfants baptisés, et plusieurs inhumés hors de la cognoissance de l'église de Toucy (1). » Aussi le clergé catholique. était fort ému de leurs progrès. Le 18 avril 1561, le chapitre de la cathédrale d'Auxerre ordonnait à chaque chanoine en mission au dehors pour la gestion des biens communs, d'informer, dans les bourgs et villages de son département, contre les personnes qui paraissaient avoir des sentiments contraires à la foi, et il n'était pas assuré que l'ennemi ne s'était pas glissé jusque dans son sein, car le 22 juin sui

la tête du bailliage, tribunal important qui ne comptait pas moins de 26 magistrats, et duquel ressortissaient 430 justices seigneuriales. On en pourrait conclure aussi que la majorité de ce corps était favorable au protestantisme.

(1) Bibl. imp., Ms. fr. no 9,875, fonds Delamarre. LEBEUF; Th. DE BÈZE; Archives de l'Yonne, C. 140, p. 70; Mém. de Condé, IV, p. 336 ; dans le Recueil manuscrit de M. Quantin.

Sc. hist.

[ocr errors]

vant, il faisait défense à tout chanoine, sous peine d'amende ou de plus grande punition, de recevoir chez lui aucun de ceux qui étaient suspects d'hérésie (1).

Il faudrait connaître bien peu l'esprit humain, et surtout l'esprit français, pour croire que les protestants jouissaient avec une calme modération des avantages qu'ils venaient d'obtenir. Tous les témoignages sont d'accord, au contraire, pour constater que, voyant dans la tolérance des édits un prélude au triomphe et à la suprématie de leurs doctrines, ils rêvaient déjà l'abolition de la religion catholique et les églises livrées exclusivement à l'exercice de leur culte ; et, dans l'exaltation de leurs espérances, beaucoup d'entre eux tournaient publiquement en dérision les mystères, les dogmes et les symboles du catholicisme, insultaient ses croyances par des épithètes injurieuses et allaient quelquefois jusqu'à troubler les processions par leurs moqueries. Quelques-uns même commençaient à briser les statues des églises (2). Ils se croyaient au moment de vaincre et de dominer à leur tour, et, dans leur pensée, c'étaient leurs adversaires qui allaient être bientôt traités en hérétiques. D'ailleurs le principe de tolérance que leurs apôtres avaient invoqué lors de la naissance de leur secte, quand ils étaient faibles encore, avait cessé, plus tard, d'être, pour beaucoup d'entre eux, dans les lieux soumis à la domination de leurs doctrines, une sainte et divine maxime. Luther avait dit, en 1520, dans son Appel à l'Empereur: « Il faut vaincre les hérétiques par l'écriture et << non par le feu. Cela est contre le Saint-Esprit. » Après lui

(1) LEBEUF, Prise d'Auxerre, p. 89.

(2) CL. HATON, t. I, p. 122; Mém. de Condé, t. III, p. 360; Henry MARTIN, t. IX, p. 79-80.

Zwingli avait écrit: « Tous sont sans droit et sans pouvoir « pour contraindre un seul à croire. » Mais le spectacle de tant d'échafauds et de bûchers élevés en tant de lieux, et surtout dans les Pays-Bas et en France, finit par pervertir toutes les idées et corrompre tous les cœurs, même dans le parti des persécutés et des martyrs. Les terribles et sanglantes insurrections des anabaptistes d'Allemagne jetèrent aussi le trouble dansles âmes. On commença à frapper ces insurgés comme séditieux et brigands, puis comme hérétiques et séditieux à la fois. Le synode de Hambourg, où fut représenté tout le protestantisme allemand, promulgua des lois de mort contre quiconque professerait les doctrines anabaptistes. Luther et Mélanchton approuvèrent. Calvin plus tard ne fit que suivre. Le bûcher sur lequel il fit monter Servet en 1553 avait été sanctionné d'avance, et Théodore de Bèze eut, en 1560, la triste gloire de donner la formule de cette réaction du protestantisme contre ses meilleures origines, dans son livre De Hæreticis a magistratu civili puniendis.

D'un autre côté, les catholiques ardents se révoltaient à la pensée de voir ces sectaires, traqués naguère comme des suppôts du malin esprit, prêcher librement leurs blasphemes et vociférer leur incrédulité; de voir célébrer ouvertement ce culte qui, aux yeux de l'orthodoxie, était une damnable impiété. Et la chaire catholique qui, dirigée par des moines sortis des rangs du peuple, était à cette époque la plus haute expression de l'opinion populaire, dont elle subissait par conséquent les agitations et les préjugés, au lieu de calmer les discordes et les passions, s'efforçait trop souvent de les enflammer, et volontairement ou involontairement provoquait à de sanglants excès. La chaire exerçait alors sur les masses l'empire que les journaux ont conquis plus tard, et son pouvoir

vant, il faisait défense à tout chanoine, sous peine d'amende ou de plus grande punition, de recevoir chez lui aucun de ceux qui étaient suspects d'hérésie (4).

Il faudrait connaître bien peu l'esprit humain, et surtout l'esprit français, pour croire que les protestants jouissaient avec une calme modération des avantages qu'ils venaient d'obtenir. Tous les témoignages sont d'accord, au contraire, pour constater que, voyant dans la tolérance des édits un prélude au triomphe et à la suprématie de leurs doctrines, ils rêvaient déjà l'abolition de la religion catholique et les églises livrées exclusivement à l'exercice de leur culte ; et, dans l'exaltation de leurs espérances, beaucoup d'entre eux tournaient publiquement en dérision les mystères, les dogmes et les symboles du catholicisme, insultaient ses croyances par des épithètes injurieuses et allaient quelquefois jusqu'à troubler les processions par leurs moqueries. Quelques-uns même commençaient à briser les statues des églises (2). Ils se croyaient au moment de vaincre et de dominer à leur tour, et, dans leur pensée, c'étaient leurs adversaires qui allaient être bientôt traités en hérétiques. D'ailleurs le principe de tolérance que leurs apôtres avaient invoqué lors de la naissance de leur secte, quand ils étaient faibles encore, avait cessé, plus tard, d'être, pour beaucoup d'entre eux, dans les lieux soumis à la domination de leurs doctrines, une sainte et divine maxime. Luther avait dit, en 1520, dans son Appel à l'Empereur: « Il faut vaincre les hérétiques par l'écriture et <<non par le feu. Cela est contre le Saint-Esprit. » Après lui

(1) LEBEUF, Prise d'Auxerre, p. 89.

(2) CL. HATON, t. I, p. 122; Mém. de Condé, t. III, p. 360; Henry MARTIN, t. IX, p. 79-80.

« PreviousContinue »