Page images
PDF
EPUB

ce dessein, quantité de notes et d'extraits. Il allait s'occuper de ce grand travail, lorsqu'il reçut sa mission de secrétaire d'ambassade en Chine, d'où il ne devait pas revenir. Sur le désir qu'en a exprimé la Société des Sciences de l'Yonne, la famille de M. de Bastard a bien voulu mettre ses matériaux à notre disposition, et nous avons accepté le mandat de les réunir, de les coordonner, de les compléter par des recherches nouvelles, et d'écrire cette histoire de trente années de discordes sanglantes, de guerres acharnées, de dévastations et d'excès de tout genre, dans une contrée connue jusque là par la douceur de ses moeurs, et où jamais les passions n'avaient approché du degré de violence qu'elles présentèrent à cette douloureuse époque.

M. de Bastard avait déjà écrit trois fragments qu'il destinait à prendre place dans son histoire. L'un concernait le siège de Sens par Henri IV en 1590; un autre était relatif aux opérations de guerre du jeune duc Charles de Guise dans l'Auxerrois, en 1593. Ces deux premiers avaient même été publiés dans l'Annuaire de l'Yonne de 1859 et 1860. Un troisième traitait du siège de Noyers en 4568. Nous nous sommes fait un devoir d'enchasser ces trois morceaux dans notre récit, auquel nous nous sommes efforcé, d'ailleurs, de conserver l'esprit de modération et d'impartialité qui se révèle dans ces écrits, et qui était si bien dans le caractère de leur auteur.

En voyant les tristes souvenirs que ce récit doit

réveiller, on peut, au premier abord, se demander s'il était à propos de les remettre en lumière et s'il ne valait pas mieux les laisser enfouis dans le silence de l'oubli. Sans doute, il est pénible de songer que nos pères ont été émus par tant de scandales, agités par tant de désordres, aigris par tant de haines, aveuglés par tant d'intolérance; qu'ils ont trempé dans tant de complots homicides, coopéré ou applaudi à tant de meurtres, commis tant d'actes de profanation et de vandalisme, entassé tant de ruines et de dévastations.. Mais on ne saurait bien savoir l'histoire générale d'une époque, que quand on a approfondi ses détails dans l'histoire particulière d'une portion limitée du territoire. Et puis c'est un besoin de l'esprit actuel, de connaitre à fond toutes les vicissitudes qui ont éprouvé notre sol natal. Et, quelque affligeant que soit le tableau des fureurs de nos devanciers, il n'y en a pas moins de précieux enseignements à recueillir du spectacle des fautes, des excès, des crimes commis par les deux partis et des catastrophes qui les ont successivement accablés, pour éviter à jamais le retour de semblables malheurs. Les bienfaits de la paix entre les opinions les plus opposées, du respect des convictions d'autrui, de la tolérance, enfin, qui commence à régner aujourd'hui nonseulement par les lois, mais encore et surtout par les mœurs, nous deviendront d'autant plus chers, que nous connaitrons mieux tout le mal qu'ont fait à nos pères les discordes intolérantes et la guerre impitoyablement déchaînée contre la dissidence des idées. Ce qu'a si bien

[ocr errors]

dit de nos jours un ingénieux écrivain (1), de l'histoire du sol natal, est d'une incontestable vérité, alors même qu'il s'agit de l'histoire de ses dissensions et de ses désastres.

<<< Etudions avec soin l'histoire de notre pays, appliquons-nous à la faire connaitre. Plus nous le « connaitrons, plus nous l'aimerons; et l'amour donne «tout. Il donne la foi et l'espérance; il tourne en joie « les sacrifices; il enseigne la constance et la modé<«<ration; il engendre l'union; il prépare la force. »

Toutes les misères de ce xvI° siècle si tourmenté, les relâchements, les abus et les scandales qui donnèrent naissance à la réforme, les persécutions sanglantes qui l'assaillirent et la décimèrent sans la lasser, la barbarie de ses représailles, la frénésie de son vandalisme, les cruautés inouies des deux partis, tout cela, grâce à Dieu, peut être raconté sans émouvoir les passions contemporaines, aujourd'hui que l'austérité de la discipline ecclésiastique est redevenue le modèle de notre société, que l'art consacré à la glorification du sentiment religieux a reconquis la vénération de tous, même dans le culte réformé, et que les sentiments de tolérance et d'humanité dont l'histoire nous montre que toutes les opinions, toutes les sectes, toutes les religions ont besoin, et que chacune, à son tour, s'est vue dans le cas de les revendiquer, étendent enfin de plus en plus sur tous les cœurs leur pacifique et bienheureuse domination.

(1) V. COUSIN. Avant-propos de la Société française au XVe siècle.

CHAPITRE PREMIER.

CAUSES, ORIGINES ET DÉVELOPPEMENTS DU PROTESTANTISME ET DES HAINES
RELIGIEUSES DANS LES DIOCÈSES D'AUXERRE ET SENS. RÉPRESSIONS
SANGLANTES. ORGANISATION DES ASSOCIATIONS SECRÈTES A SENS, AUXERRE
ET GIEN. -
ÉDITS DE TOLERANCE. OPPOSITIONS CATHOLIQUES. PRÉDI
CATEURS. PIERRE DIVOLÉ. PREMIÈRE ÉMEUTE CATHOLIQUE A AUXERRE
LE 9 OCTOBRE 1561. AUTRE AVEC COMBAT AU DEHORS.
TOLERANCE DU 17 JANVIER 1361.

TONNERRE, AVALLON.

NOUVEL ÉDIT DE

Le protestantisme eut dès son origigne de profondes racines dans les contrées qui forment aujourd'hui le département de l'Yonne. Nulle part les agitations que suscita son apparition n'éclatèrent avec plus de violence. Nulle part les excès des deux partis ne furent plus acharnés, nulle part les persécutions plus sanglantes, les représailles plus furieuses et le vandalisme des dévastations plus aveugle et plus barbare. Plusieurs causes y purent contribuer. D'abord, parmi les principaux personnages de la réforme, il en était trois qui avaient avec ce pays des rapports personnels et fréquents ; Théodore de Bèze, qui y était né et dont l'enfance y avait été élevée; Jacques Spifame, abbé de Saint-Paul-lès-Sens, avant d'être évêque de Nevers, qui avait passé toute sa jeunesse au château de Passy, près Sens (4), dont son père était

(1) Passy, bourg du département de l'Yonne, canton de Sens, à 10 kil. de cette ville.

« PreviousContinue »