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après avoir continué ces atroces exécutions les années suivantes, elle profitait de l'absence du roi, alors en Italie, et de celle de sa sœur la reine Marguerite, pour faire périr sur le bûcher un savant gentilhomme appelé Louis de Berquin, qui jouissait de leur faveur particulière. Des ordres royaux arrêtèrent alors le débordement de ces férocités. Mais elles reprirent en 1535. Six hérétiques furent brûlés à Paris le 21 janvier de cette année, et le lendemain on brûla encore la femme d'un cordonnier pour avoir fait gras le vendredi. On avait d'abord étranglé les victimes avant de les brûler, puis on les brûla vives, et ensuite, ce que plusieurs historiens se refusent à croire, mais qu'attestent pourtant les relations écrites d'un étranger, témoin oculaire de ces horreurs, pour accroître la sévérité du supplice, on suspendit les patients par des chaînes de fer à des bascules « qui, tour << à tour, les guindaient en l'air et les dévalaient dans les << flammes. » Cette invention infernale s'appela l'estrapade, nom que porte encore l'une des places publiques de Paris. Quelques jours après, un édit du 29 janvier 1535 condamnait les recéleurs d'hérétiques aux mêmes peines que les hérétiques eux-mêmes, et, pour exciter les dénonciateurs, leur garantissait le quart des biens des condamnés. Les édits et les exécutions se succédèrent les années suivantes contre les assemblées des religionnaires, sans arrêter les progrès de la propagande réformiste, qu'exaltaient au contraire le maintien, sinon l'accroissement des abus dans la discipline ecclésiastique, l'indignation de tant de supplices atroces et la constance de ceux qui mouraient pour une cause qu'ils croyaient être la cause de la vérité et de Dieu lui-même. Ces malheureux sectaires montaient sur l'échafaud en chantant des psaumes et confessaient leur foi sur le bûcher avec une

intrépidité qui grossissait sans cesse le nombre des prosélytes. La doctrine nouvelle ne tarda pas à se répandre en province, et dès l'année 1540 elle comptait de nombreux affiliés dans l'Auxerrois, et particulièrement dans les villes du bord de la Loire qui faisaient partie de ce diocèse, Gien, Briare, Cosne, Bonny et la Charité, où la navigation fluviale. et la circulation du seul chemin royal qui conduisit alors de Paris à Lyon, amenaient un grand nombre d'étrangers. Pour arrêter l'envahissement de cette contagion, des mesures spéciales furent prescrites par l'évêché. On envoyait, pour y faire des missions prolongées, les plus habiles prédicateurs, et les curés devaient tenir registre des fidèles qui approchaient des sacrements et signaler ceux qui se dispenseraient d'y prendre part (1). Le Sénonais avait aussi ses prédicants et ses affiliés, contre lesquels le clergé réclama des poursuites. Le 5 août 1545 des lettres patentes de François Ier donnèrent commission à Jacques Leroux, conseiller au parlement,

pour informer au pays de Sens et terres adjacentes « contre les prédicateurs et pratiquant l'hérésie et leur punition (2). » On ignore les suites de cette mission. Quels qu'aient pu être ses actes de sévérité, ils ne paraissent pas avoir eu plus d'efficacité que les mesures inquisitoriales de l'évêque d'Auxerre. La réforme, en dépit de toutes les rigueurs, marchait tête levée. Les ministres, un entre autres, appelé Chaponneau, prêchaient publiquement à Gien. A l'approche de l'évêque ou de ses délégués, ils s'éloignaient avec les personnes les plus compromises, pour revenir aussitôt après le départ de ces dignitaires, en qui le

(4) LEBEUF, Hist. des Evéques.

(2) Archives de l'empire, section judiciaire.

pays paraissait avoir perdu toute confiance (1). Et en 1545, un prêtre de cette ville nommé Étienne Bertin, abjurant son ministère, et se ralliant aux doctrines du calvinisme, se mariait publiquement à Cosne. Les condamnations et les supplices suivirent bientôt. En 1547, Gilles de Barville, chanoine de Sens et archidiacre de Melun, dénonça comme hérétique et blasphémateur son propre neveu, Jean Langlois, avocat à Sens, et, l'ayant fait condamner au bûcher, il fournit lui-même le bois pour le brûler (2). Ainsi l'intolérance qui avait déjà banni les sentiments d'humanité, étouffait encore la voix du sang. C'est ainsi que l'on vit quelques années après un magistrat de Bar-sur-Seine faire juger et pendre son propre fils pour crime d'hérésie.

Sous le roi Henri II la sévérité allait toujours croissant. Les biens des condamnés étaient confisqués. Les courtisans, selon le maréchal de Vieilleville (3), se partageaient les amendes et les confiscations; leur intérêt était de trouver beaucoup de coupables. Le roi assistait souvent aux supplices. Il alla voir brûler en 1349 quatre hérétiques dans la rue Saint-Antoine. L'un deux, un tailleur, resta jusqu'à la mort les yeux fixés sur lui d'un regard si terrible que

(1) LEBEUF, Prise d'Auxerre, p. 84, et Pièces justificatives III, IV et V.

(2) Manuscrits du chanoine Tuet, Larcher de Lavernade, Hist. de Sens; TH. DE BEZE, Hist. des Eglises réformées, I. p. 55. M. de Lavernade donne à ce fait la date de 1540. Le chanoine Tuet le met en 1556. Mais Th. de Bèze le place en 1547 et il est sans doute d'autant mieux informé que, selon Tuet, il avait été élevé à Sens, et qu'après avoir quitté la France, en 1544, il avait conservé des relations dans cette ville, où il avait un oncle chanoine et conseiller au parlement. (3) Mémoires, liv. III. chap. XIX.

le roi jura de n'en plus aller voir. Les bûchers ne cessèrent pas pour cela de dévorer de nouvelles victimes. Au mois de juin 1551 un nouvel édit attribuait la connaissance des crimes d'hérésie aux siéges présidiaux, et tout délateur avait droit au tiers des biens du coupable. En exécution de cet édit le prêtre Étienne Bertin, dont il a été question plus haut, était traduit au Présidial d'Auxerre, et le 28 septembre 1551 il était étranglé et brûlé dans cette ville sur la place des Grandes-Fontaines.

L'on avait cru anéantir l'hérésie par le nombre et l'atrocité des supplices. Mais on s'apercevait avec effroi que l'hydre s'était multipliée sous les coups, et qu'on n'avait réussi qu'à exalter à un degré inouï tout ce qu'il y avait d'énergie dans l'âme humaine. C'est ainsi qu'un habitant de Neuville, près de Gien, condamné à Sens en 1557 à être brûlé vif, ne voulut pas même appeler de la sentence, et qu'il mourut avec la constance inébranlable d'un martyr des premiers temps du christianisme. De tels exemples, loin d'épouvanter les sectaires et de dissoudre leurs associations, ne faisaient qu'accroître leur nombre et leur ferveur. Ils se trouvèrent bientôt à Sens en force suffisante pour tenir des assemblées et se choisir des chefs. Mais le lieutenant-criminel Hémard, animé d'un zèle ardent dont on verra plus tard d'autres témoignages, parvint à les découvrir et trois d'entre eux furent condamnés au supplice. Le premier, Georges Tardif, fut brûlé à Sens, « avec grande édification de plusieurs, » dit Théodore de Bèze (1), et les deux autres, un libraire et un charpentier, qui étaient de Paris, subirent le même sort

(1) Hist. des Egl. réf., t. II, p. 84; Voir aussi le Martyrologe de Crespin, p. 430.

dans cette ville. Les registres du chapitre de la cathédrale d'Auxerre, corps riche et puissant, qui ne contenait pas moins de soixante dignitaires et chanoines, recrutés pour la plupart dans la noblesse et la bourgeoisie de cette ville, non compris douze semi-prébendés et vingt-quatre chapelains, constataient que l'année précédente (1556) il faisait informer contre un sacramentaire (hérétique), et qu'en même temps le prévôt des maréchaux, sur la demande des chanoines, se transportait dans divers lieux du diocèse, et entre autres à Cosne, pour y juger prévôtalement les dissidents, ou, selon les termes de la conclusion, y extirper les méchants (4). L'issue de ces poursuites n'est constatée par aucun document. Mais il est possible qu'elle n'ait pas été moins sanglante qu'à Sens. L'injonction qu'avait reçue le prévôt est par elle-même assez significative.. L'année suivante encore le vicaire-général Gaspard Damy allait à Gien par ordre de l'évêque, pour informer contre plusieurs habitants soupçonnés de calvinisme.

Ces rigueurs étaient vaines, et les doctrines de la réforme faisaient sans cesse de nouveaux progrès à la cour et dans les provinces, dans les villes et les campagnes, chez les princes et dans les châteaux de la noblesse, chez les bourgeois comme chez les gentilshommes, parmi les magistrats, même ceux du parlement, et parmi le clergé lui-même, dans les presbytères et les prieurés, les monastères et les chapitres, et jusque parmi les hauts dignitaires, abbés, évêques et cardinaux. Les évêques de Troyes et de Nevers avaient quitté

(1) Les registres des délibérations de cette époque sont aujourd'hui perdus, mais Lebeuf les a cités dans son Hist. de la prise d'Auxerre,

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