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donna occasion de dire que le jugement universel devait se << tenir dans cette forêt, parce que le cardinal y avait laissé << assez de troncs ou fausses billes pour y asseoir les ressus<< citants. (4) » Ayant été ensuite nommé archevêque d'Arles, il transmit, en 1558, l'évêché d'Auxerre à son neveu Philippe, en se réservant le revenu des terres de Régennes, Varzy et Cosne. Le pape Paul IV sanctionnait cet arrangement de famille et autorisait en outre le cardinal à conserver ses abbayes et ses prieurés et dix mille francs de pension qu'il s'était réservés sur l'évêché de Metz, quand il avait cédé au cardinal Jean de Lorraine ce siége épiscopal, qu'il possédait avant de venir à Auxerre.

Philippe de Lenoncourt avait été trouvé par les Italiens, selon ce que raconte Lebeuf, le plus beau chevalier français qu'ils eussent vu depuis longtemps. C'est peut-être à ce mérite qu'il dut les bonnes grâce du roi de Navarre, dont il devint le favori. Aussi possédait-il quatre ou cinq abbayes en même temps que l'évêché d'Auxerre, où il ne venait jamais. Mais, quand les arrêts du parlement, qui, depuis plusieurs années se succédaient en vain pour enjoindre la résidence aux évêques, devinrent trop pressants et le menacèrent de la saisie de son temporel, il se décida, en 1562, à traiter de son diocèse, moyennant une pension et une cinquième ou sixième abbaye, avec le cardinal de la Bourdaisière, ambassadeur à Rome, qui avait du moins une excuse pour ne pas venir dans notre province, où, en effet, il ne mit pas. le pied une seule fois jusqu'à sa mort survenue en 1570 (2). Il n'en avait été guère mieux à Sens depuis l'année 1525.

(1) Lebeuf, Hist, des évèques d'Auxerre.

2) Ibid.

Sc. hist.

Le chancelier Duprat qui, à cette époque, en avait pris l'archevêché, n'y avait paru que dans de très rares circonstances. Après lui le cardinal Louis de Bourbon avait été un peu plus sédentaire, mais on n'avait guère eu à s'en féliciter, car, disent les mémoires de Claude Haton, (1) « il avait bien sçu « jouer du haultz-bois et si n'estoit ménétrier, car il vendit <«<tous les haultz-bois, ou peu s'en fallut, appartenant à son « archevêché, qui étaient ès environs de Brien on et Ville<«< neuve-l'Archevêque, de quoi fut fort blamé. »

Cet auteur rapporte, en effet, comment le roi François Ier passant à Sens, son fou Brusquet poursuivit de ses quolibets l'avide prélat, au sujet de ses coupes blanches et de la dilapidation de ses forêts. Il donne aussi de curieux détails sur une représentation satirique, parlaquelle se traduisit avec hardiesse le mécontement des bourgeois de Sens. A une procession de la fête Dieu, où officiait le cardinal, ils « préparèrent des <«<eschaufaux sur lesquels firent monter des hommes mas«qués et déguisés, tenant plusieurs outils entre les mains, <«< comme eyes, seppes et cognées, desquels ils faisoient devoir <«< de besongner, ce sembloit. Quand la procession et ledit «seigneur passoit, les ungs tiroient la eye, les aultres char<< pentoient et les aultres fagotoient.... Duquel mystère vou«<lut s'enquérir ledit seigneur, dont il se courrouça fort. »

C'était pour subvenir aux prodigalités de ses neveux qu'il donnait ces scandales. Il en donna d'autres encore, si l'on en croit le même auteur:

«Et pour ce fut surnommé par le feu roi François Ier « sitio, parce que toujours ledit seigneur avait volonté de << boire de ses bons vins, cust-il été le mieux repu du <<< monde. >>

(1) P. 43-46.

Son successeur, le cardinal Bertrandi, qui n'occupa le siége que de 1557 à 1560, était garde-des-sceaux de France, et les devoirs de sa charge, ainsi que ses missions diplomatiques, l'en tinrent constamment éloigné. Après lui vint Louis de Lorraine, quatrième fils du premier duc de Guise, que, si l'on en croit le Journal de l'Estoile, l'on nommait « le cardinal << des Bouteilles, parce qu'il les aimait fort et ne se mêlait guères d'autres affaires que de celles de la cuisine. » Ni lui ni le cardinal Bertrandi ne parurent une seule fois dans leur diocèse et ne vinrent pas même en prendre possession (1).

Le relâchement des chanoines, après de tels exemples, était excusable. Chacun d'eux avait au moins une cure de campagne, qu'il affermait à un vicaire et où il n'allait jamais. Quelques-uns n'étaient guères plus assidus à l'office de la métropole. « Après le concile de Trente, dit Claude << Haton, aulcuns archevesques et evesques tâchèrent à << faire résider les curés de leurs diocèses et à tollir la plu«ralité des bénéfices incompatibles, mais n'en purent venir « à bout.... Mgr l'archevesque de Sens (Nicolas de Pellevé),

après son retour dudit concile, exhorta ses chanoines de « faire le pareil (mieux assister au service divin et aban« donner les cures qu'ils avaient au dehors), mais n'y vou

lurent entendre (2). » Il alla jusqu'à solliciter une « décla«ration spéciale du roi en date du 14 août 1562 pour la « résidence des ecclésiastiques dans le diocèse de Sens, » mais elle ne reçut aucune exécution.

Faut-il s'étonner qu'au milieu de tels abus, et sous un régime où les abbayes étaient données en commende à des

(4) ROUSSEAU, Chronique en vers des archevêques de Sens. (2) Mém. de Cl. Hallon, p. 233.

courtisans qui ne s'en occupaient que pour en percevoir les revenus, les monastères fussent pour la plupart tombés dans une profonde dissolution et que la vie des moines fùt devenue. un objet de scandale. Il faut entendre sur ce point les contemporains tant ecclésiastiques que laïques, et Claude Haton abonde à cet égard en récits inimaginables et en détails étranges. Son histoire des quatre pérégrinations des Cordelières de Provins n'a rien à envier à celle de la Fiancée du roi de Garbe. Si, laissant de côté le témoignage des écrivains du temps, on veut savoir, par exemple, ce qu'était alors l'abbaye la plus célèbre de la contrée, Saint-Germain d'Auxerre, et qu'on le demande à la tradition intérieure de cette maison, on le connaîtra par ces paroles qu'écrivait au siècle dernier le prieur de cette communauté, alors réformée et devenue un modèle de bonne discipline : « On ne peut sans << rougir parler de la licence et des vilaines débauches de <«< ces moines (1). » Et, même encore au commencement du XVIe siècle, soixante ans après le concile de Trente, voici ce qu'étaient les mœurs de ce monastère, au dire de dom Viole, son annaliste, dont nous transcrivons le texte latin, parce que son récit ne saurait décemment s'expliquer en français. Pietas ex Germanio exulerat. Cereri, Baccho, Veneri et Mercurio lacrymunda fundum avitum cedere cogitur.

Aussi quand, en 1620, on envoya aux religieux de ce couvent un prieur austère pour les réformer, c'est, d'après le même annaliste, avec mille injures et tant à coups de pieds qu'à coups de poings qu'ils l'accueillirent et le forcèrent à déguerpir.

Prior à Germanianis petulantioribus monachis, pu

(1) D. VIDAL, Lettres sur les Reliques de Saint-Germain.

gnis, calcibus, variis que affectus injuriis.... ad proprios rediit.

Il y avait donc bien des raisons pour que, dès les premiers temps où s'agitèrent les questions de réforme religieuse, elles excitassent dans le pays une vive sensation. Et les idées nouvelles paraissent y avoir promptement acquis, dans toutes les classes de la société, de nombreux partisans, que n'arrêtèrent pas les sévérités des édits et des parlements. Les premières prédications que Luther avait faites en 1517 contre les abus de la vente des indulgences, et son Appel à l'Empereur et à la noblesse allemande sur la réformation du christianisme, publié trois ans après, avaient eu dans toute l'Europe un grand retentissement, qu'avaien suivi presque immédiatement de sanglantes répressions contre ses adhérents. En 1522, trois chanoines d'Anvers étaient livrés aux flammes; et, à Sens, si le sang ne coulait pas encore, des exemples d'une révoltante sévérité vengeaient l'orthodoxie des moindres écarts. C'est ainsi qu'un habitant de cette ville, appelé Passagne, était fouetté publiquement, par sentence de justice, pour avoir mangé des pois au lard en carême (1). Dès l'année suivante des poursuites commençaient en France contre les publications réformistes. Jean Leclerc était battu de verges et marqué d'un fer chaud à Paris, et en 1524 il était brûlé à Metz avec un docteur en théologie appelé Jean Châtelain. Une commission extraordinaire, instituée en vertu d'une bulle du pape, et composée de deux conseillers-clercs et de deux docteurs en théologie nommés par le parlement, était chargée à Paris du jugement des hérétiques. Elle en faisait brûler quatre en 1526, et,

(A) Larcher de Lavernade, Histoire de Sens, p. 168.

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