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seigneur; et le cardinal Odet de Châtillon, qui était abbé commendataire de plusieurs de nos abbayes, notamment Vézelay (1), Saint-Pierre-le-Vif (2) et Vauluisant (3). Puis les chefs militaires des premières prises d'armes, le prince de Condé, l'amiral de Coligny, d'Andelot, avaient des domaines et des résidences dans cette contrée, où ils faisaient de longs. séjours. Leur influence et leur exemple durent susciter de nombreux partisans à leur secte et y propager rapidement. l'organisation des assemblées secrètes et plus tard celle de la résistance armée. Et, d'une autre part, le maréchal de SaintAndré, par son riche domaine de Vallery (4), qui venait jusqu'aux portes de Sens, le cardinal Jean de Lorraine, ses deux neveux les cardinaux Charles et Louis de Guise, par l'archevêché de Sens que l'un d'eux possédait à l'époque où les troubles commencèrent, et par les riches bénéfices qu'ils avaient dans la contrée, au nombre desquels était la puissante abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, et, enfin, le frère de ces deux derniers, François de Guise, grand prieur de France, par les commanderies qu'il tenait dans le Sénonais, où il résidait d'ordinaire dans le somptueux manoir de l'Aulnaic (5), exerçaient dans le pays une puissante action et pouvaient

(1) Vézelay, petite ville, chef-lieu de canton du département de l'Yonne, à 15 kil. d'Avallon.

(2) Saint-Pierre-le-Vif, ancienne abbaye, dans un faubourg de Sens.

(3) Vauluisant, ancienne abbaye, près du bourg de Courgenay Yonne), à 27 kil. de Sens.

(4) Vallery, bourg-et château du canton de Chéroy, département (de l'Yonne, à 19 kil. de Sens.

(5) L'Aulnaie ou Launay, ancienne commanderie, près du bourg de Saint-Martin-sur-Oreuse, à 12 kil. de Sens.

inspirer dans un rayon étendu leur haine profonde et leur intolérance déclarée pour les doctrines nouvelles. Et, enfin, si le protestantisme est né de l'excès des abus qui s'étaient introduits dans le gouvernement de l'église, il n'y pas lieu de s'étonner qu'il ait éclaté avec tant d'ardeur dans une région où ces abus avaient été plus nombreux, plus permanents et plus choquants que partout ailleurs. Ceux qui admirent avec une juste vénération l'instruction si élevée et la vie si austère et si sainte du clergé français d'aujourd'hui, se feraient d'étranges illusions s'ils se représentaient sous les mêmes couleurs les prélats, les prêtres et les moines du Xe siècle. Le concordat fait en 1517 par François 1er avec le pape Léon X, en abolissant, pour y substituer la nomination. royale, les vieilles règles du clergé de France maintenues par l'ordonnance du 14 juillet 1438, connue sous le nom de pragmatique-sanction, selon laquelle tous les bénéfices ecclésiastiques étaient sujets à élection, savoir les archevêchés et évéchés par les chapitres, les abbayes et prieurés conventuels par les religieux; ce concordat, qui substituait le privilége de la naissance, ou la faveur de la cour, aux droits du mérite constatés par le libre suffrage, avait rapidement amené la décadence morale de l'Eglise. Il faut se rappeler ce qu'en disait en 1560, à l'assemblée des notables, tenue à Fontainebleau devant le roi, la reine-mère et les cardinaux de Guise et de Lorraine, un évêque, un peu ami des transactions peut-être, mais qui n'en est pas moins resté bon catholique (1) jusqu'à

sa mort.

« Les évêques, pour la plupart, n'ayant devant les yeux

(1) JEAN DE MONTLUC, évêque de Valence, Mémoires de Condé, II, p. 560.

<«< aucune crainte de rendre compte à Dieu du troupeau qu'ils << avaient en charge, leur plus grand souci a été de conserver <«<leur revenu, en abuser en folles dépenses et scandaleuses, << tellement qu'on en a vu quarante résider à Paris pendant «que le feu s'allumait dans leurs diocèses. Et en même <«<temps on voit bailler les évêchés aux enfants et aux per<< sonnes ignoran'es et qui n'avaient le savoir ni la volonté <«<de faire leur état.... Les curés avares, ignorants, occupés << à toute autre chose qu'à leurs charges, et pour la plupart << étant pourvus de leurs bénéfices par moyens illicites.... <«< Autant de deux écus que les banquiers ont envoyés à <«<Rome, autant de curés nous ont-ils envoyés. Les cardinaux «<et les évêques n'ont fait difficulté de bailler les bénéfices à <«<leurs maîtres-d'hôtel, et plus est à leurs valets de chambre, <«< cuisiniers, barbiers et laquais. Les menus prêtres, par leur <«< avarice, ignorance et vie dissolue, se sont rendus odieux <«<et contemptibles à tout le monde. »

L'orateur qui en 4560, aux États d'Orléans, portait la parole pour le tiers-état, disait aussi : « qu'il semblait au peuple « qu'entre les ministres de l'Eglise trois vices pullulaient «principalement, auxquels principalement il fallait pour« voir.... l'ignorance, l'avarice et la superflue dépense et «pompe des ministres. >>

Pour savoir si ce tableau est chargé, il faut entendre maintenant un curé du diocèse de Sens, très orthodoxe, fort hostile aux protestants qui de la critique de la discipline étaient passés à celle de la tradition et du dogme, applaudissant aux rigueurs exercées contre eux et ne se refusant même pas de plaisanter parfois, selon l'esprit du temps, sur leur extermi nation et leurs supplices, Claude Haton, homme très droit du reste et très consciencieux, et dont nous aurons plus d'une fois occasion de citer les curieux mémoires.

«Les archevesques, évesques et cardinaulx de France « estoient quasi tous à la cour.... les abbés, prieurs et curez << demeuroient les ungz ès grosses villes de France et aultres lieux où ils prenoient plus de plaisir qu'à résider sur leurs charges et prescher et annoncer la vraie parole de Dieu à «<leurs subjetz et paroissiens.... Le nombre des prebstres « estoit fort grand par les villes et villages, lesquelz, à l'envi « les ungz des aultres, haussoient les cures et prieurez et « estoit à qui en bailleroit le plus de ferme à mons. le curé «et prieur, et le plus souvent se trouvoit que le plus asne « et mécanique de la paroisse estoit mons. le vicaire par ce

qu'il en bailloit le plus, et si estoient la plupart desditz prebstres fort vicieux et scandaleux, et assez peu chastiez par justice (1). »

Les abus de l'épiscopat étaient arrivés à Auxerre à un degré presque incroyable. Depuis nombre d'années l'évêché de cette ville était occupé par des prélats de cour, qui le tenaient comme une ferme et en touchaient de loin les opulents revenus, sans se soucier d'en venir remplir les fonctions; ou, s'ils y paraissaient de temps à autre, c'était pour y étaler une pompe fastueuse et y donner souvent le fâcheux exemple des passions les plus opposées à l'esprit de la religion. C'est ainsi que de 1514 à 1538 le diocèse fut soumis à François de Dinteville, premier du nom, aumônier des rois Louis XII et François Ier, dont il ne quittait pas la cour, où selon Rabelais, il était connu tant pour sa sensualité que pour la simplicité de son esprit. Il résigna son siége épiscopal, comme un héritage de famille, à son neveu du même nom que lui, quoique ce dernier, selon les termes assez ambigus

(A) Mémoires de Cl. Halon, p. 89.

de Lebeuf 1, eût alors à terminer une affaire où sa réputation était intéressée, et qu'il fût retenu hors de France par des missions diplomatiques qui l'empêchèrent pendant cinq ans de prendre possession. Plus tard, étant principal élu des des États de Bourgogne, il trahit les intérêts de ses commettants, en livrant au roi, au mépris de son mandat, les finances de la province, ce qui ne l'empêcha pas d'être plus tard disgracié et exilé par François Ier pour de ténébreuses, sinon criminelles intrigues (2). Dans les rares séjours qu'il fit dans son diocèse, il donna le spectacle de violences et de cruautés inouies, tantôt vengeant sanguinairement de sa main le délit d'un braconier surpris dans ses chasses, tantôt faisant crucifier un garde qui avait, sans son aveu, vendu quelques faucons; scandales si odieux et dont l'éclat fut tel, qu'il eut besoin de solliciter l'absolution personnelle du pape (3).

Après lui Jean de la Rochefoucauld, nommé par le roi Henry II en 4554, affermait et touchait les revenus du diocèse, sans y être jamais venu et sans même avoir obtenu ses bulles du Saint-Siége; et deux ans après il cédait son titre au cardinal de Lenoncourt, à qui, sans doute sa qualité de parent des Dinteville paraissait donner des droits à la propriété du diocèse, qu'au reste il fit régir par un vicaire-géné- ́ ral, sans s'en mêler aucunement, si ce n'est pour aliéner, ainsi que nous l'apprend Lebeuf, « nombre de biens dépen<«<dant du prieuré de la Charité, » et faire abattre en entier la vaste forêt de Bertrange qui était de haute futaie, « ce qui

(1) Histoire des Evêques d'.1uxerre.

(2) LEBEUF, ibid.

(5) IDEM, et LACURNE DE SAINTE-PALLAYE, Mémoires sur la Chasse, III. p. 256.

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