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mandement qui le retenait en Lorraine, mais toujours occupé des intérêts du trône ou des malheurs du Roi, ces deux constans objets de son affection et de son dévouement, il a considéré le cours des événemens avec ce coupd'œil prompt et certain, avec cette fermeté d'ame qu'il eût portés dans un combat. Nuls Mémoires ne contiennent des particularités plus instructives sur les craintes et les projets cachés de la Cour, pendant les derniers momens de l'Assemblée constituante; sur les intérêts, les intrigues, les vues généreuses ou les moyens de corruption qui divisaient les membres les plus marquans de l'Assemblée à la même époque. Depuis, il a partagé le sort des émigrés ; il a connu les desseins de la première coalition. Les dépositions d'un écrivain si bien instruit, d'un témoin si respectable, sont d'un grand poids aux yeux de l'histoire.

A l'égard des Mémoires sur la Bastille, nous osons dire d'avance qu'ils sont faits pour piquer et pour contenter la curiosité. Plus de trente recueils consultés par les éditeurs, des pièces historiques ou judiciaires, des registres, des manuscrits enlevés à la Bastille et dont eux seuls ont eu communication, leur ont fourni des notes curieuses, des révélations imprévues,

des détails jusqu'alors ignorés, sur les abus de pouvoir, et sur le sort des prisonniers que les murs de ce château-fort cachaient à tous les yeux. Ils ont soigneusement repoussé des démenti des contes fabuleux accueillis et répandus par la crédulité populaire : quand il s'agit de la Bastille, la vérité suffit seule pour exciter un assez vif intérêt.

erreurs,

La publication de ces deux volumes, donnés dès ce moment à l'impression, n'éprouvera pas le moindre retard. Les Mémoires de Ferrières exigeaient un travail considérable : il fallait explorer toute l'histoire de l'Assemblée constituante. Les notes de l'éditeur qui a donné des soins éclairés à l'impression de ces Mémoires, portent en général sur des faits rapportés dans l'ouvrage, et très-rarement sur les jugemens prononcés par l'auteur. Cette livraison est accompagnée comme les précédentes de documens historiques, devenus rares aujourd'hui. Plusieurs pièces, dont la grosseur des volumes nous a forcés d'ajourner la publication, paraìtront avec d'autres Mémoires.

Nous avions pris l'engagement de donner des volumes de trente feuilles : chaque volume de la première livraison en avait trente-trois; ceux-ci en ont aussi trente-trois chacun. Les

journaux de tous les partis, les hommes éclairés, quelles que soient leurs opinions, ont été d'accord sur l'utilité et l'importance de ce recueil. Aucun sacrifice ne nous paraîtra coùteux; rien ne sera négligé par nous pour continuer de mériter le succès qu'il obtient.

Chaque jour nous recevons en communication, ou nous acquérons des manuscrits précieux qui paraîtront successivement; et bientôt, pour certaines parties de leur travail, les éditeurs auront à se féliciter de la coopération la plus utile. C'est ainsi que les Mémoires piquans du baron de Bezenval devront leur publication aux soins d'un écrivain plein d'élégance, d'esprit, de finesse, et qui, de tous les gens de lettres de l'âge actuel, est celui qui a le mieux connu peut-être les mœurs et la société de l'âge précédent; c'est ainsi qu'un littérateur du goût le plus pur et du talent le plus brillant écrira les notices placées en tête des Mémoires de Marmontel et de Rivarol. Par-là, des Mémoires qui offrent déjà tant d'intérêt, recevront encore un nouveau prix des mains qui les publieront: parlà, nous prouverons à nos lecteurs combien nous sommes jaloux de remplir leur attente et de justifier leurs suffrages.

NOTICE

SUR LA VIE

DU MARQUIS DE FERRIÈRES.

Ce n'est pas un spectacle indigne d'intérêt que celui d'un homme, long-temps étranger aux affaires publiques, et qui, jeté tout-à-coup au milieu d'une grande révolution, y porte la candeur native de ses impressions et la droiture de son coeur. Ce n'est pas non plus une lecture sans instruction et sans attrait que celle des Mémoires où cet homme aura déposé ses sentimens et ses souvenirs, en racontant les scènes extraordinaires qui se sont passées sous ses yeux. L'homme d'État qui lègue à l'histoire le récit des événemens dans lesquels il fut acteur ou témoin, juge avec profondeur, mais rarement avec une parfaite bonne foi, les personnes et les choses; l'homme honnête et simple qui se borne à rendre compte des mouvemens dont son ame fut affectée tour à tour, ne pénétrera guère, il est vrai, jusqu'au fond des événemais il décrira naïvement leurs caractères extérieurs. On pourra récuser ses jugemens, on ne récusera point ses émotions: il verra quelquefois les faits sous un faux jour; mais, alors même qu'il ne sera point exact, il ne cessera point d'être vrai : il se trompera, mais il ne trompera point.

mens,

Avec une ame droite et une imagination mobile, des

connaissances littéraires et peu d'expérience politique une grande pureté d'intention et des préjugés de position, Ferrières, appelé à l'Assemblée constituante, s'est trouvé transporté, presqu'à son insu, dans le foyer de la révolution française ; il a vu de près agir les partis, sans être initié dans leurs mystères ; il a souvent jugé superficiellement les faits, mais il les a toujours jugés en honnête homme; il a écrit sous la dictée de sa conscience, et ce mérite, si rare dans les temps de révolution, suffirait à lui seul pour recommander son ouvrage.

Charles-Elie, marquis de Ferrières, naquit à Poitiers, le 27 janvier 1741. Il descendait, par son aïeule, des Dubellay, qui, sous François I, acquirent de la célé brité dans les armes, dans la diplomatie et dans la littérature. Son père, homme aimable et instruit, avait servi avec distinction. Le jeune Ferrières passa ses premières années à Vendôme, sous la direction de l'abbé Dubellay, son oncle. A dix ans, il fut rappelé à Poitiers, entra au collège du Puigarreau, puis au collège de la Flèche, tenus l'un et l'autre par les jésuites. Il puisa dans les leçons de ses instituteurs l'amour des lettres, qui charmèrent sa vie. L'élève ne fut point ingrat envers ses maîtres; il leur voua la reconnaissance la plus tendre, et son attachement pour eux dura autant que son existence.

La culture des arts, leur attrait, sont bien souvent un préservatif salutaire contre l'entraînement des passions. Ferrières l'éprouva. Envoyé à l'école des chevaulégers de la maison du roi, il paya le tribut à son âge, en se livrant à la dissipation et aux plaisirs : mais le goût de la musique, l'étude des lettres, le défendirent toujours contre les séductions du vice et de la débauche.

En 1766, Ferrières, âgé de vingt-cinq ans épousa

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